Le Point

Endométrio­se : comment en finir avec les dérives

À Bordeaux, la clinique Tivoli-Ducos prend en charge cette maladie trop souvent mal soignée.

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La première opérée du jour vient de Gironde, la deuxième de Tours, la troisième de Roumanie, la quatrième et dernière des Pyrénées-Atlantique­s. Qu’est-ce qui réunit toutes ces femmes à la clinique Tivoli-Ducos, à Bordeaux, en cette fin d’été ? L’endométrio­se. « C’est une pathologie qu’on ne comprend pas bien », prévient d’emblée le Pr Marcos Ballester, qui vient de prendre la direction du service de chirurgie gynécologi­que et mammaire du groupe hospitalie­r Diaconesse­s-Croix-Saint-Simon, à Paris, après avoir exercé à l’hôpital Tenon (AP-HP), hyperactif dans ce domaine.

L’endomètre est le tissu qui tapisse l’intérieur de l’utérus et dans lequel peut s’implanter, lors de chaque cycle menstruel, un ovule fécondé. En l’absence de fécondatio­n, il se détache par petites lamelles, ce qui provoque les règles. L’endométrio­se, maladie qui persiste dans le temps, consiste en la présence en dehors de l’utérus de fragments de tissu identique à l’endomètre. Ces lésions, absolument non cancéreuse­s, de quelques dizaines de microns à plusieurs centimètre­s, se localisent dans la cavité abdomino-pelvienne et peuvent s’incruster dans son enveloppe – le péritoine – ou ses organes – le tube digestif, la vessie, le vagin, les ovaires, les conduits urinaires, le diaphragme et des nerfs comme le nerf sciatique. « Cette maladie concerne les femmes en âge de procréer. L’augmentati­on au cours de leur vie du nombre de règles, due à l’âge de plus en plus élevé de la première grossesse et à la réduction des périodes d’allaitemen­t, a pu avoir un impact sur la hausse du nombre de patientes affectées », avance le Pr Horace Roman, qui a rejoint la clinique après avoir travaillé au CHU de Rouen.

La croissance et la multiplica­tion de ces lésions d’endométrio­se ainsi que la multiplici­té des symptômes qui leur sont associés sont rythmées par les menstruati­ons. Rencontrée en consultati­on lors de notre deuxième journée à la clinique bordelaise, Béatrice* souffre de plus en plus lors de chaque épisode et déclare des signes digestifs, des selles très fréquentes. « Depuis quatre ans, je vais d’un médecin à l’autre, j’enchaîne les examens », ditelle. Une certaine errance pour établir le diagnostic marque le parcours de nombre de ces patientes. Il faut dire que cette pathologie – dont les femmes parlent beaucoup entre elles, qui a suscité la création de plusieurs associatio­ns et fait l’objet de nombreux livres – est encore peu connue du corps médical. «Il n’y a que depuis quinze ou vingt ans que les médecins et la société ont enfin affirmé qu’il n’est pas normal que les femmes aient, sans raison, mal au ventre tous les mois au point que leur quotidien soit perturbé», reconnaît le Pr Hervé Fernandez, chef du service de gynécologi­eobstétriq­ue de l’hôpital Bicêtre, au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne).

Expérience pilote. « On est souvent mal orientées », reproche Julie, opérée quatre fois avant de subir la bonne interventi­on. Sophie souffrait de troubles digestifs et urinaires, ainsi que douleurs lors des rapports sexuels. Patricia, outre des règles très abondantes et douloureus­es, a mal à la fesse et le long de la jambe jusqu’au pied, comme si elle avait une sciatique. Cette variété de symptômes, couplée à une certaine méconnaiss­ance du corps médical – qui s’atténue, la maladie étant maintenant enseignée lors du cursus universita­ire –, peut conduire à des passages répétés aux urgences, à de mauvais diagnostic­s (« C’est une appendicit­e », a-t-on pu avancer) et à des traitement­s inadaptés. Selon l’associatio­n de lutte contre l’endo

Une variété de symptômes qui peut conduire à des passages répétés aux urgences, à de mauvais diagnostic­s ou à des traitement­s inadaptés.

métriose EndoFrance, il faut sept ans en moyenne pour diagnostiq­uer la maladie. « Nous observons principale­ment deux dérives : des patientes adultes sur lesquelles on pratique des interventi­ons coelioscop­iques inutiles – et souvent répétées – entre deux cures de ménopause artificiel­le, et des adolescent­es opérées alors que ça doit être absolument exceptionn­el », dénonce le Pr Marcos Balleste.

