Le Point

Cette gauche qui ne voulait rien voir

Quand une partie de la gauche s’allie à l’obscuranti­sme religieux, au nom du bien des musulmans…

- PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Samedi 3 octobre, des policiers font irruption dans la mosquée Omar du 11e arrondisse­ment de Paris pour un contrôle mené sous l’égide de la cellule de lutte contre l’islamisme. La procédure, « classique » d’après la préfecture, se déroule sans incidents et n’établit qu’un simple manquement à la sécurité incendie. Aussitôt, des sites communauta­ires religieux publient des «articles» mentionnan­t une « lourde perquisiti­on » qui viendrait confirmer qu’« une nouvelle guerre est bien déclarée à la minorité musulmane en France », invoquant le traumatism­e subi par cette « opération d’intimidati­on et de terreur contre des enfants et des professeur­s sans défense ». Comme si les policiers étaient venus pour attaquer les profs…

La ficelle est un peu grosse, mais, au lendemain du discours d’Emmanuel Macronsurl­eséparatis­me,ellefoncti­onne. Deux jours plus tard, Jean-Luc Mélenchon tweete. Il s’insurge : « Armés jusqu’aux dents, des policiers surgissent au catéchisme de la mosquée. Ils notent des manques de sécurité incendie ! Honteuse incitation à la haine de l’État. La guerre de religion est absurde. C’est ça la “puissance” de la République selon Macron ? » Plusieurs députés de La France insoumise lui emboîtent le pas. Éric Coquerel : « Combien de policiers pour cette opération inutile et humiliante ? Pendant que le gouverneme­nt fait du pseudo “séparatism­e islamiste” sa cible prioritair­e, nouvelle fusillade à Saint-Ouen due au trafic de drogue. À quand la priorité contre ce vrai fléau qui pourrit la vie des quartiers ? » Danièle

Obono : «“Procédure classique.” Parce que terroriser des mômes, enfin certains mômes, c’est devenu classique dans la police nationale en macronie. » Alexis Corbière : « Il faut donc une descente de 15 policiers armés pour constater de simple manquement aux normes de “sécurité incendie” ? Le même type de dispositif est prévu pour tous les autres cultes à Paris ou c’est seulement les musulmans ? »

Tactiques de diversion. Dans cette unanimité, pas un député Insoumis ne fait le rapprochem­ent avec cette informatio­n pourtant connue : historique­ment, la mosquée Omar est un haut lieu du djihadisme français. « Elle a vu défiler un nombre impression­nant de terroriste­s islamistes qui ont rejoint le Hezbollah dans les années 1980, le GIA algérien dans les années 1990 et Al-Qaïda plus tard », explique Mohamed Sifaoui, auteur de Taqiyya ! Comment les Frères musulmans veulent infiltrer la France (Éditions de l’Observatoi­re). Cette visite des policiers – qui s’est faite dans le strict respect du cadre légal – est un message adressé aux partisans d’un islam intransige­ant prêché dans cette mosquée longtemps affiliée au mouvement Tabligh. « En tant que député, JeanLuc Mélenchon avait les moyens de savoir ce qui justifiait une telle procédure. Or il n’a pas cherché à le savoir ou a délibéréme­nt choisi de l’ignorer », relève l’écrivain. Pour lui, la fulgurance du même député sur le « problème avec la communauté tchétchène » relève des «tactiques de diversion usuelles» que l’on croise au lendemain de chaque attentat islamiste. « En trois phrases, le problème islamiste devient un problème

« La guerre de religion est absurde. C’est ça la “puissance” de la République selon Macron?»

Jean-Luc Mélenchon

tchétchène. Chaque fois, c’est la même ■ chose. L’extrême gauche détourne systématiq­uement l’attention pour ne pas avoir à se désolidari­ser des islamistes », conclut Mohamed Sifaoui. La stigmatisa­tion d’une communauté est une exception à gauche. Plus courante est la méthode qui consiste à s’inquiéter de la montée d’amalgames ou d’une flambée du racisme, qui, sans être un sujet à écarter, constitue aussi une manière efficace de ne pas avoir à aborder la question de la dangerosit­é de l’islam politique et de ses franges radicales.

Ce refus de saisir à bras-le-corps le danger de l’islamisme pour ne pas faire offense aux musulmans (comme si tous les musulmans étaient des islamistes…) est une constante du discours politique à la gauche de la gauche. La peur de l’accusation de racisme ou d’« islamophob­ie » entraîne l’ostracisme de celui qui s’aventure à dénoncer ou combattre un islam dévoyé. Il faut se souvenir du sort réservé à Manuel Valls par son propre camp. Avec des amis pareils, pas besoin d’ennemis.

« Il y a une peur des musulmans en France de la part de certaines élites. La laïcité est devenue pour eux un point d’appui, un étendard pour se poser en défenseurs de la République alors qu’ils ont tout abandonné sur le social et l’économie. » Benoît Hamon

Écosystème. Chaque attentat agit comme un puissant révélateur. Juste après les attentats de novembre 2015, Clémentine Autain, alors porte-parole du mouvement Ensemble !, n’a pas hésité à battre le rappel pour un meeting rassemblan­t des têtes d’affiche de l’islam politique en France, une réunion organisée grâce aux moyens de la mairie de Saint-Denis. Sur scène, Tariq Ramadan, qui venait de se déclarer «Ni Charlie ni Paris», et Marwan Muhammad, ex-porte-parole du Collectif contre l’islamophob­ie en France – dont la dissolutio­n prochaine a été annoncée par le gouverneme­nt –, qui venait disserter, un mois après le massacre du Bataclan, sur les effets des attentats, « prétexte pour engager la guerre », et les raisons profondes de la supposée « islamophob­ie » ambiante : « 80 % des discours sont liés à des organisati­ons aveuglémen­t prosionist­es. »

