Succès et excès de la cardio logie interventionnelle
Difficile équilibre entre les unités de soins suractives et celles manquant de patients.
C’est une de ces affaires qui agitent régulièrement le petit monde de la cardiologie interventionnelle, et dont celui-ci se serait bien passé, surtout à la veille de la publication de décrets visant à mieux réguler cette discipline. Deux cardiologues du Centre hospitalier régional d’Orléans, déjà empêchés d’exercer dans le secteur libéral en août, viennent de se voir interdire de pratiquer des dilatations coronaires en raison de leur activité débridée. Récemment engagés, ils étaient parvenus à démultiplier le nombre d’interventions réalisées dans l’établissement, faisant même de l’hôpital du Loiret le deuxième de France en activité.
Le service se distinguait aussi, selon les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), comme celui qui opérait le plus grand nombre de patients à plusieurs reprises, spécialité des deux médecins qui aimaient à « feuilletonner les interventions » malgré les risques : « Le feuilletonnage coûte plus cher mais le patient est gagnant », s’est défendu maladroitement l’un des médecins dans les colonnes de La République du Centre, quotidien régional qui a dévoilé l’affaire. De tels chiffres ont rapidement attiré l’attention de l’Agence régionale de santé (ARS) et de la direction de l’établissement, qui ont mandaté les experts du Groupe athérome et cardiologie interventionnelle (Gaci) de la Société française de cardiologie. Ceux-ci ont relevé « des revenus hors normes », « une activité débordante » qui fait figure de « record national » et des « pratiques déviantes ». Un rapport accablant qui a abouti aux sanctions prises contre les deux praticiens, qui contestent toutes ces charges.
Pour éviter de tels dérapages, les cardiologues du Gaci ont décidé de mettre en place un registre national avec l’appui de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de l’ARS AuvergneRhône-Alpes qui rassemblera le maximum d’informations sur les actes pratiqués, afin, notamment, d’évaluer leur pertinence. Au CHU de Toulouse, berceau de la discipline et premier de notre classement, cette supervision existe depuis deux ans . « En Occitanie, nous avons un groupe de travail avec l’ARS qui examine toutes les données du patient avant que nous réalisions les angioplasties programmées. Nous envoyons une fiche qui démontre qu’il y a bien des signes de souffrance cardiaque », explique le Pr Didier Carrié, doyen de la faculté de médecine de Toulouse qui dirige le service de cardiologie, avant de résumer le principal problème de la discipline : « Nos centres de cardiologie interventionnelle ont été créés pour combattre la phase aiguë de l’infarctus, car il ne faut pas perdre de temps : le délai est de quatre-vingt dix minutes entre le diagnostic et la revascularisation. Le problème, c’est qu’à un moment il y a eu une course aux armements et trop de centres ouverts. »
Selon les derniers décomptes du Gaci, 200 établissements de soins métropolitains, soit les deux tiers des hôpitaux publics et un tiers des
cliniques, sont autorisés à pratiquer la dilatation des artères coronaires grâce à un ballonnet monté dans les artères – fémorale ou radiale –, puis à la pose d’un petit ressort, le stent. D’après le PMSI, un tiers des 180 000 angioplasties réalisées en 2018 l’ont été en urgence. Et le bilan sanitaire est incontestablement positif : « En quinze ans, la mortalité de l’infarctus à la phase aiguë s’est effondrée, passant de 15 à 4 % », explique le Pr Guillaume Cayla, chef du service de cardiologie du CHU de Nîmes et président du Gaci. « Dans la prise en charge de l’infarctus, la perte de chance pour les patients n’a rien à voir avec ce qui se passait il y a vingt ans», estime le Dr Alain Dibie, de l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris.
