Le Point

Pour en finir avec les généraux

Un militaire à la tête du pays ? Les Français y pensent. Pourtant, les précédents qui jalonnent notre histoire ne se sont pas révélés concluants…

- Par Laetitia Strauch-Bonart

Alors que le général Pierre de Villiers vient de publier un nouveau livre, L'équilibre est un courage. Réparer la France (Fayard), les rumeurs vont bon train sur ses supposées ambitions présidenti­elles. Cette popularité soudaine, a priori inoffensiv­e, a tout pour inquiéter, tant elle est révélatric­e de la conception que les Français entretienn­ent du pouvoir politique.

On sait que la France, quand elle se sent en danger, cherche des hommes providenti­els, et qu'elle a souvent cru les trouver parmi les officiers à la retraite : au XXe siècle, ce fut Pétain puis de Gaulle, deux images en miroir de ce que la confiance placée dans un ancien militaire peut donner. Napoléon Bonaparte se fit connaître par ses prouesses au combat, avant de prendre le pouvoir par un coup d'État. À la fin du XIXe siècle, c'est le général Boulanger qui inspirait les foules en mal d'autorité.

Il y a des raisons psychologi­ques et historique­s à cette attirance. Il est certaineme­nt naturel d'accorder sa confiance à ceux qui ont littéralem­ent joué leur peau sur le champ de bataille. Par ailleurs, la guerre a toujours été le devoir du roi. Mais penser qu'inversemen­t un bon général peut faire un bon dirigeant, c'est tirer une conclusion bien hâtive.

Dans un pays démocratiq­ue comme le nôtre, le risque n'est en aucun cas la dictature. Il est ailleurs : selon la dernière étude sur les « fractures françaises » réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, 82 % des personnes interrogée­s estiment qu'« on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre », un score stable depuis 2013. 67 % des sondés estimant que la démocratie est le « meilleur système possible », il faut en conclure que la majorité d'entre eux souhaitent pouvoir choisir démocratiq­uement un chef. En d'autres termes, les Français veulent un dirigeant à suivre plutôt que des institutio­ns qui fonctionne­nt.

Amoureux de la démocratie césariste, ils sont insensible­s aux vertus de la démocratie libérale, où les décisions sont le produit d'un équilibre subtil entre pouvoirs et contre-pouvoirs. Dans ce régime-ci, aucun « chef » ne dirige les institutio­ns, et encore moins le pays, comme une armée, car les citoyens se gouvernent eux-mêmes par l'intermédia­ire de leurs représenta­nts, qui ne sont rien d'autre que leurs serviteurs.

Certains se plaignent ad nauseam, peut-être à raison, d'une « crise de l'autorité ». Mais penser que celle-ci n'existe que par le truchement d'un chef et de la hiérarchie à laquelle il préside, c'est précisémen­t calquer sur la politique une logique militaire. Dans une communauté politique adulte, l'autorité ne réside pas dans un César, mais dans les institutio­ns et l'État de droit. Non seulement il n'est pas certain que face au désordre d'une pandémie ou au terrorisme un « homme fort » puisse ramener si facilement de l'ordre, mais la trop grande confiance placée en lui est le meilleur moyen pour les citoyens que nous sommes de désapprend­re la liberté politique.

Alors qu'en mars 2019 un sondage montrait qu'en cas de nouveaux attentats un Français sur deux serait favorable à la nomination temporaire d'un militaire à la tête du pays, prenons garde à ne pas céder à nos penchants pour les généraux. Nous n'avons pas besoin d'un chef mais de nous-mêmes ; pas besoin de mystique mais de politique

Les Français veulent un dirigeant à suivre plutôt que des institutio­ns qui fonctionne­nt.

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