Jamy Gourmaud : « Ne prendre personne pour un imbécile »
À l’occasion de la sortie du hors-série du « Point » sur les sciences, et de son nouveau livre, l’animateur de « C’est pas sorcier » dévoile les secrets de sa pédagogie enthousiaste.
Ses yeux pétillent derrière ses petites lunettes rondes. Pour des millions d’enfants, de grands-parents, et bien sûr de trentenaires, qui ont grandi avec lui, il est simplement « Jamy ». Celui qui, pendant dix-neuf ans, a sillonné le monde dans son camion pour les quelque 550 épisodes de l’émission C’est pas sorcier. Pour tous ces Français, Jamy Gourmaud est celui qui leur a appris ce qu’ils savent sur les sciences, les rendant abordables et – mieux encore ! – passionnantes. Depuis le confinement du printemps dernier, il régale les curieux de tout âge de ses « capsules », de courtes vidéos mises en ligne sur YouTube pour satisfaire la soif insatiable de ces nouveaux avides de science. Rencontre.
Le Point: Le Covid-19 a-t-il changé notre rapport aux sciences?
Jamy Gourmaud :
Le rôle des scientifiques est éminemment important depuis le début de cette période, et le regard du public sur la science a beaucoup changé. Jamais nous n’avions autant entendu, écouté et compris le discours scientifique. On a beaucoup suivi dans les médias les interventions des spécialistes, infectiologues, virologues, épidémiologistes ; et un discours qui pouvait très certainement être complexe avant l’épidémie est devenu limpide. Cela prouve que lorsqu’on est concerné, ou qu’on prend à bras le corps un sujet, ce qui est compliqué devient clair.
On a parfois l’impression que le débat a du mal à se caler par manque de connaissances, comme c’est le cas pour l’écologie, par exemple…
Les sciences éviteraient bien souvent les malentendus et les polémiques. Le débat devient idéologique, militant ; mais mon discours à moi est pédagogique. Je ne veux pas juger. Je donne les clés : je montre, j’explique comment cela fonctionne, et je présente aussi les dangers, comme lorsque j’évoque le nucléaire.
« Je ne suis pas scientifique moimême. Je suis comme un passeur qui aime apprendre et transmettre. »
Raconter les faits, seulement les faits, serait
un moyen de se démarquer des théories complotistes?
Là, c’est autre chose: il faut rappeler aux complotistes que si on veut parler avec le même langage, il faut adopter la même méthode. Celle du scientifique consiste à émettre une hypothèse, argumenter, amener la preuve, essayer de prouver le contraire sans succès, et alors seulement à conclure à une vérité établie. Ceux qui écoutent les complotistes doivent s’arrêter sur chaque donnée, chaque chiffre, vérifier d’où ils viennent, expliquer d’où ils sortent… Il faut prendre du recul, consolider ses sources.
Quelles sont vos sources?
J’appelle des experts, et j’essaie de respecter ce qu’ils disent. S’ils mettent du conditionnel, il faut le conserver. Ne pas affirmer ce qui est en doute.
Vous n’avez pas fait d’études scientifiques, car vous avez passé un bac littéraire et suivi des études de droit! Comment en êtes-vous arrivé là?
J’ai aussi fait des études de journalisme ; j’aimais déjà raconter des histoires. Rapidement, j’ai dû travailler sur une émission de sciences. Et il y a eu une étincelle. Pour la première émission de C’est pas sorcier, consacrée au son, j’ai rencontré ceux qui s’y connaissaient le plus : des musiciens, des ingénieurs, des mixeurs. On a parlé de sons, d’oscilloscopes, de résistances… Mais personne ne me disait ce qu’était véritablement le son. Et c’est à l’Ircam (l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique) qu’un scientifique m’a montré ce que c’était : il a pris une énorme timbale, a posé des billes de polystyrène dessus, il s’est mis à 10 mètres, a saisi une cymbale et a tapé dedans. Et là, j’ai vu les billes de polystyrène sauter, danser. Il m’a expliqué très précisément : « C’est ça, le son. J’ai créé une vibration, pression/décompression. Des molécules d’air, que vous ne voyez pas mais qui sont de la matière, ont véhiculé cette onde jusqu’à cette peau, qui s’est mise à son tour à vibrer pour faire vibrer les billes. » D’un seul coup, je conceptualisais l’invisible. À partir de ce moment-là, je n’ai eu de cesse de faire en sorte que celui ou celle à qui je m’adressais puisse visualiser ce que je disais.
À vous regarder, vous écouter, vous semblez avoir beaucoup de facilités à transmettre. Quelles qualités cela requiert-il?
