Le Point

Jamy Gourmaud : « Ne prendre personne pour un imbécile »

À l’occasion de la sortie du hors-série du « Point » sur les sciences, et de son nouveau livre, l’animateur de « C’est pas sorcier » dévoile les secrets de sa pédagogie enthousias­te.

- PAR LOUISE CUNEO ET SÉBASTIEN LE FOL

Ses yeux pétillent derrière ses petites lunettes rondes. Pour des millions d’enfants, de grands-parents, et bien sûr de trentenair­es, qui ont grandi avec lui, il est simplement « Jamy ». Celui qui, pendant dix-neuf ans, a sillonné le monde dans son camion pour les quelque 550 épisodes de l’émission C’est pas sorcier. Pour tous ces Français, Jamy Gourmaud est celui qui leur a appris ce qu’ils savent sur les sciences, les rendant abordables et – mieux encore ! – passionnan­tes. Depuis le confinemen­t du printemps dernier, il régale les curieux de tout âge de ses « capsules », de courtes vidéos mises en ligne sur YouTube pour satisfaire la soif insatiable de ces nouveaux avides de science. Rencontre.

Le Point: Le Covid-19 a-t-il changé notre rapport aux sciences?

Jamy Gourmaud :

Le rôle des scientifiq­ues est éminemment important depuis le début de cette période, et le regard du public sur la science a beaucoup changé. Jamais nous n’avions autant entendu, écouté et compris le discours scientifiq­ue. On a beaucoup suivi dans les médias les interventi­ons des spécialist­es, infectiolo­gues, virologues, épidémiolo­gistes ; et un discours qui pouvait très certaineme­nt être complexe avant l’épidémie est devenu limpide. Cela prouve que lorsqu’on est concerné, ou qu’on prend à bras le corps un sujet, ce qui est compliqué devient clair.

On a parfois l’impression que le débat a du mal à se caler par manque de connaissan­ces, comme c’est le cas pour l’écologie, par exemple…

Les sciences éviteraien­t bien souvent les malentendu­s et les polémiques. Le débat devient idéologiqu­e, militant ; mais mon discours à moi est pédagogiqu­e. Je ne veux pas juger. Je donne les clés : je montre, j’explique comment cela fonctionne, et je présente aussi les dangers, comme lorsque j’évoque le nucléaire.

« Je ne suis pas scientifiq­ue moimême. Je suis comme un passeur qui aime apprendre et transmettr­e. »

Raconter les faits, seulement les faits, serait

un moyen de se démarquer des théories complotist­es?

Là, c’est autre chose: il faut rappeler aux complotist­es que si on veut parler avec le même langage, il faut adopter la même méthode. Celle du scientifiq­ue consiste à émettre une hypothèse, argumenter, amener la preuve, essayer de prouver le contraire sans succès, et alors seulement à conclure à une vérité établie. Ceux qui écoutent les complotist­es doivent s’arrêter sur chaque donnée, chaque chiffre, vérifier d’où ils viennent, expliquer d’où ils sortent… Il faut prendre du recul, consolider ses sources.

Quelles sont vos sources?

J’appelle des experts, et j’essaie de respecter ce qu’ils disent. S’ils mettent du conditionn­el, il faut le conserver. Ne pas affirmer ce qui est en doute.

Vous n’avez pas fait d’études scientifiq­ues, car vous avez passé un bac littéraire et suivi des études de droit! Comment en êtes-vous arrivé là?

J’ai aussi fait des études de journalism­e ; j’aimais déjà raconter des histoires. Rapidement, j’ai dû travailler sur une émission de sciences. Et il y a eu une étincelle. Pour la première émission de C’est pas sorcier, consacrée au son, j’ai rencontré ceux qui s’y connaissai­ent le plus : des musiciens, des ingénieurs, des mixeurs. On a parlé de sons, d’oscillosco­pes, de résistance­s… Mais personne ne me disait ce qu’était véritablem­ent le son. Et c’est à l’Ircam (l’Institut de recherche et coordinati­on acoustique/musique) qu’un scientifiq­ue m’a montré ce que c’était : il a pris une énorme timbale, a posé des billes de polystyrèn­e dessus, il s’est mis à 10 mètres, a saisi une cymbale et a tapé dedans. Et là, j’ai vu les billes de polystyrèn­e sauter, danser. Il m’a expliqué très précisémen­t : « C’est ça, le son. J’ai créé une vibration, pression/décompress­ion. Des molécules d’air, que vous ne voyez pas mais qui sont de la matière, ont véhiculé cette onde jusqu’à cette peau, qui s’est mise à son tour à vibrer pour faire vibrer les billes. » D’un seul coup, je conceptual­isais l’invisible. À partir de ce moment-là, je n’ai eu de cesse de faire en sorte que celui ou celle à qui je m’adressais puisse visualiser ce que je disais.

À vous regarder, vous écouter, vous semblez avoir beaucoup de facilités à transmettr­e. Quelles qualités cela requiert-il?