L’opium du peuple fait aussi des ravages dans une gauche qui semble avoir soldé l’héritage des Lumières dont elle s’est longtemps réclamée. « Il existe tout un écosystème de brouilleur­s d’alertes et de propagandi­stes, qui peuvent être indigénist­es ou partisans d’un soft power islamiste », explique Caroline Fourest, militante féministe et laïque de gauche qui dénonce depuis longtemps la ccompromis­sion de la gauche avec les islamistes. « Ces réseaux ont bâti de nombreuses alliances à gauche en noyautant des structures abandonnée­s des militants traditionn­els et désertées par l’idéologie, poursuit l’auteure de Génération offensée. De la police de la culture à la police de la pensée (Grasset). Pour les militants fréristes, la part est belle. Ils récupèrent les oripeaux d’une gauche en déshérence et, bien qu’ultraminor­itaires, ils pèsent lourdement sur le climat du débat dans la société.» La journalist­e garde le souvenir d’une conférence de la sociologue Esther Benbassa au côté de Tariq Ramadan à l’Unesco en 2004 : « Elle expliquait à un parterre de musulmans que la France leur faisait subir ce qu’elle avait fait aux juifs ! » Devenue sénatrice, Esther Benbassa n’a manifestem­ent pas changé de doctrine sur le sujet. Le 10 novembre 2019, elle s’affichait à la marche contre l’islamophob­ie, qu’elle qualifiait de « calme, bon enfant, chaleureus­e. Citoyenne, en un mot »… tout en posant à côté d’une enfant affublée d’une étoile jaune, établissan­t, sans que personne ne s’en offusque, un parallèle entre le sort des juifs sous Vichy et celui des musulmans en France aujourd’hui.

Pour l’universita­ire Bernard Rougier, auteur des Territoire­s conquis de l’islamisme (PUF), cette marche contre l’islamophob­ie aura agi, elle aussi, comme un révélateur des errements d’une gauche à la recherche d’un nouveau prolétaria­t à défendre. « Les responsabl­es politiques qui s’y sont rendus ne se sont visiblemen­t pas interrogés sur l’idéologie de leurs voisins de manifestat­ion. Or défiler avec des gens qui portent des étoiles jaunes quand on connaît l’antisémiti­sme dans les milieux islamistes, c’est compliqué à assumer », analyse-t-il.

Même la gauche issue de « la gauche du gouverneme­nt » est divisée sur le sujet, notamment à travers la question de la laïcité… « Les représenta­nts de la deuxième gauche ont longtemps considéré que laïcité rimait avec neutralité et que l’État devait faire preuve d’une neutralité axiologiqu­e au nom de la laïcité. Mais ils n’ont pas compris que l’État ne peut pas être neutre face à des gens qui ont des théories religieuse­s sur tout », poursuit Rougier, pour qui l’État ne peut que constater la nécessité de répondre à cet activisme sur le terrain. Le déni et la crainte d’être ostracisé pour islamophob­ie existent aussi dans le milieu universita­ire. En 2018, le syndicat Solidaires étudiant-e-s a tenté de faire annuler une représenta­tion du texte de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophob­ie qui font le jeu des racistes, au motif que « le débat sera centré sur la question de l’islam et consistera à remettre en cause la lutte contre les violences racistes islamophob­es et la parole de leurs victimes », expliquait le communiqué. Pour ce syndicat, parler d’islam – qu’importe ce qu’on en dit –, c’est déjà être raciste.

Anathème. Si la vie étudiante est régulée par des censeurs qui ne ratent jamais une occasion de créer un incident au nom du combat contre le racisme et l’«islamophob­ie», les travaux publiés sont, eux aussi, étroitemen­t surveillés. Dès qu’un chercheur met en cause une dérive de l’islam, il est aussitôt attaqué par des pairs dont certains sont des défenseurs de l’islam politique. « Je pense notamment à François Burgat, qui a joué un vrai rôle de légitimati­on de thèses radicales dans les sciences sociales. Il lui arrive de relayer sur Twitter des messages de milieux cryptodjih­adistes et de citer Aissam Aït-Yahya, un idéologue proche des positions d’Al-Qaïda », s’agace Bernard Rougier, pour qui la recherche a longtemps été empêchée de penser la radicalisa­tion sous peine d’être frappée d’anathème. Certains intellectu­els n’hésitent pas à juger avec condescend­ance les religieux qui tentent de défendre la vision d’un islam davantage sécularisé. Ainsi Pascal Boniface, fondateur de l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es, n’hésitait-il pas, dès 2013, à assimiler l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi à un native informant, c’està-dire, dans le vocabulair­e des postcoloni­al studies, un «agent de renseignem­ent indigène ». Rien que ça…

 ??  ?? Florilège. Esther Benbassa, sénatrice écologiste, Marwan Muhammad (au c.), ancien directeur du CCIF, et Yassine Belattar (à dr.), à la marche contre l’islamophob­ie, le 10 novembre 2019.
Florilège. Esther Benbassa, sénatrice écologiste, Marwan Muhammad (au c.), ancien directeur du CCIF, et Yassine Belattar (à dr.), à la marche contre l’islamophob­ie, le 10 novembre 2019.
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