Bernard de Fontenelle, le premier président de l’Académie des sciences, disait : «Transmettre, être pédagogue, c’est instruire et divertir. » Je suis dans cet esprit-là ; je ne suis pas scientifique moi-même. Je suis comme un passeur qui aime apprendre et transmettre. Il faut aussi se mettre à la place de celui qui va écouter : il doit pouvoir visualiser, conceptualiser, comprendre le vocabulaire.
Aimiez-vous les sciences à l’école?
Je prenais plus de plaisir à lire un roman qu’à résoudre une équation à deux inconnues. Aujourd’hui, j’aime aussi beaucoup lire des ouvrages de science. J’ai compris qu’elle fait partie de notre culture générale, au même titre que la littérature, le théâtre, la photo, le cinéma… Quand on parlait de « culture générale »
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au XIXe siècle, on évoquait en premier lieu la ■ science; alors qu’aujourd’hui, on l’a complètement déconnectée des autres disciplines culturelles.
Comment faudrait-il donc aborder la science?
On peut l’envisager de deux manières : l’outil, utilisé par le chercheur ou le scientifique – et que je ne maîtrise pas –, et l’élément culturel, que chacun d’entre nous doit maîtriser pour comprendre le monde dans lequel on vit. De la même façon que l’on apprend que La Joconde a été peinte par Léonard de Vinci, on devrait savoir faire la différence entre une bactérie et un virus. Il faudrait appréhender la science à l’école dans une autre perspective que celle de fabriquer des scientifiques, pour privilégier une optique culturelle. On peut comprendre comment la Station spatiale internationale est satellisée, sans pour autant avoir fait Maths spé.
Notre vision des sciences dépend donc de la manière dont on l’étudie à l’école?
Nous sommes en effet conditionnés très tôt par le prisme de la compétition : on encense un enfant qui est bon en sciences, car on considère que ce qu’il fait est compliqué. On induit donc chez l’enfant une notion de difficulté, et avec, une bonne raison d’échouer. La science comprend du même coup une dose d’élitisme.
À qui vous adressez-vous quand vous enregistrez une capsule ou une émission?
Je vois un enfant, un adulte, un grand-parent, mais je vois surtout un profane, quel que soit son âge. L’essentiel est de ne prendre personne pour un imbécile.
Avez-vous un personnage scientifique préféré?
Copernic : c’est sa démarche que je trouve intéressante. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : quand Copernic remet en cause le système de Ptolémée, il n’est pas bêtement anticlérical, il était d’ailleurs lui-même religieux. Il prend les planètes, il essaie de comprendre leur marche, les décalages visibles, puis il se dit que Dieu n’a pas pu inventer un truc aussi compliqué. C’est ce questionnement, ce qui a amené les scientifiques à se poser une question, que j’aime chez eux.
Quel genre de questions vous posez-vous?
Je passe mon temps à me poser des questions… et à chercher des réponses. Par exemple, quand j’ouvre un robinet, l’eau coule. Mais aujourd’hui, les scientifiques ne sont pas complètement sûrs de l’origine de l’eau sur la planète. Il y a de fortes probabilités qu’elle soit arrivée en deux temps : tout d’abord quand la Terre a été bombardée de roches d’astéroïdes qui contenaient de l’eau, puis par des comètes… Mais d’où venait l’eau de ces astéroïdes ? Voilà le genre de questions que je me pose.
Quels auteurs peuvent nous apporter le goût et l’amour des sciences?
Il y a les sciences, et il y a l’aventure. Quand on lit Qui se souvient des hommes, de Jean Raspail, dans lequel il raconte le périple de ce groupe humain qui franchit le détroit de Béring et va descendre jusqu’aux confins de la Terre de Feu, c’est un roman. Mais fatalement, vous vous intéressez en même temps à l’histoire de l’homme, à celle de la colonisation de la planète par Homo Sapiens. Un autre roman fabuleux, Au royaume des glaces. L’impossible voyage de la Jeannette, de Hampton Sides. Il retrace l’histoire de ce navire d’exploration de la deuxième moitié du XIXe siècle : les scientifiques émettent des hypothèses sur ce qu’il y a au pôle Nord et entament une expédition pour aller voir. C’est l’aventure de la science qui est formidable !
Quels autres savants vous ont inspiré?
Léonard de Vinci : il a pensé qu’on pouvait inventer l’hélicoptère, par exemple, mais il ne l’a pas fait. Il a plus été un vulgarisateur, un passeur. Son apport, c’est la mise en image. Il faut la rêver, la science
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« Je m’adresse surtout à des profanes. Quelle que soit la culture scientifique que l’on possède, on ne peut pas être expert de toutes les disciplines. »