« Si une ville moyenne accueille 500 jeunes actifs, ça change sa physionomie »
Et si la crise actuelle signait le retour en grâce des villes moyennes, écosystèmes à taille humaine ? Jérôme Fourquet analyse ce phénomène.
La crise sanitaire et le confinement ont entraîné un exode urbain sans précédent. Un certain nombre de citoyens ont fait leurs valises et fui les métropoles pour s’installer au vert dans leur résidence secondaire ou maison de famille, montrant les limites de la concentration urbaine, a fortiori à l’occasion d’une pandémie. Depuis, les citadins sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur leur lieu de vie… Alors que les agents immobiliers constatent une appétence pour les villes moyennes et les maisons avec jardin, l’Ifop a mené une enquête d’opinion auprès des habitants des villes, pour le compte de l’association Villes de France et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, afin de mieux appréhender le rapport des Français aux villes moyennes. Politologue et directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop, par ailleurs théoricien de l’archipélisation, Jérôme Fourquet revient sur les résultats de cette enquête pour analyser ce flux migratoire
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Le Point: Avec le confinement, on a assisté à un exode métropolitain. La revanche des villes moyennes a-t-elle sonné?
Jérôme Fourquet:
Depuis plusieurs années, on observe une tendance à un début de rééquilibrage des flux démographiques au profit des villes moyennes et d’un certain nombre d’espaces périurbains. Ce mouvement se fait au détriment des grandes métropoles. Une frange de la population de ces grands centres urbains fait en effet le choix de partir vivre dans des espaces moins densément peuplés, à la fois pour des raisons de cadre de vie, de montée de la préoccupation environnementale, de stress et bien sûr de hausse des prix de l’immobilier. Le développement des solutions techniques permettant le télétravail a facilité ce début très partiel de rééquilibrage. La crise sanitaire a été une sorte de catalyseur qui a renforcé le sentiment que le cadre urbain pouvait être anxiogène et augmenter le risque épidémique. L’air du temps plaidait déjà pour des villes à taille humaine où on a de la
place et un jardin, la crise et le confinement ont consolidé cette envie d’habiter une ville moyenne.
Cette envie est-elle désormais majoritairement partagée?
Selon notre enquête réalisée en août sur le rapport aux villes moyennes, 84 % des Français considèrent qu’habiter dans une ville de taille moyenne est préférable au fait d’habiter dans une grande métropole. Et 50% de ceux qui habitent une ville de plus de 100 000 habitants souhaitent vivre dans une ville moyenne, 30 % dans une grande ville, 13 % dans une petite ville et 7 % dans un territoire rural. En termes de souhaits, les villes moyennes ont la cote. Les grandes métropoles ont perdu de leur superbe : un certain nombre de leurs habitants se disent qu’à tout prendre ils préféreraient vivre ailleurs. Une série d’articles parus après le confinement ont mis en lumière le rush des habitants des grandes villes sur les résidences secondaires dans certaines régions.
Allons-nous observer une accélération de l’exode métropolitain?
Dans l’imaginaire collectif, notamment celui des jeunes urbains, la tentation d’un retour à la ville moyenne et à la campagne est assez présente. Mais vont-ils vraiment franchir le pas ? Et seront-ils nombreux à le faire ? Si l’on regarde notre sondage, seuls 23 % des actifs vivant dans des villes de plus de 100 000 habitants souhaitent déménager de leur logement actuel, dont seulement 10 % répondent « oui, tout à fait ». Si l’on extrapole, ces 10 % représentent 400000 individus. S’ils passent à l’acte, cela représente de quoi repeupler un certain nombre de villes moyennes. Mais le mouvement ne sera pas aussi massif que certains le disent ou l’espèrent. Il sera cependant réel et pourra permettre le développement d’un certain nombre de territoires. Car, si une ville moyenne accueille ne serait-ce que 500 jeunes actifs, cela change sa physionomie.
Quels sont les freins?
