La censure publicitaire, c’est de la censure ! par Étienne Gernelle
Le gouvernement envisage d’interdire de réclame certains produits au nom du climat. Idiot et liberticide.
Molière ou Orwell? Tartuffe ou 1984 ? On hésite, dans le cas de la tentation gouvernementale de prohiber la publicité pour des produits et services jugés trop néfastes pour le climat. Cette grande idée est portée par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et inspirée par la fameuse Convention citoyenne, dont les membres eux-mêmes avaient été dûment travaillés au corps par des activistes de la décroissance. Et dont Emmanuel Macron s’est engagé à appliquer l’essentiel des recommandations…
Pour commencer, on rit à l’avance du processus d’élaboration de la liste noire: qui officiera? Cela promet des débats croquignolets, car il faudra établir des critères à peu près sérieux, en prenant en compte, par exemple, l’intensité de l’usage. Ainsi un week-end à Rome est-il par essence immoral ? Combien de temps faudrait-il rester sur place pour que cela soit acceptable ? Ce serait drôle, si le climat n’était un sujet si grave.
Les vrais spécialistes du sujet, comme Nicholas Stern, préfèrent, eux, évoquer le seul instrument à l’échelle du défi climatique : le prix du carbone, qu’il s’agirait d’ailleurs d’augmenter sérieusement. Son avantage réside dans sa rationalité, son objectivité et sa capacité à transformer durablement les comportements individuels comme le fonctionnement des entreprises. Le gouvernement ferait mieux de travailler là-dessus plutôt que d’agiter des gadgets ou de prendre des postures.
Le problème, c’est qu’en matière d’écologie l’exécutif n’est justement n’est pas très au clair avec la rationalité. Un exemple ? La fermeture récente de la centrale nucléaire de Fessenheim provoquera un recours accru aux énergies fossiles. La pire décision environnementale que l’on ait prise depuis très longtemps… Mais cela n’arrête pas nos tartuffes du climat. Que pèse l’efficacité face aux joies du puritanisme et du paternalisme ?
Car cette idée de gendarmer le désir repose sur la négation du libre arbitre : les gens – les autres – sont des benêts, ou des enfants. Il faut donc leur cacher ce qui pourrait les tenter. L’infantilisation au pouvoir.
Et puis ce réflexe de censure… La publicité est un mode – payant – de libre expression des entreprises. Qu’elle soit réglementée est certes normal: la réclame pour le tabac, par exemple, est proscrite. Tout comme les arguments commerciaux mensongers sont interdits. Rien à dire. La liberté d’expression de chacun d’entre nous est d’ailleurs limitée par la loi et la justice (diffamation, injure, etc.). Mais la censure publicitaire reste de la censure et ne doit être maniée qu’avec une infinie précaution.
D’autant que tout cela advient dans un contexte d’extension du contrôle de l’expression, avec, en deux ans, la loi dite « anti-fake news », la loi Avia (heureusement retoquée par le Conseil constitutionnel, mais qui pourrait revenir), et le consternant fantasme macronien de « conseil de déontologie des journalistes », le tout accompagné de nouveaux pouvoirs pour le CSA sur Internet (avec la complicité des Gafa). Au nom du Bien, toujours.
« J’accuse… ! » En l’espèce, la moraline de Mme Pompili et de ses amis n’est pas inconnue. Elle découle d’un vieux mantra marxiste, recyclé par les idéologues de la décroissance : la consommation, c’est mal, les entreprises, c’est horrible – il y a de l’argent ! –, et la publicité est une tentation diabolique…
À l’idéologie s’ajoute l’inculture. L’essor de la publicité dans les journaux, au XIXe siècle, a ouvert l’ère de la presse prospère, donc indépendante. Avec des rédactions fournies, en mesure d’envoyer des reporters jusqu’au bout du monde pour raconter, témoigner, vérifier. Capables, aussi, d’enquêter, de contester et de défier le pouvoir. Certes, il existe de remarquables journaux sans pub, comme Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo. Cependant, selon la formule d’Audiard, « il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre ». On trouve ainsi de la réclame dans le numéro de L’Aurore du 13 janvier 1898, celui qui contenait le « J’accuse… ! » de Zola : des annonces du Crédit lyonnais, d’un magasin de meubles ou d’un sirop contre le rhume… Ce qui est sans doute le plus haut fait d’armes de la presse française était donc en partie financé par cette pub honnie.
Certes, personne n’est obligé de l’aimer, d’apprécier sa créativité quand elle existe et encore moins de tout gober aveuglément. Mais n’oublions pas que la réclame a apporté son écot à notre démocratie libérale.
Alors, que faire ? Être plus courageux sur le prix du carbone, investir davantage dans les technologies propres et éviter de camoufler nos insuffisances par des farces et attrapes. Quant aux récurrentes pulsions gouvernementales de domestication de la parole, cela commence à bien faire !
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