Le bitcoin, monnaie post-Covid
Le succès rencontré par la cryptomonnaie illustre la défiance croissante des citoyens à l’égard des devises gérées par des États surendettés.
Il n’y a pas que la façon dont le gouvernement gère la crise sanitaire qui suscite la défiance des Français. Les billets de banque aussi, malgré les propos rassurants de la Banque de France, qui, dès juin, avait tenu à rappeler que « selon des analyses scientifiques confiées à des laboratoires européens de référence (…) le virus peut survivre dix à cent fois plus longtemps sur de l’acier inoxydable (une poignée de porte, par exemple) que sur un billet ». La peur des coupures «super contamina tri ces» persiste néanmoins et explique, avec le relèvement du plafond de 30 à 50 euros, l’envolée (+ 60 %) du nombre de paiements sans contact depuis le début de l’année. Ces derniers représentent désormais près de neuf transactions sur dix dans les commerces de proximité, hégémonie confirmée par les regards noirs que lancent les boulangères aux clients osant encore payer leur baguette avec un billet de 5 euros.
Avant la pandémie, la France faisait partie des pays de la zone euro où le paiement par carte était le plus répandu : 217 transactions par habitant en 2019, loin derrière la Suède (360) et le Danemark (386), mais largement devant l’Allemagne (76), la Grèce (74) et, bonne dernière du clasLe sement, l’Italie (61), où le poids de l’économie souterraine, estimée à 12 % du PIB, entretient la flamme de l’amour pour le cash. Afin de l’éteindre, le gouvernement de Giuseppe Conte projette d’instaurer des ristournes sur les dépenses effectuées par carte et de lancer une originale « loterie des facturettes », dotée d’un pactole de 300 millions d’euros, avec tirages au sort de tickets CB gagnants.
Outre qu’elle accélère, dans l’indifférence générale, une numérisation des paiements qui présente pourtant plus de danger pour le respect de la vie privée que les applications de traçage du virus, la pandémie menace de contaminer tout le système monétaire mondial, en provoquant une crise de défiance aiguë à l’égard des devises étatiques. Dans leur livre L’Économie post-Covid (Fayard), Olivier Pastré et Patrick Artus estiment que la monétisation des déficits publics, le fait que les banques centrales créent des quantités colossales de monnaie (10 000 milliards de dollars en 2020) pour racheter les dettes des États, risque de conduire à un phénomène de« fuite devant la monnaie ».
Autrement dit, il se pourrait que les populations se détournent du dollar, de l’euro, du yen, etc. – de toutes ces grandes devises leur inspirant de moins en moins confiance et dont ils anticipent la dépréciation.« Les agents économiques, écrivent-ils, vont alors essayer d’utiliser d’autres monnaies que les monnaies publiques des États pour réaliser leurs transactions. Ils passeront par des monnaies privées (cryptomonnaies, par exemple) à condition qu’elles soient bien gérées. Il y aurait alors une crise majeure du système monétaire international avec la chute de la demande des monnaies de réserve publiques au profit de monnaies privées. »
Le succès du bitcoin – dont le cours vient de franchir la barre des 13 000 dollars après la décision de PayPal de
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La peur des coupures «super contamina tri ces» explique aussi l’envolée des paiements sans contact.
l’autoriser comme moyen de paiement – indique que ce scénario n’est pas aussi irréaliste qu’il y paraît. On comprend mieux aussi les raisons pour lesquelles les gouvernements et les banques centrales mettent des bâtons dans les roues au projet de monnaie virtuelle libra porté par Facebook, susceptible de devenir le moyen de paiement préféré d’une population supérieure à celles des États-Unis, de l’Europe et de la Chine réunies.
Dès le milieu des années 1970, le très libéral Prix Nobel d’économie Friedrich Hayek avait réclamé que l’on mette fin au monopole monétaire des États et que l’on instaure une libre concurrence entre des devises supranationales émises par des acteurs du secteur privé. Parce que la monnaie est affaire de confiance, les citoyens peuvent estimer aujourd’hui plus rassurant d’utiliser des devises gérées par des Gafa en pleine santé financière que les monnaies « démonétisées » d’États surendettés. Il serait pour le moins paradoxal que de la pandémie, censée réhabiliter le rôle et la puissance de l’État face aux forces du marché, émerge un nouveau monde monétaire ultralibéral
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