Il existe un certain nombre de forces de rappel. C’est bien sympa, le télétravail, et on était bien dans la maison de famille pendant le confinement, mais cela a été possible parce qu’il n’y avait pas d’école et qu’on ne pouvait pas se rendre au travail. Si le télétravail a été un outil très utile pour passer la période de confinement, se pose la question du recours permanent à ce système. Nos enquêtes montrent que les salariés aimeraient bien travailler à domicile un ou deux jours par semaine, mais qu’ils souhaitent continuer à se rendre dans leur entreprise pour échanger et travailler avec leurs collègues. Ainsi, tout le monde n’est pas prêt à basculer totalement dans le télétravail. Enfin, tous les emplois ne sont « télétravaillables ».
Toutes les villes moyennes vont-elles bénéficier de ce rejet des métropoles?
Il y a une énorme concurrence pour attirer ce public de jeunes actifs qui souhaitent quitter la grande ville. Il suffit pour le comprendre de regarder les campagnes publicitaires que mènent les territoires dans le métro parisien et les médias. Tous les
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territoires ne sont pas logés à la même enseigne ■ : ils n’ont en effet pas les mêmes atouts. Pendant le confinement, on a observé que les citadins partaient plutôt s’installer dans des zones touristiques et, en particulier, sur le littoral. Toutes les villes moyennes ne vont donc pas prendre leur revanche : une hiérarchie darwinienne va se mettre en place. Pour attirer, il faut que la ville se situe dans une zone agréable à vivre, donc en général déjà touristique, près de la mer, de la montagne ou dans une campagne préservée avec un certain cachet. Il faut que la météo soit clémente et que les réseaux de transport (TGV notamment) et de communication (fibre et 5G) soient à la hauteur. Les villes qui ne sont pas trop loin d’une grande métropole seront les plus convoitées – notamment si le travail demande de faire des allers-retours dans l’entreprise et si les enfants ont l’âge de suivre des études supérieures.
Pour accompagner le phénomène, faut-il une nouvelle politique d’aménagement du territoire?
Il y a déjà une politique de redistribution financière et sociale très appuyée pour tous les territoires. Car, si l’on parle beaucoup du départ des services publics dans les petites villes, il y a encore des écoles, des hôpitaux et des bureaux de poste dans toutes les villes moyennes. Reste que, pendant longtemps, ce sont l’industrie et l’armée qui ont aménagé le territoire en France. Beaucoup de villes moyennes tournaient car il y avait des industries traditionnelles et/ou des garnisons. Aujourd’hui, beaucoup ont été fermées : il n’y a plus d’usines et plus de casernes… Je pense que l’État doit compenser en poursuivant la déconcentration de ses structures. Avec la montée en puissance du télétravail, il peut favoriser le déploiement d’un certain nombre d’administrations déconcentrées dans les villes moyennes qui sont a priori moins attractives. Il faut que la politique d’aménagement du territoire vienne compenser la main invisible du marché, qui a tendance à servir les endroits les plus touristiques ou les plus prisés.
L’exode vers les villes moyennes peut-il faire baisser le sentiment de déclassement?
Tout dépend de l’ampleur des transferts qui seront opérés. Il ne faut jamais oublier que le nerf de la guerre, c’est l’activité économique. Quel travail font
ces gens qui viennent s’installer, et cela peut-il créer une dynamique ? Le phénomène de concentration du capital, de l’innovation et des cerveaux observé dans les métropoles ne va pas s’arrêter net. Il peut y avoir un rééquilibrage au profit de certaines villes moyennes qui peut rimer avec une baisse du sentiment de déclassement des habitants. Mais, encore une fois, cela concernera majoritairement celles qui ont des atouts touristiques et économiques. La consultante, le startupeur ou le caviste bio en reconversion ne viendront pas s’installer dans les villes désindustrialisées du nord-est du pays ou dans des sous-préfectures enclavées.
Et dans les autres?
Dans certaines villes qui ne sont pas les plus désirables mais qui sont situées entre 50 et 100 kilomètres d’une grande métropole, on assiste depuis plusieurs années à une hausse de la population. Cependant, si ces communes attirent des gens, ce ne sont pas nécessairement ceux qu’elles voudraient, mais une population très modeste vivant souvent d’aides sociales, qui fuit les grands centres urbains parce que les loyers et le coût de la vie y sont trop élevés. Cet afflux ne dynamise pas le territoire et peut renforcer le phénomène de paupérisation endogène
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Toutes les villes moyennes ne vont pas prendre leur revanche : une hiérarchie darwinienne va se mettre en place.