Salomé Berlioux, la pasionaria des campagnes
Mission. La jeune femme creuse son sillon à Paris afin de promouvoir la jeunesse rurale.
N’allez pas croire que le bonheur est dans le pré ! Salomé Berlioux vous met en garde: «Avec la crise, on parle de la revanche des campagnes, j’attends de voir, lance cette trentenaire alerte qui se bat pour la promotion de la jeunesse rurale. Pensez-vous que dans les six prochains mois les Parisiens vont s’installer dans le Morvan par la grâce du télétravail ? Cela suppose une ligne de train qui fonctionne et une bonne connexion Internet. Arrêtons de nous focaliser sur ceux qui vont en TGV télétravailler d’Aix-en-Provence ou d’Uzès ! »
Salomé Berlioux est née en SeineSaint-Denis, mais, alors qu’elle a 1 an, en 1989, ses parents s’installent dans un village de 2 000 habitants, Lurcy-Lévis, près de Moulins, dans l’Allier. À 18 ans, grâce à une bourse, elle monte à Paris pour suivre un master d’histoire, de philosophie et de lettres à l’École normale supérieure, puis intègre Sciences Po. Elle devient chargée de mission à l’Élysée auprès d’Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande, puis plume de Jean-Marc Ayrault au Quai d’Orsay. Quand Emmanuel Macron accède au pouvoir, on la sollicite pour des cabinets ministériels. Elle refuse. Sa vie est ailleurs : l’association Chemins d’avenirs, qu’elle a fondée en 2016, a pour objectif de permettre aux jeunes des zones rurales et des petites villes de réaliser leur projet professionnel, académique et citoyen. « Ces jeunes cumulent les handicaps, souligne-telle. Ils manquent d’opportunités à proximité de leur domicile, ils s’autocensurent, sont assignés à résidence et subissent la fracture numérique. »
Selon les chiffres de Salomé Berlioux, les villages et bourgs (moins de 2 000 habitants) rassemblent 23 % des moins de 20 ans, et, en comptant les petites villes, cela fait 10 millions de Français. Pourtant, ces « invisibles de la République », titre de son premier ouvrage publié en 2019 (avec Erkki Maillard, chez Robert Laffont), forment « l’angle mort des politiques publiques ». Au début, Salomé prêche dans le désert, frappant en vain aux portes des ministères et des grandes entreprises. « On me faisait comprendre que ce n’était pas prioritaire, se souvient-elle. Depuis, la crise des Gilets jaunes est passée par là… » Chemins d’avenirs emploiera 15 salariés à partir de janvier 2021, et son budget est financé à 90% par des entreprises privées comme Michelin, EDF, Vinci, France Télévisions, La Poste…
Appuis solides. Et Salomé Berlioux est désormais écoutée au sommet du pouvoir, surtout depuis que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, lui a commandé un rapport sur la jeunesse en milieu rural, qu’elle a remis en mars. La voici convoquée par Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction et de la Transformation publiques, Élisabeth Moreno, sa collègue déléguée à l’Égalité entre les femmesetleshommes,àlaDiversité et à l’Égalité des chances, les plus prochescollaborateursduprésident à l’Élysée, Alexis Kohler et Anne de Bayser… Elle bénéficie maintenant d’appuissolidesdanslescollectivités locales et les rectorats. « Il faut aller chercher les jeunes des territoires, ceux qui ont l’accent, portent mal le costume, n’ont pas les codes culturels et sociaux », dit cette missionnaire méthodique qui vient de publier Nos campagnes suspendues. La France périphérique face à la crise (Éditions de l’Observatoire), plongée chez les patrons de PME, les commerçants, les petits fonctionnaires, ceux qui (sur) vivent des minima sociaux loin des centres de décision. « Quand on est une fille d’agriculteurs dans la Creuse, pour avoir accès aux métiers scientifiques et du numérique, il faut s’accrocher ! » résume Salomé Berlioux qui creuse son sillon à Paris. Il peut la mener loin
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« Il faut aller chercher les jeunes qui ont l’accent, portent mal le costume, n’ont pas les codes. »