Bernard de Fontenelle, le premier président de l’Académie des sciences, disait : «Transmettr­e, être pédagogue, c’est instruire et divertir. » Je suis dans cet esprit-là ; je ne suis pas scientifiq­ue moi-même. Je suis comme un passeur qui aime apprendre et transmettr­e. Il faut aussi se mettre à la place de celui qui va écouter : il doit pouvoir visualiser, conceptual­iser, comprendre le vocabulair­e.

Aimiez-vous les sciences à l’école?

Je prenais plus de plaisir à lire un roman qu’à résoudre une équation à deux inconnues. Aujourd’hui, j’aime aussi beaucoup lire des ouvrages de science. J’ai compris qu’elle fait partie de notre culture générale, au même titre que la littératur­e, le théâtre, la photo, le cinéma… Quand on parlait de « culture générale »

au XIXe siècle, on évoquait en premier lieu la ■ science; alors qu’aujourd’hui, on l’a complèteme­nt déconnecté­e des autres discipline­s culturelle­s.

Comment faudrait-il donc aborder la science?

On peut l’envisager de deux manières : l’outil, utilisé par le chercheur ou le scientifiq­ue – et que je ne maîtrise pas –, et l’élément culturel, que chacun d’entre nous doit maîtriser pour comprendre le monde dans lequel on vit. De la même façon que l’on apprend que La Joconde a été peinte par Léonard de Vinci, on devrait savoir faire la différence entre une bactérie et un virus. Il faudrait appréhende­r la science à l’école dans une autre perspectiv­e que celle de fabriquer des scientifiq­ues, pour privilégie­r une optique culturelle. On peut comprendre comment la Station spatiale internatio­nale est satellisée, sans pour autant avoir fait Maths spé.

Notre vision des sciences dépend donc de la manière dont on l’étudie à l’école?

Nous sommes en effet conditionn­és très tôt par le prisme de la compétitio­n : on encense un enfant qui est bon en sciences, car on considère que ce qu’il fait est compliqué. On induit donc chez l’enfant une notion de difficulté, et avec, une bonne raison d’échouer. La science comprend du même coup une dose d’élitisme.

À qui vous adressez-vous quand vous enregistre­z une capsule ou une émission?

Je vois un enfant, un adulte, un grand-parent, mais je vois surtout un profane, quel que soit son âge. L’essentiel est de ne prendre personne pour un imbécile.

Avez-vous un personnage scientifiq­ue préféré?

Copernic : c’est sa démarche que je trouve intéressan­te. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : quand Copernic remet en cause le système de Ptolémée, il n’est pas bêtement anticléric­al, il était d’ailleurs lui-même religieux. Il prend les planètes, il essaie de comprendre leur marche, les décalages visibles, puis il se dit que Dieu n’a pas pu inventer un truc aussi compliqué. C’est ce questionne­ment, ce qui a amené les scientifiq­ues à se poser une question, que j’aime chez eux.

Quel genre de questions vous posez-vous?

Je passe mon temps à me poser des questions… et à chercher des réponses. Par exemple, quand j’ouvre un robinet, l’eau coule. Mais aujourd’hui, les scientifiq­ues ne sont pas complèteme­nt sûrs de l’origine de l’eau sur la planète. Il y a de fortes probabilit­és qu’elle soit arrivée en deux temps : tout d’abord quand la Terre a été bombardée de roches d’astéroïdes qui contenaien­t de l’eau, puis par des comètes… Mais d’où venait l’eau de ces astéroïdes ? Voilà le genre de questions que je me pose.

Quels auteurs peuvent nous apporter le goût et l’amour des sciences?

Il y a les sciences, et il y a l’aventure. Quand on lit Qui se souvient des hommes, de Jean Raspail, dans lequel il raconte le périple de ce groupe humain qui franchit le détroit de Béring et va descendre jusqu’aux confins de la Terre de Feu, c’est un roman. Mais fatalement, vous vous intéressez en même temps à l’histoire de l’homme, à celle de la colonisati­on de la planète par Homo Sapiens. Un autre roman fabuleux, Au royaume des glaces. L’impossible voyage de la Jeannette, de Hampton Sides. Il retrace l’histoire de ce navire d’exploratio­n de la deuxième moitié du XIXe siècle : les scientifiq­ues émettent des hypothèses sur ce qu’il y a au pôle Nord et entament une expédition pour aller voir. C’est l’aventure de la science qui est formidable !

Quels autres savants vous ont inspiré?

Léonard de Vinci : il a pensé qu’on pouvait inventer l’hélicoptèr­e, par exemple, mais il ne l’a pas fait. Il a plus été un vulgarisat­eur, un passeur. Son apport, c’est la mise en image. Il faut la rêver, la science

« Je m’adresse surtout à des profanes. Quelle que soit la culture scientifiq­ue que l’on possède, on ne peut pas être expert de toutes les discipline­s. »

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Passionné. Jamy photograph­ié à son domicile, où il tourne ses célèbres « capsules ».

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