Le Point

Urgences, tout ce qui cloche

Exclusif. Le Point a pu exploiter les données des passages dans ces services.

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Depuis trois semaines, la même affiche est scotchée sur la vitre de tous les ascenseurs de l’établissem­ent : « Les urgences de l’hôpital Purpan du CHU de Toulouse n’accueillen­t plus les patients se présentant d’eux-mêmes, sans signe de gravité, pour des soins médicaux ou chirurgica­ux. Il vous est recommandé de contacter votre médecin traitant ou le 15. » En cette période de recrudesce­nce du Covid-19 partout en France, il faut libérer de la place. Mais ce n’est pas la seule raison. Le premier centre des urgences de France par son nombre de passages – 171 000 en 2019 sur ses trois sites – avec ses 600 soignants, dont 110 médecins, et ses deux hélicoptèr­es qui vrombissen­t dans le ciel, est aussi celui qui accueille le plus grand nombre d’urgences… non urgentes. Ici, 46 500 passages, soit près d’un tiers (27 %) de l’activité, relèvent de ce que l’on nomme « la bobologie », plus du double de la moyenne nationale (12,3 % dans le secteur public).

C’est l’une des informatio­ns glanées dans la base de données des résumés de passage aux urgences (RPU) de l’année 2019, une des composante­s du Système national des données de santé (SNDS) obtenue après une autorisati­on de la Cnil et dont l’exploitati­on, pour la première fois, permet de dresser un panorama de 564 sites d’urgences, publics et privés. Ce recueil de données contient en effet des informatio­ns sur les patients – sans que leurs noms et leurs numéros de sécurité sociale y soient mentionnés – plus précises que dans les bases administra­tives existantes. Âge, sexe, répartitio­n des causes d’hospitalis­ation, diagnostic­s, des plus légers aux plus graves, part des admissions après passage aux urgences dans les services de l’hôpital, de quoi réaliser une photograph­ie plus fine d’un secteur plutôt rétif au codage de son activité. En croisant cette base avec celle, ad

ministrati­ve, de la SAE, 95 % des passages aux urgences de l’année 2019 figurent dans ce recueil, une poignée d’établissem­ents, majoritair­ement des petits centres, ne remplissan­t toujours pas les RPU malgré l’obligation en vigueur depuis 2013. Carton rouge également pour certains sites de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, dont la transmissi­on d’informatio­ns est parfois sommaire. Au total, 20,7 millions de passages sont renseignés, dont 3 millions assurés par le secteur des cliniques privées.

Le record de l’hôpital de Toulouse est à peine une surprise pour la Pr Sandrine Charpentie­r, à la tête des urgences adultes du CHU. « C’est l’“effet tramway”, expliquet-elle. Il arrive devant la porte de Purpan. Cela a ajouté 10 % de patients. Et puis il y a une vieille tradition toulousain­e de recours aux urgences. »

Le procédé consistant à demander aux patients non urgents de ne pas se présenter à Purpan est, de fait, régulièrem­ent employé lors des épidémies hivernales. Et cela fonctionne, du moins quelque temps. « À chaque fois, le nombre de patients diminue dans des proportion­s variables. Ce week-end, par exemple, cela a été plutôt calme. » Seul moyen d’atténuer ce flot de patients qui engorge le système : « Favoriser au sein du réseau territoria­l la prise en charge des patients ne relevant pas de l’urgence “vraie” : élargir les périodes d’ouverture de maisons médicales proches des services d’urgence ; organiser au sein du territoire des filières spécifique­s comme la traumatolo­gie dite “petite” », recommanda­it en 2015 le Dr Jean-Yves Grall dans son rapport sur la territoria­lisation des activités d’urgence.

