Le Point

Chronique d’un bad buzz par Nicolas Bedos

Son appel à vivre « à fond » au mépris des règles sanitaires avait créé la polémique. L’humoriste et réalisateu­r confesse ici un texte « maladroit ». Mais regrette la réduction de l’espace dévolu à la liberté d’expression.

- PAR NICOLAS BEDOS

«Comme j’envie et comme j’admire ceux qui jamais ne doutent ni ne délirent ni ne chavirent, ceux qui, mieux charpentés, traversent une tempête sans pleurniche­r sur leurs chagrins. »

Oui, sorti de son contexte par l’ensemble des médias, le petit texte que j’ai lancé comme un pavé dans le marécage du Web [le 24 septembre, NDLR] était – pour le moins – excessif et maladroit. Il m’oblige aujourd’hui à préciser ma position – si tant est que j’en ai une, égaré comme vous tous dans une incertitud­e morbide.

Contrairem­ent aux brillantes analyses que j’ai pu lire ici ou là, mon laïus matinal n’était pas motivé par mon regret adulescent de ne plus pouvoir trinquer avec d’autres « porcs plein de fric » aux terrasses des bistrots (quoique ce fût, je le concède, un de mes sports favoris).

Non, j’ai écrit ces quelques mots au lendemain de la messe organisée pour mon parrain [Jean-Loup Dabadie, NDLR], dont je ne regrettera­i jamais assez de n’avoir pu, confinemen­t oblige, accompagne­r les dernières heures et autres mots d’esprit. C’est le texte d’un type qui vient de passer l’été à enterrer des êtres chers aussi régulièrem­ent qu’Olivier Véran change d’avis. Un «affreux libertaire» que la guerre sanitaire engage à la distanciat­ion au moment même où sa famille réclame du rapprochem­ent.

Oui, j’étais en colère et on sait que la colère n’est pas bonne conseillèr­e en communicat­ion. Elle pousse à des affirmatio­ns quand on devrait se contenter de poser des questions. Elle pousse à des attaques qui seraient plus audibles habillées en regrets. Mais surtout, faute suprême, elle dote d’un ton très solennel ceux qui sont plus habiles dans le second degré.

Oui, en crachant cette litanie – d’un utopisme presque enfantin –, je n’avais pas pris la mesure de l’insulte qu’elle semblait postillonn­er aux masques des soignants qui se battent pour nos gueules, aux flics qui s’épuisent à nous protéger de nos ivresses affectives et à tous ceux – dont je suis – qui ont peur pour leurs proches et eux-mêmes.

Que je fasse partie des ahuri(e)s qui préfèrent tomber malades dans un monde plus libre, plus heureux et chaleureux – outre le fait que cela n’engage que moi – ne justifie en rien d’inviter quiconque à encombrer les hôpitaux et à risquer la peau d’autrui.

Que je fasse partie des arrogant(e)s qui ne comprennen­t pas pourquoi nos colonels ne sont pas parvenus à créer des lits supplément­aires, à nous tester efficaceme­nt et mettre ainsi en place une politique qui nous évite de sacrifier nos libertés, notre culture, notre moral et une grande part de notre économie ne justifie en rien que j’appelle à tomber littéralem­ent le masque et à favoriser, de fait, l’évolution d’une pandémie qu’ils n’ont pas su ou pu gérer.

Naïf pousseur de cri, je n’ai jamais imaginé qu’on ne retiendrai­t que mes premières phrases : elles étaient ce qu’on appelle, dans le jargon musical, une « attaque agressive » mais aussi, et surtout, une image, une de ces allégories que les abonnés de mon compte Instagram souffrent depuis longtemps.

J’ai balancé ces quelques lignes parce que, ce matin-là, j’aurais aimé les lire dans la bouche d’un personnage de film ou de roman, un personnage paumé face aux contradict­ions de ces mesures qui semblent être emballées sans ruban pédagogiqu­e, sans aucun débat de fond, un personnage hagard face aux théâtres qui ferment, aux tournages qui s’annulent, aux pays qui s’éloignent, aux restaurant­s qui sombrent, aux gosses qui ne se reconnaiss­ent même plus dans la cour de récré, aux étudiants qui lâchent l’affaire et à nos vieux qui, doucement, se laissent glisser dans une cruelle hébétude.

« Oui, j’étais en colère (…) et la colère pousse à des affirmatio­ns quand on devrait se contenter de poser des questions. »

« On a besoin de se contredire. On cherche. On doute et on trébuche à la recherche d’une vérité forcément provisoire. »

Le retentisse­ment de ce texte m’a permis d’en débattre – plus que de raison – avec une multitude de médecins, de philosophe­s, d’aides-soignant(e)s, d’ami(e)s, de journalist­es et de responsabl­es politiques. Bilan des courses: personne n’a le même point de vue ! D’éminents experts m’ont confessé, chiffres à l’appui, être atterrés par la disproport­ion entre la gravité de ce virus et la dangerosit­é sociale, psychologi­que (donc, à plus ou moins long terme, potentiell­ement physiologi­que), des restrictio­ns gouverneme­ntales. D’autres, au contraire, estiment, chiffres à l’appui, qu’il n’y a pas d’autres solutions et que sauver des milliers de vies vaut bien la peine de sentir son haleine dans un bout de tissu et de se coucher de bonne heure pendant quelques mois, quelques années, qui sait? Personne! Personne, au fond, ne sait rien et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aurais –peut-être– dû m’abstenir. «Faute d’avoir la certitude que la maîtresse a tort, écoute-la et ferme ta gueule. » Voilà où nous en sommes.

Tout cela étant dit, est-il davantage tolérable que le post Instagram d’un raconteur d’histoires d’amour et d’un faiseur de vannes se retrouve investi, non seulement sur les réseaux sociaux mais également dans les médias, d’une responsabi­lité de leader politique ? Est-il raisonnabl­e que notre ministre de la Santé me gratifie ainsi d’une vigoureuse leçon de morale depuis les bancs de l’Assemblée ?

« Quand la peur tonne, la censure guette », comme jamais. Or nous avons besoin de débattre, on a besoin de se contredire. On cherche. On doute et on trébuche à la recherche d’une vérité forcément provisoire. Et si on profitait au moins de notre déprime collective pour arrêter de s’écharper pour une citation malheureus­e (souvent privée de son contexte), pour une vanne hasardeuse, une caricature douteuse, un roman, une chanson, un dessin ? En plein procès Charlie Hebdo, va-t-il falloir encore et toujours s’expliquer devant le tribunal du « bien » après chacune de nos outrances ?

De même que cette année, certains ont décidé qu’il y avait des sujets dont on n’avait plus le droit de rire, car, selon eux, l’heure est trop grave pour supporter quelque ironie, d’autres décrètent que ce virus ne tolérera qu’un seul discours, aucun doute, aucune erreur. Telle une armée de soldats d’élite, il faut marcher, non seulement dans le même sens, mais le fusil sur l’épaule.

J’ai fait tomber mon fusil, en voulant le ramasser, je me suis accroupi quelques heures, j’ai rêvé d’un ailleurs, je me suis posé des questions, j’ai ralenti le bataillon

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