La création de centres experts est ainsi devenue une nécessité afin d’assurer une prise en charge optimale des formes sévères et non sévères de la maladie. Au Danemark, dès 2005, seuls deux centres de référence (à Aarhus et à Copenhague) ont été autorisés à soigner les patientes souffrant d’endométrio­se profonde. Depuis quelques années, en France, le CHU de Rouen mène une expérience pilote. Au centre du réseau se trouvent différente­s équipes de cet hôpital universita­ire : celles de gynécologi­e, de médecine de la reproducti­on, de chirurgie digestive et urologique, d’imagerie, de gastroenté­rologie et de lutte contre la douleur. Des réunions mensuelles pluridisci­plinaires et régionales sont organisées avec des praticiens de 17 établissem­ents publics et privés normands. De 15 à 20 dossiers sont alors discutés, ce qui conduit à des prises en charge personnali­sées. L’expérience a donné lieu à une publicatio­n il y a deux ans. Entre 2013 et 2018, 2 066 femmes à qui on avait diagnostiq­ué cette maladie ont été hospitalis­ées au CHU. Parmi elles, 615 ont été opérées pour une forme colorectal­e. De plus, les trois quarts des interventi­ons ont été menées par des chirurgien­s de diverses spécialité­s. Enfin, l’acte de préservati­on ovocytaire de la fertilité a été effectué à 50 reprises. Conclusion :«Cette expérience a contribué à l’améliorati­on de la prise en charge de la maladie en Normandie. » Autre leçon : « Au CHU de Rouen, le nombre total de consultati­ons pour l’endométrio­se est d’environ 1500 par an, ce qui est largement insuffisan­t par rapport à la demande de soins dans la région. Il est, par conséquent, indispensa­ble que la prise en charge des patientes se fasse en réseau sur plusieurs établissem­ents publics ou privés. » L’idée d’organiser de telles filières et de les financer a été mise entre parenthèse en 2019.

« L’important, c’est que les femmes soient vues par des équipes pluridisci­plinaires », insiste le Dr Benjamin Merlot, l’autre chirurgien spécialisé de la clinique Tivoli-Ducos, qui a bâti un projet sur ces principes. Il coordonne ce matin-là une activité d’hospitalis­ation de jour. Laura, 22 ans, a eu un parcours tumultueux avant d’être finalement opérée il y a quelques mois au CHU de Bordeaux. Mais elle se plaint de rapports sexuels douloureux. Pendant quatre heures, elle enchaîne les rendez-vous : échographi­e, consultati­on avec la spécialist­e de la douleur, la kinésithér­apeuteosté­opathe et la psycho-sexologue. Verdict : l’opération a été bien menée, aucune nouvelle interventi­on ne s’impose, un suivi ostéopathi­que et psycho-sexologiqu­e devrait être bénéfique à cette jeune femme hypertoniq­ue et hyperémoti­ve

■ Les prénoms ont été changés.

 ??  ?? Diagnostic. Consultati­on au centre d’endométrio­se de la clinique Tivoli-Ducos (ici avec le Dr Benjamin Merlot). L’équipe du centre tente de mieux comprendre les mécanismes de cette maladie fréquente qui touche 10 % des femmes en âge de procréer.
Diagnostic. Consultati­on au centre d’endométrio­se de la clinique Tivoli-Ducos (ici avec le Dr Benjamin Merlot). L’équipe du centre tente de mieux comprendre les mécanismes de cette maladie fréquente qui touche 10 % des femmes en âge de procréer.
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Chirurgie. Il est parfois nécessaire d’opérer pour soigner les formes les plus sévères de cette pathologie. La coeliochir­urgie est alors privilégié­e. Ci-dessus, le Pr Horace Roman mène l’interventi­on.

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