Désormais, on peut le dire : « C’était mieux avant ! »
L’économie en dépression, la liberté en tenaille : comment s’en sort-on ? D’abord, ne désespérer de rien. Ensuite, souhaiter un gouvernement qui ne tremble pas.
Ils nous ont fait beaucoup rire, jusqu’à présent, nos professionnels de la nostalgie, idéalisant des époques en sépia où l’on était beaucoup plus pauvre, où l’on mourait plus tôt et où l’on avait moins de liberté. Deux livres aussi instructifs que drôles sont à conseiller sur le sujet : celui du philosophe Michel Serres, C’était mieux avant ! (1), et celui de deux journalistes du Point, Marion Cocquet et Pierre-Antoine Delhommais, intitulé Au bon vieux temps (2).
Et puis voilà. On rit toujours, mais un tout petit peu moins. Le président de la République, autrefois si confiant (lire p. 147), semble lui-même penser que des années sombres nous attendent. Si la crise sanitaire finira par passer, avec un vaccin ou un traitement, et après bien des drames, les plaies seront profondes. Notamment sur le plan économique. Le quatrième trimestre, déjà annoncé en récession, ne fera qu’enfoncer une génération sacrifiée, celle des jeunes privés de stages, ou d’une partie de leurs études, et, pour beaucoup, de l’espoir de trouver un emploi. Quant aux artisans, restaurateurs et petits entrepreneurs qui ont mis la clef sous la porte, combien pourront retenter leur chance ? Il y a aussi ce que l’on ne voit pas : ces entreprises qui, pour survivre, et parce qu’elles ont découvert qu’elles pouvaient fonctionner avec moins de monde, vont discrètement diminuer leurs effectifs.
Évidemment, l’économie repartira, ouvrant même de nouvelles opportunités. Le livre fort à propos de Philippe Aghion, Céline Antonin et Simon Bunel, intitulé Le Pouvoir de la destruction créatrice (3), explique bien comment on sort des crises par le haut.
En attendant, les prochaines années risquent d’être longues. Périlleuses, aussi. Car la grande promesse macronienne de l’émancipation, c’est-à-dire de la réduction des rentes et plafonds de verre en tout genre – on dit aussi « égalité des chances » –, n’a pas été suffisamment honorée. Que ce soit dans les banlieues de l’immigration ou les périphéries des Gilets jaunes, le problème de l’absence d’horizon n’est pas près d’être réglé. Pour cela, il faudrait être capable de reprendre les réformes. Sauf que les projets en cours, notamment celui de l’assurance-chômage, sont – on peut le comprendre – gelés. Et l’on voit mal Emmanuel Macron jouer à Gerhard Schröder à quelques mois de l’élection présidentielle. De toute façon, les partisans de l’immobilisme subventionné ont désormais l’avantage. Ainsi Philippe Martinez, l’impayable patron de la CGT, a pu tranquillement affirmer sur France Inter que « de l’argent, il y en a » – une jolie farce, avec une dette publique à 117 % du PIB – en précisant, avec délectation :
« Ce n’est pas moi qui ai dit “quoi qu’il en coûte”. » Et voilà. Le modèle social français, paradis des castes arrosé d’argent public à crédit, a de beaux jours devant lui.
Mais ce n’est pas tout, loin de là. La décapitation de Samuel Paty, et la découverte de l’enchaînement qui l’a précédée, a confirmé que le sujet de l’islamisme est profond, durable et déstabilisateur. Sans compter que la position de la France sur la liberté d’expression est assez isolée, entre les appels au boycott émis dans plusieurs pays musulmans et l’activisme d’Erdogan, qui s’est précipité sur cette occasion de rallier les islamistes de tous pays. Les Européens soutiennent la France, certes, mais ce n’est pas spectaculaire. Quant aux États-Unis, leur rapport à la religion, et leur histoire particulière avec l’esclavage, les rend souvent imperméables à la vision française de la laïcité. En témoignent les articles consternants du New York Times et du Washington Post après l’assassinat de Samuel Paty. Le « Wapo », notamment, qui, confondant au passage islamistes et musulmans, assure que, « au lieu de s’attaquer au racisme systémique, la France veut “réformer” l’islam »…
L’économie en dépression, la liberté en tenaille : comment s’en sort-on ? « Nous sommes tous des farceurs, nous survivons à nos problèmes », écrivait Cioran, pourtant docteur en pessimisme. D’abord, ne désespérer de rien, donc. Ensuite, souhaiter un gouvernement qui ne tremble pas. Le manuel de survie se trouve – comme souvent – chez Georges Clemenceau, notamment ce discours du 8 mars 1918, cinq jours après le traité de Brest-Litovsk, qui allait permettre à l’Allemagne de retourner des troupes contre la France : « Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d’Orient qui a subi historiquement, pendant des siècles, l’épreuve de la guerre, a formulé cette pensée en un mot : “Le vainqueur, c’est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu.” Voilà ma maxime de gouvernement. Je n’en ai pas d’autre. » À Macron de démontrer que, pour les hommes d’État, ce n’était pas mieux avant Étienne Gernelle
■ 1. Le Pommier, 2017. 2. L’Observatoire, 2018. 3. Odile Jacob, 2020.