Éditoriaux
L’islam des Lumières qu’Emmanuel Macron appelle de ses voeux ne pourra voir le jour sans un combat diplomatique et politique déterminé.
: Luc de Barochez, Nicolas Baverez, Pierre-Antoine Delhommais, Laetitia Strauch-Bonart
L’offensive lancée par Emmanuel Macron contre l’islamisme politique est un combat international, tout autant qu’un défi de politique intérieure. La dérive radicale d’une partie de l’islam de France est financée et encouragée par des groupes salafistes internationaux, mais également par des États musulmans qui instrumentalisent l’islam à des fins politiques. Or, sur ce terrain, la France manque douloureusement de soutiens. Les pays qui partagent sa conception de la laïcité se comptent sur les doigts d’une main. Notre diplomatie publique fait face à une tâche gigantesque. Pour l’instant, elle ne convainc guère.
Au sein de l’Union européenne, la solidarité avec la France le dispute à la circonspection. Nos partenaires nous approuvent pour la liberté d’expression mais traînent les pieds à l’idée d’être enrôlés sous la bannière des caricatures de Mahomet. Dans le monde arabo-musulman, c’est encore pire. L’incompréhension domine. Le Maroc, pourtant fidèle allié de Paris, a condamné la poursuite de la publication des caricatures soutenue par Emmanuel Macron. Le malaise est partagé en Arabie saoudite, en Égypte, en Tunisie, en Algérie, en Jordanie, au Koweït…
Il n’est pas surprenant que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, chef de file d’un islam politique revanchard, ait saisi l’occasion du projet de loi visant le « séparatisme » pour se poser en porte-drapeau de musulmans qui seraient victimes d’une « islamophobie » de l’État français. Il est plus préoccupant que ses éructations trouvent une oreille attentive. Les appels au boycott de produits français dans le Golfe et en Afrique du Nord témoignent des agissements troubles de militants islamistes, mais aussi de l’écho que ceux-ci reçoivent dans la population. L’islam politique a réussi à en convaincre beaucoup qu’en s’attaquant aux dérives sectaires, on s’en prenait à la religion elle-même, voire à chaque musulman personnellement.
Si la France a peu d’alliés, elle n’a pas non plus de stratégie claire. Elle a su mobiliser son outil militaire pour combattre le djihadisme au Sahel. Elle est à la peine lorsqu’il s’agit d’affronter les mille et une ramifications de l’islam politique, ainsi que les appareils étatiques qui le soutiennent. L’islam, dans sa version la plus conservatrice, est devenu un outil diplomatique essentiel pour la quasi-totalité des pays à majorité musulmane d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Ces États souvent autoritaires exploitent la religion du Prophète pour mieux asseoir leur emprise sur leur population et étendre leur influence internationale. Les printemps arabes de 2011 ont encouragé cette régression, en incitant les despotes à
Les printemps arabes ont encouragé cette régression, en incitant les despotes à s’appuyer sur la religion.
s’appuyer sur la religion, à défaut de démocratie, pour étayer leur légitimité. Que ces régimes soient sincères ou cyniques importe peu. Ils n’ont pas intérêt à ce qu’un islam réformateur émerge, car ce dernier pourrait encourager la contestation.
L’islam exporté en Europe par ces États – qui, encore aujourd’hui, gèrent les mosquées et nomment les imams – est rétrograde quand il n’est pas ouvertement salafiste. L’association turque Ditib, subordonnée au ministère des Affaires religieuses à Ankara, gère 850 mosquées en Allemagne, 250 en France. L’Arabie saoudite a construit la grande mosquée de Lyon, le Maroc celle d’Évry, l’Algérie gère la Grande Mosquée de Paris. Le contrôle des esprits est d’autant plus essentiel que le vote des musulmans d’Europe qui ont la double nationalité est un enjeu. Les Turcs d’Allemagne ou de France, du moins ceux qui ont été aux urnes, ont voté plus massivement pour Erdogan et son parti islamiste aux dernières élections que ceux d’Istanbul ou d’Ankara.
La France est le pays de l’Union européenne qui abrite la population d’origine musulmane la plus nombreuse, même si une forte part n’est pas pratiquante. Déléguer la gestion de l’islam à des puissances étrangères dont le principal souci est la non-intégration de leurs ressortissants dans le pays d’accueil entrave toute velléité de réforme. Rompre avec ces habitudes néfastes, mais bien ancrées, va demander de la pugnacité, de la constance et de la force de persuasion. Croire qu’un islam européen, respectueux des valeurs des Lumières et débarrassé des tutelles étrangères, pourrait naître et s’épanouir de manière sereine et pacifique est une vue de l’esprit
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