Le Point

Les nouvelles idoles des jeunes

Les ados les adorent ; la télé, les marques, les maisons d’édition et de disque se les arrachent… Non, les youtubeurs ne sont pas ringards ! Tour d’horizon de ces stars du Web mi-entreprene­urs mi-artistes.

- PAR ÉMILIE TREVERT

C’est la copine que tous les ados (ou presque) rêvent d’avoir. Fraîche, pétillante, rigolote, elle adore se filmer en train de « faire des bêtises », se montrer sans fard et raconter sa vie sans filtre. Léna Mahfouf, alias Lena Situations, est un phénomène de société qui captive la jeune génération et désarçonne les parents. Star du Web et des réseaux sociaux à 22 ans (1,64 million d’abonnés à sa chaîne YouTube, 2 millions de followers sur Instagram), la jeune femme pulvérise les records de ventes en librairie avec son livre de développem­ent personnel Toujours plus (Robert Laffont), numéro un à la Fnac (près de 100 000 exemplaire­s vendus en un mois). Comment expliquer le succès de cette influenceu­se qui raconte comment elle a « pécho un crush » (eu un coup de foudre) devant 2,8 millions de personnes ou qui se filme menottée à son meilleur ami pendant vingt-quatre heures (5,4 millions de vues) ?

Dans ses vlogs (des blogs vidéo, donc), qui mêlent « pranks » (canulars), séances de shopping ou maquillage et confession­s intimes, on la surprend au réveil en mode « chum » (comprendre moche), on la retrouve en robe de soirée à LA, dans un hélico à Dubaï, en train de se faire tatouer la lèvre à New York, s’exerçant à la roue sur une plage de Mykonos, posant en sous-vêtements… Léna, l’hyperactiv­e, filme tout et tout le temps. Le plus souvent, elle met en scène son « squad » (sa bande de copains, voir ci-dessous) dans une ambiance sitcom digne de Friends (sa série préférée), son père en gentil « papa poule », son petit frère et son amoureux Sébastien, aussi youtubeur.

Elle assure le montage seule et ne se censure jamais : « J’suis à l’aise de parler de ma life », résume cette fille issue d’un milieu modeste qui a découvert YouTube à 18 ans pour se payer son école de mode. Aujourd’hui, Léna Mahfouf vit de ce métier : «créatrice de contenus». Elle ne monétise plus ses vidéos YouTube pour garder sa liberté et « pouvoir dire des gros mots » si ça lui chante. Malgré ses millions de fans, son titre d’influenceu­se pop culture 2019 reçu aux People’s Choice Awards, ses récentes collaborat­ions avec Dior ou Miu Miu (« Un privilège de ouf ! »), la vidéaste n’a pas pris la grosse

tête. Consciente que derrière les ■ chiffres il y a de « vrais gens », elle fait davantage attention à ce qu’elle dit. « C’est difficile, à 22 ans, d’être responsabl­e de 2 millions de personnes, alors que je ne suis même pas responsabl­e de moi-même ! » a-t-elle l’habitude de dire. Ce qui ne l’empêche pas de jouer sur le registre du clown autant que sur celui de la Barbie. « C’est sérieux ce que je fais pourtant, mais je crois que c’est ma tête qui fait rire ! » nous confie, lucide, cette pro de l’autodérisi­on. L’ancienne ado complexée par sa tignasse bouclée, au tempéramen­t un peu « sombre », adore rire et faire rire. « Si les gens sont contents, moi je suis contente ! » commente-t-elle dans une vidéo, après avoir offert des cadeaux (et de l’argent liquide) à ses fans dans la rue. Elle a un côté naïf et gentil. Pour elle, le qualificat­if est un compliment : « Être gentil, c’est trop cool ! » Cultivant l’optimisme, elle a inventé cette formule, qu’elle réplique sur sa collection de vêtements Jennifer : « + = + ».

Si elle s’enferme parfois dans la caricature de la « meuf superficie­lle », Léna, qui a passé un bac littéraire, n’est « pas si idiote », glisse-t-elle. Elle tente de faire passer des messages dans ses vidéos contre les discrimina­tions raciales et sexuelles, quitte à perdre des abonnés. Élevée par des parents artistes d’origine algérienne, elle se sent évidemment féministe – « Ce mot ne devrait même pas exister : on devrait tous l’être ! » – et prône le body positive.

Soyez comme vous êtes. Naturelle, elle se montre telle qu’elle est, avec ses « petits défauts », son léger cheveu sur la langue et ses boutons, parle de ses règles et de ses chagrins d’amour. Le conseil qu’elle prodigue à sa « communauté», qui a grandi avec elle et a aujourd’hui majoritair­ement entre 18 et 24 ans : « Soyez comme vous êtes ! » En jean déchiré ou crop-top. Le débat sur les « tenues républicai­nes » au lycée l’agace : « Je ne comprends pas que des hommes de 50 ans se permettent de dire si la tenue de filles de 13 ans est républicai­ne ou non! La vérité, c’est que leurs tenues peuvent déconcentr­er les garçons à l’école, mais on est où ? » Pour elle, le problème est ailleurs : c’est l’éducation des garçons qui doit changer.

Malgré un tenace « syndrome de l’imposteur » et les crises d’anxiété qui la guettent, Léna Mahfouf croit en sa bonne étoile. Ambitieuse et exigeante, elle veut continuer à faire ce drôle de métier et rêve de créer sa propre marque de vêtements, seule. Les propositio­ns ne manquent pas, mais hors de question pour elle de « poser [s]on nom sur une étiquette » ou d’accepter des projets télévisuel­s auxquels elle n’adhère pas : « J’aime trop ce que je fais pour tout gâcher ! » Les pieds sur terre, on vous dit

« Être gentil, c’est trop cool ! »

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