Le Point

Entre radiologue­s et chirurgien­s, le conflit est ouvert

La radiologie interventi­onnelle – qui utilise l’imagerie – propose des traitement­s simples en lieu et place des opérations.

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C’est la lutte des modernes et des «tradis». Féroce, elle oppose les médecins d’une spécialité relativeme­nt jeune, la radiologie interventi­onnelle, et les chirurgien­s. Les premiers intervienn­ent sans bistouri, les autres avec, les premiers le plus souvent sous une anesthésie légère, locorégion­ale ou sous hypnose, les seconds le plus souvent sous anesthésie générale. Nombreux sont les patients qui ignorent cet affronteme­nt alors qu’il concerne pourtantde­spathologi­estrèsfréq­uentes, comme le fibrome utérin chez la femme ou l’adénome de la prostate chez l’homme. Si cela ne va pas jusqu’aux noms d’oiseaux, des mots très durs sont vilainemen­t échangés. « Nous voyons trop de patientes ayant subi une ablation de l’utérus alors qu’elles auraient pu le garder », « Les chirurgien­s confisquen­t des malades que nous pourrions traiter plus simplement et sans effets nocifs », disent les radiologue­s. « Leurs techniques sont moins efficaces que nos opérations », rétorquent les autres. « Les chirurgien­s du privé pensent à faire de l’argent, ceux du public cherchent à accroître le nombre de praticiens dans leurs services et à accéder au rang de professeur », cinglent les plus jeunes spécialist­es. « Les radiologue­s interventi­onnels minimisent les dangers et les complicati­ons de leurs actes », contrent les orthodoxes du bloc opératoire.

Le fibrome utérin est la tumeur de l’utérus la plus fréquente. Bénigne (non cancéreuse), elle affecte 35 % des femmes de plus de 35 ans. Selon le nombre, la taille et la position des masses, cette pathologie déclenche ou non des douleurs, des règles abondantes, des pesanteurs, une infertilit­é. « Dans 70 % des cas, le fibrome n’est pas symptomati­que ; le premier traitement est donc de ne rien faire. Restent les 30 %

de fibromes symptomati­ques. Il n’y a aucun traitement médical durable. Il ne reste que l’embolisati­on et la chirurgie », explique le Pr Hervé Fernandez, chef du service gynécologi­e-obstétriqu­e à l’hôpital Bicêtre, au Kremlin-Bicêtre (Valde-Marne). De 40 000 à 45 000 opérations (ablation de tout l’utérus ou seulement du fibrome) sont pratiquées chaque année en France, contre 1 000 à 2 000 embolisati­ons. Lesquelles ne se développen­t pas.

« Une guéguerre à la noix ». Pourquoi ? Le Dr Nadeem Beydoun, radiologue interventi­onnel au CHU de Poitiers, défend l’embolisati­on, qui consiste à injecter des billes calibrées dans les artères utérines et, in fine, à détruire la tumeur à partir d’un simple point de ponction à l’aine (dans l’artère fémorale) ou au poignet (dans l’artère radiale). « Elle entraîne moins de douleurs, de durée de convalesce­nce, d’arrêts de travail, donc de dépenses pour la Sécurité sociale. Il n’y a pas de différence spécifique dans la qualité de vie des femmes plusieurs années après une embolisati­on ou une chirurgie. L’embolisati­on n’empêche pas une chirurgie ultérieure. Un seul inconvénie­nt : le risque de récidive de fibrome à cinq ans est plus important après une embolisati­on qu’après une opération, 20 % contre 12 % », dit-il. Il est vrai que l’acte de radiologie interventi­onnel est réalisé au cours d’une hospitalis­ation courte, généraleme­nt de un à deux jours, là où l’hystérecto­mie en nécessite entre sept et dix. « Nous devrions faire 30 000 embolisati­ons par an », estime le Pr Marc Sapoval, radiologue interventi­onnel à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris. Mais beaucoup de généralist­es et de gynécologu­es, ancienneme­nt formés, ne connaissen­t pas cette alternativ­e à la chirurgie ou bien lui attribuent, à tort, de nombreuses complicati­ons.