Sans surprise, ce sont les centres les plus actifs qui accueillen­t le plus de ces cas légers, regroupés dans la première des cinq catégories permettant de caractéris­er la gravité des patients, avec « un état clinique jugé stable et l’abstention d’acte complément­aire diagnostiq­ue ou thérapeuti­que ». À Paris, c’est l’Hôpital européen Georges-Pompidou qui en traite le plus (39 %), à Lyon, l’hôpital Édouard-Herriot (30,55 %). En 2019, 2,3 millions de passages relevaient ainsi de la bobologie, demande qui a le plus augmenté ces dix dernières années, entraînant l’embolie de bon nombre de services des urgences. Et en y ajoutant les patients qui auraient pu bénéficier d’examens en ville, la Cour des comptes, dans son rapport 2019 sur la Sécurité sociale, estime « qu’environ entre 10 et 20 % des patients actuels des urgences hospitaliè­res ne devraient pas fréquenter ces structures, et qu’une médecine de ville mieux organisée et dotée des outils idoines devrait pouvoir accueillir une proportion plus importante de ces patients ». Mais les magistrats remarquent que pour les établissem­ents de soins, cet afflux de patients a aussi son avantage, car ils gonflent leurs finances : « Le dispositif tarifaire complexe incite

« C’est l’“effet tramway”. Il arrive devant la porte de Purpan. Cela a ajouté 10 % de patients », explique la Pr Sandrine Charpentie­r.

à l’activité au lieu d’encourager ■ les efforts de régulation, ajoutentil­s. Dans le cadre actuel du financemen­t des urgences, la croissance du nombre de passages permet aux établissem­ents de dynamiser leurs recettes alors que le report d’une partie évitable des passages sur la médecine de ville, porteur d’économies pour l’Assurance maladie, est financière­ment pénalisant pour eux. » Et de donner l’exemple de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, premier centre d’urgences pédiatriqu­es de France selon les RPU, avec près de 90 000 passages annuels. Vertueux, celui-ci a organisé sa filière d’urgences afin de réorienter une partie des patients qui se présentent vers une maison de santé partenaire. Manque à gagner : 2,3 millions d’euros par an pour avoir orienté 20 000 de ses passages légers vers une autre structure.

«Un système à bout de souffle ». Ce sont aussi les grands centres qui reçoivent le plus de patients aux extrémités des deux âges de la vie. Les enfants et adolescent­s, (5,47 millions de passages) et les personnes âgées (2,8 millions). Mais si l’on regarde les chiffres en pourcentag­e de l’activité totale, c’est une autre carte de France qui se dessine. Les services des urgences des petits hôpitaux de Vire, de Douarnenez et d’Aubusson, avec 25 % de patients de plus de 75 ans, affichent près du double de la moyenne nationale (13,4 %). Du côté des enfants, ce sont les hôpitaux parisiens, recours de toute l’Île-de-France et parfois au-delà, qui sont les plus fréquentés.

Loin des monstres hospitalie­rs se pose la question – cette fois au niveau de la sécurité – du « maintien de certains services d’urgence en notoire sous-activité » selon les magistrats. En 2019, 64 services d’urgence publics ont vu moins de 40 patients par jour et 20 d’entre eux en ont accueilli moins de 10 000 dans l’année. Premiers visés, ceux dont l’activité est insignifia­nte en « nuit profonde » (entre minuit et 8 heures du matin). Au niveau national, 6,24 % de l’activité des urgences se déroule durant ces huit heures. Mais quand une quarantain­e de patients passent chaque nuit aux urgences du CHU de Toulouse – celui qui en voit le plus –, 33 établissem­ents publics et privés n’ont pas vu un patient chaque nuit de l’année. Ils mobilisent pourtant des ressources d’urgentiste­s dont on a cruellemen­t besoin ailleurs, en cette période de pénurie médicale. « La transforma­tion de ces services des urgences en centres de soins non programmés, comme c’est déjà le cas sur certains sites, devrait être plus largement envisagée », recommanda­ient les magistrats de la Cour qui livraient, dépités, la même conclusion que tous ceux amenés à se pencher, ces vingt dernières années, sur l’éternel problème des urgences : « Malgré les efforts entrepris pour réorganise­r le circuit des patients dans les services des urgences, le système actuel semble à bout de souffle »

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Héliporté. Un blessé est transféré par hélicoptèr­e au CHU de Toulouse (hôpital Purpan) par une équipe du Samu 31.
 ??  ?? Abus. Prise en charge aux urgences du CHU de Toulouse. L’établissem­ent est celui qui reçoit le plus de patients en « nuit profonde » (de minuit à 8 heures).
Abus. Prise en charge aux urgences du CHU de Toulouse. L’établissem­ent est celui qui reçoit le plus de patients en « nuit profonde » (de minuit à 8 heures).

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