Samuel Paty (1973-2020)
De sa jeunesse lyonnaise au cours sur les caricatures de Mahom0e3t_qCuhiaapfoa.it0b3a_sCchualeprosa vie, histoire d’un professeur mort pour avoir enseigné.
Tennis club d’Éragny, court couvert numéro 2, lundi 12 octobre, 8 heures du matin. Samuel Paty est heureux. Rafael Nadal a gagné la finale de Roland-Garros. La veille, il a regardé le match à la télévision. Ce joueur honorable, pas excellent, mais opiniâtre, tape la balle deux fois par semaine. Ici, dans ce club amateur du Val-d’Oise, les choses sont sans chichis : grâce à un tableau Velleda, chacun inscrit son niveau et ses disponibilités pour trouver un partenaire d’occasion. Ce lundi, donc, Samuel Paty et son compagnon de jeu ne se connaissent pas plus que ça. Forcément, ils commentent l’exploit du champion espagnol qui les a fait rêver sur le central en pliant 6-0 le premier set contre Djokovic.
Tout à l’heure, après sa douche, Samuel Paty rejoindra à pied le collège du Bois-d’Aulne à ConflansSainte-Honorine pour retrouver ses élèves. Plus que cinq jours avant les vacances de la Toussaint. Il en a besoin. Ses élèves aussi. Le Covid, le masque obligatoire, la rentrée, le cours d’éducation morale et civique où il a parlé de Charlie Hebdo, les polémiques… Ce sera bien de se changer les idées. Il profitera d’une des deux semaines de trêve avec Gabriel, son fils de 5 ans et demi qu’il adore tant. Il pensera à autre chose. Il oubliera ce père d’élève qui lui fait la guerre depuis une semaine et contre lequel il a décidé d’aller porter plainte pour diffamation au commissariat, un peu plus tard dans la journée, accompagné de la cheffe d’établissement.
Au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-SainteHonorine, où il est arrivé quatre ans plus tôt,
Samuel Paty n’est pas seulement professeur d’histoire-géographie. Il organise mille activités extrascolaires. Il sait que le boulot d’un enseignant, surtout au collège, avec de jeunes adolescents, ne consiste pas seulement à dispenser des savoirs. Mais aussi, et surtout, à éveiller les esprits. Il y a quelques jours, début octobre, avec ses collègues, il a reçu ainsi Sami El Gueddari. Les jeunes ont adoré. Le champion de natation paralympique, qui a remporté la finale de l’émission Danse avec les stars en novembre 2019, a un charisme inouï. Pendant plus d’une heure, le sportif a expliqué aux jeunes du collège, bouche bée, qu’il fallait faire attention aux préjugés. Parler « des handicapés » et s’arrêter là, c’est les réduire à « un statut pas forcément valorisant ». Il « valait mieux, disait-il, parler d’une personne “en situation de handicap” et s’intéresser d’abord à ce qu’elle était réellement, au-delà de sa particularité physique ». En participant à l’organisation de la rencontre, Samuel Paty savait que ses élèves en tireraient quelque chose pour eux mêmes, au-delà de leur couleur de peau, de leur religion, de leur origine sociale… Éveiller les consciences, toujours.
Il avait le même objectif il y a un an, lorsqu’il a emmené ses élèves de 5e à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris. Au programme : un atelier de musique ancienne. « Samuel Paty s’est montré tellement enthousiaste, curieux et sympathique, rapporte Catherine Lawless, de l’IMA, que des animateurs du service éducatif, accompagnés de musiciens, se sont déplacés à leur tour dans son collège, pour prolonger les échanges et l’activité autour de la musique arabo-andalouse », fin janvier 2020. « Le professeur posait beaucoup de questions, il était curieux de tout, très heureux de ce travail en commun et de cette réciprocité, ça faisait plaisir à voir», raconte un participant. Antoine Guerber, l’un des musiciens de l’ensemble Diabolus in Musica, un groupe de musique qui fusionne des mélodies orientales et européennes, se souvient lui aussi de cet amateur de musique: « Il souhaitait montrer les liens entre la musique ancienne française et les musiques arabes. Ce jour-là, nous avons rencontré une personne sympathique, dynamique, complètement engagée et manifestement très appréciée de ses élèves… »
Vocation. Toujours le besoin de toucher les jeunes et d’aller plus loin que le seul programme. C’est que Samuel Paty savait depuis toujours qu’un bon prof peut changer une vie. Comment, après avoir écouté un cours, un jeune peut choisir de prendre un chemin qui détermine une existence. Comment un bon prof peut déclencher une vocation. Lui-même, lorsqu’il était khâgneux, buvait les paroles de Jean Folliet, agrégé d’histoire, un colosse aux allures de ■
« Lorsqu’il était en khâgne, il buvait les paroles de Jean Folliet, notre professeur d’histoire. » Un camarade du lycée Édouard-Herriot de lyon