Inégalités. Mais derrière cette réussite se cachent encore des inégalités. Dix-huit départements ne disposent pas de centres faisant des angioplasties coronaires, publics ou privés, réclamés par bon nombre d’élus, qui se heurtent le plus souvent à une fin de non-recevoir. Comme en Saône-et-Loire, à l’hôpital de Chalon-sur-Saône (voir notre article paru le 24 août 2018 dans le numéro 2346 du Point), ou dans la Manche, à Saint-Lô. « Il n’y avait aucun centre dans le département ni dans celui de l’Orne. On parle quand même d’une population totale de 750 000 habitants », explique le Dr Dornier, à la tête de ceux qui voulaient qu’une table d’angioplastie ouvre au Centre hospitalier mémorial France-États-Unis de Saint-Lô. Mais c’est finalement le Centre hospitalier public du Cotentin, à Cherbourg (Manche), qui a été choisi. Son plateau de coronographie vient d’ouvrir. Dans d’autres villes, c’est l’inverse : deux centres sont, par exemple, autorisés à Bourg-en-Bresse (Ain). Ainsi, l’hôpital, avec les 127 angioplasties réalisées en 2018, selon le PMSI, est très au-dessous des seuils recommandés, et la clinique Convert, avec ses 1 041 dilatations coronaires, se place dans les 25 cliniques les plus actives de France dans ce domaine. « Bien sûr, certaines zones peuvent poser problème, précise le Pr Guillaume Cayla. Mais on ne peut pas ouvrir un centre s’il n’y a pas assez d’activité. »
« Demander de nouvelles tables d’angioplastie alors que 30 % des cardiologues vont bientôt partir à la retraite… dit le Dr Philippe Commeau, cardiologue interventionnel à la polyclinique des Fleurs à Ollioules (Var). On ne sait pas comment faire. On navigue à vue. Lorsqu’on ouvre une table dans un désert, on ne trouve personne pour la faire fonctionner. Un cardiologue qui a fait quinze ans d’études ne va pas venir dans un petit centre à l’activité confidentielle. N’est-il pas préférable de mieux organiser les transports sanitaires, par hélicoptère notamment ? » Une suggestion d’autant plus pertinente qu’une quinzaine d’établissements publics et privés vivotent actuellement et ne parviendront pas à franchir le nouveau seuil de 400 angioplasties coronaires qui devrait être fixé par les prochains décrets.
Autre problème à résoudre : pour effectuer des angioplasties, il faut forcément être adossé à une unité de soins intensifs de cardiologie. « Aujourd’hui, on se pose la question du maintien de ces unités qui mobilisent des cardiologues dans des établissements qui ne sont pas autorisés à réaliser des dilatations », reconnaît le Dr Pascal Motreff, chef du service cardiologie et maladies vasculaires du CHU de ClermontFerrand. Enfin, l’irruption du Tavi, ou implantation d’une prothèse valvulaire par voie percutanée, a aussi bouleversé le paysage.
Eldorado. Cette technique, inventée en 2002 et d’abord appliquée par compassion à des patients écartés de la chirurgie cardiaque, car trop risquée pour eux, constitue désormais un eldorado pour la discipline. Mais pas question de l’utiliser sans disposer d’un service de chirurgie cardiaque sur place, au cas où une reprise serait nécessaire. De quoi concentrer un peu plus les moyens et les compétences dans les centres les plus importants, ce que préconisent les magistrats de la Cour des comptes dans leur rapport de 2018 sur le financement de la Sécurité sociale : « Dispersé en un nombre excessif de centres de cardiologie, le maillage des soins hospitaliers conserve pour principal paradigme la proximité géographique avec les patients, alors que le progrès médical, toujours plus technique, exige des centres pluridisciplinaires prenant des patients en nombre suffisant pour garantir la qualité et la sécurité des soins. » Et d’avertir : « Compte tenu de leur dispersion sur le territoire, les filières cardio-neurovasculaires sont exposées au risque d’une inadaptation croissante devant le progrès accéléré des techniques: plateaux trop petits pour être à la pointe de l’innovation, difficulté à inclure des patients dans des protocoles internationaux de recherche clinique, nombre de patients trop limité pour permettre une activité régulière des praticiens, isolement des compétences médicales et difficulté à assurer la permanence des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »
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« La mortalité de l’infarctus à la phase aiguë est passée de 15 à 4 % en quinze ans. »
Pr Guillaume Cayla, président du Gaci