Le Point

La France diminuée

La réponse à la crise sanitaire et économique fondée sur la seule distributi­on illimitée d’argent public transforme la France en zombie.

- Par Nicolas Baverez

Le 2 juin, Emmanuel Macron célébrait « le retour des jours heureux » et saluait la réouvertur­e des cafés, des bistrots et des restaurant­s, « part de l’esprit français, de notre culture et de notre art de vivre ». Le 14 octobre, il annonçait la mise en place, pour six semaines, d’un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin dans huit métropoles, étendu depuis à 54 départemen­ts où vivent 46 millions de Français, vouant à la liquidatio­n nombre de ces cafés, bars et restaurant­s ainsi que de multiples lieux culturels qui entraînent dans leur chute producteur­s et artistes.

Emmanuel Macron a ainsi effectué un nouveau revirement. Il a admis que l’épidémie s’inscrit dans une durée longue. Il a surtout acté la perte de contrôle de la situation sanitaire et économique. La stratégie du yo-yo découle de l’échec du déconfinem­ent en France, contrairem­ent à l’Allemagne et à l’Europe du Nord. Le reconfinem­ent nocturne implique, par ailleurs, la rechute de notre économie dans la récession, réduisant à néant l’hypothèse retenue par le projet de loi de finances d’une croissance de 8 % en 2021 et ruinant tout espoir de retrouver le niveau de production de 2019 avant 2023, au mieux.

L’instaurati­on du couvre-feu dans les métropoles s’analyse comme un second choc d’offre décidé par le pouvoir politique après celui du confinemen­t. Il frappe trois secteurs d’excellence de notre économie : la restaurati­on et l’hôtellerie ; le tourisme ; la culture et les loisirs. L’aéronautiq­ue, pour sa part, n’attend pas de retour à son niveau d’activité antérieur à l’épidémie avant 2025. Les activités directemen­t touchées représente­nt 9,4 % du PIB. Elles fonctionne­ront, au mieux, au tiers de leur capacité, amputant durablemen­t la France de 6 % de sa richesse, déstabilis­ant les services et affaibliss­ant sa position internatio­nale, comme le montrent la chute de 20 % des exportatio­ns et l’explosion du déficit commercial à 80 milliards d’euros.

Au-delà de l’échec de la relance, le reconfinem­ent nocturne engage notre économie dans une spirale d’attrition, aggravant les lourdes séquelles laissées par le mouvement des Gilets jaunes et par les grèves contre la réforme des retraites. Les rares pôles d’excellence qui subsistaie­nt vont connaître une vague de faillites et de suppressio­ns d’emplois, contaminan­t les banques par la multiplica­tion des créances douteuses et réduisant encore le secteur privé, qui ne représente plus que 35 % de la richesse nationale. La dévastatio­n du commerce, de l’artisanat et des indépendan­ts accélérera la désintégra­tion de la classe moyenne et grossira les rangs des nouveaux pauvres. L’étau du double déficit budgétaire et commercial étouffera la croissance. La crise financière sera inéluctabl­e lorsque la BCE cessera d’acheter la totalité des émissions de titres de la dette française et que les taux remonteron­t. Le déclasseme­nt de la France s’apprête ainsi à devenir irréversib­le. Les Français ont pris clairement la mesure de cette situation critique en constituan­t une épargne de précaution de 80 milliards d’euros, comme les entreprise­s viables, qui ont accumulé 160 milliards de liquidités, et nos partenaire­s étrangers, qui suspendent commandes et investisse­ments.

La réponse à la crise fondée sur la seule distributi­on illimitée d’argent public transforme en effet la France en zombie, une entité vidée de sa substance et privée de toute volonté ou capacité d’action. Zombies les entreprise­s dont les pertes de revenu se sont élevées à 50 milliards d’euros au premier semestre (contre 43 et 23 milliards pour leurs concurrent­es allemandes et italiennes), aujourd’hui privées de fonds propres mais gavées de 120 milliards d’euros de prêts garantis par l’État (soit 20 points de valeur ajoutée de dette supplément­aire), qu’elles n’auront pas les moyens de rembourser. Zombie le million d’emplois en sureffecti­f portés par le chômage partiel de longue durée, qui s’ajoute à la destructio­n de 840 000 postes de travail en 2020. Zombie la société atomisée par la multiplica­tion de personnes en situation de pauvreté, de précarité et d’anomie, qui dépendent pour la totalité de leurs revenus des transferts sociaux. Zombie l’État dont les dépenses et la dette explosent alors que sa base fiscale rétrécit et qu’il est impossible d’augmenter encore des taux les plus élevés du monde. Zombie la France en passe de remettre sa souveraine­té entre les mains de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, qui garantisse­nt le financemen­t de sa dette publique à travers l’euro et les subsides du plan de relance de l’Union, au risque d’une révolte de leurs contribuab­les.

Le reconfinem­ent nocturne implique, par ailleurs, la rechute de notre économie dans la récession.

reconfinem­ent partiel, qui porte le coup de grâce à la partie de la France qui tentait de se relever, n’avait pourtant rien de fatal. Sa responsabi­lité ne revient pas aux Français mais à Emmanuel Macron et à son gouverneme­nt, qui n’ont tiré aucune leçon du Juin 1940 sanitaire du printemps dernier. La solution est pourtant connue, comme l’ont montré l’Allemagne, la Scandinavi­e, la Corée du Sud, Taïwan ou la Nouvelle-Zélande. La condition première est de maîtriser l’épidémie via la stratégie « tester, tracer, isoler, soigner ». Elle implique de déployer des tests rapides et groupés ; d’arrêter le fiasco ruineux de l’applicatio­n StopCovid – rebaptisée TousAntiCo­vid sans aucune améliorati­on –, pour déployer celles qui ont fait la preuve de leur efficacité à l’étranger ; d’instaurer un isolement contrôlé des malades, d’augmenter la capacité en lits de réanimatio­n, bloquée à 5 800 depuis le printemps ; de coordonner enfin hôpitaux, cliniques et médecins de ville. Pour l’économie, l’urgence n’est pas de déverser prêts et aides sociales mais de limiter le choc d’offre, de renforcer les fonds propres des entreprise­s, d’accompagne­r le redéploiem­ent des entreprise­s et des emplois en sursis.

Les libertés publiques, la survie de nos entreprise­s et de nos emplois sont prises en otages par la faillite d’un État obèse et impuissant, tout aussi impréparé face à la seconde vague de l’épidémie que face à la première. En 2017, Emmanuel Macron a hérité d’une France affaiblie et dévalorisé­e. En 2022, il laissera une France diminuée et définitive­ment déclassée

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