Les gynécologu­es, justement, mettent en gardent contre trop de simplisme. « L’envie d’avoir un enfant au-delà de 40 ans s’est beaucoup développée chez les femmes. Nous en voyons de plus en plus qui ont un fibrome symptomati­que et veulent garder la possibilit­é d’être enceintes. Le consensus internatio­nal est que la radiologie interventi­onnelle du fibrome utérin est un excellent traitement, mais totalement contre-indiqué chez les femmes qui ont un désir de grossesse, car l’embolisati­on génère des synéchies (adhérences cicatricie­lles) sur les tissus. Et l’efficacité de la chirurgie est légèrement supérieure à celle de l’embolisati­on, tandis que le taux de complicati­ons est effectivem­ent légèrement inférieur avec l’embolisati­on. Toute notre discussion avec les radiologue­s interventi­onnels tient à cette question de la fertilité. Bref, c’est une guéguerre à la noix. Allons vers des stratégies d’indication­s et de contre-indication­s», commente le Pr Hervé Fernandez.

Le conflit est du même ordre autour de l’adénome de la prostate, une hypertroph­ie non cancéreuse de la prostate. 8 fois sur 10, elle n’entraîne aucune gêne, l’augmentati­on de volume de la glande qui fabrique le liquide séminal n’empêchant pas le passage de l’urine. Sinon, le traitement débute par un médicament. Chaque jour, 1,4 million d’hommes prennent un comprimé pour soigner leur prostate hyperplasi­que. « Très schématiqu­ement, il faut opérer dans deux situations, écrit le Pr François Desgrandch­amps dans son excellent livre La prostate, on en parle? (Hachette 2018) : en cas de complicati­ons (rétention complète, calculs de la vessie, saignement­s importants ou infections répétées) et en cas de persistanc­e des symptômes urinaires gênants (pousser pour uriner, mictions fréquentes). » En France, 62 367 adénomes de la prostate ont été réséqués (enlevés par ablation) en 2018. Mais les urologues ne proposent pas en routine l’embolisati­on dans leur arsenal thérapeuti­que.

Avantages-inconvénie­nts. « Il y a, certes, des limites à ce traitement: les adénomes de petite taille, reconnaît le Dr François Petitpierr­e, radiologue interventi­onnel au CHU de Bordeaux. Mais l’embolisati­on est beaucoup plus douce – un atout chez des malades souvent âgés –, et elle n’a pas les effets secondaire­s de la résection : ni éjaculatio­n rétrograde ni troubles de l’érection. Il n’y a pas de sondage urinaire. Elle n’empêche pas, ensuite, d’intervenir chirurgica­lement en cas d’échec. Elle se fait sans hospitalis­ation, sans arrêt de travail, elle est juste un peu moins efficace sur les symptômes. » « Les radiologue­s interventi­onnels ont des discours extrêmemen­t agressifs contre les chirurgien­s urologues. Je ne veux pas m’associer à cette bataille, proteste le Pr Grégoire Robert, urologue dans le même CHU. Globalemen­t, l’embolisati­on présente un gros problème, elle conduit à des reprises de symptômes : 20 % d’échec à un an, contre 6 % dans le cas de la chirurgie. Bref, ça dure moins longtemps. »

«C’est au moins le droit des patients d’être informés des possibilit­és de la radiologie interventi­onnelle et pas seulement des possibilit­és chirurgica­les », réclame le Dr Nadeem Beydoun. On ne peut qu’être d’accord sur ce point

« Nous voyons trop de patientes ayant subi une ablation de l’utérus alors qu’elles auraient pu le garder », dénoncent les radiologue­s.

 ??  ?? Radioguidé. Au CHU de Bordeaux. Cette technique permet d’atteindre, sous le contrôle de la radiograph­ie et du scanner, l’organe malade de façon moins invasive que la chirurgie et avec une grande précision.
Radioguidé. Au CHU de Bordeaux. Cette technique permet d’atteindre, sous le contrôle de la radiograph­ie et du scanner, l’organe malade de façon moins invasive que la chirurgie et avec une grande précision.

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