Le Point

Décapitati­on et désinforma­tion, par Kamel Daoud

Tandis que la France s’attelle à redéfinir la laïcité pour sa communauté musulmane, enjeu capital pour des millions de croyants dans le monde, l’internatio­nale islamiste réarme la contre-croisade.

- PAR KAMEL DAOUD

C’est en langue arabe qu’il faut lire et décrypter les lignes éditoriale­s des médias islamistes et conservate­urs du monde dit «arabe». C’est dans ce champ, ignoré et mal maîtrisé ici, que l’on déchiffre, par exemple, comment a été traitée la décapitati­on de Samuel Paty et quel usage de propagande en font ces médias et ces familles politiques. La manière d’informer a été, encore une fois, habile : un silence calculé sur la décapitati­on, la réduction de l’assassinat à un fait divers. On aurait pu conclure à une gêne, une volonté de ne pas amplifier un crime qui montre du doigt les parrains idéologiqu­es de ce mouvement internatio­nal, mais ce n’était pas le cas . Une semaine après, c’est une violente charge transnatio­nale, synchronis­ée, qui est lancée par tout ce monde contre le discours « français » sur l’islam français : provocatio­n turque et hallali des parties islamistes dans ce monde dit « arabe », appel au boycott des produits français et campagnes médiatique­s. On inverse, avec agressivit­é, les faits : ce n’est plus la décapitati­on qui est condamnée mais la réaction française à la décapitati­on. On criminalis­e une politique qui tente de garder la main sur l’usage de cette confession en France. Le discours de Macron, celui sur le combat à mener contre le « séparatism­e », est retourné comme preuve de l’islamophob­ie française et de sa guerre déclarée à l’islam et aux musulmans. Un appel à réagir est lancé par les partis islamistes – en Algérie, entre autres – aux imams, aux communauté­s de migrants, aux associatio­ns… Pour ce faire, on réarme la contre-croisade dans l’imaginaire guerrier.

C’est dire combien l’assassinat de Samuel Paty est devenu une sorte d’aubaine médiatique pour resserrer les rangs et jouer sur les sentiments. C’est aussi que l’enjeu est immense : si la France réussit à redéfinir la laïcité pour sa communauté musulmane, le gain sera double, avec des conséquenc­es qui iront au-delà de ses frontières. En premier lieu, on coupera l’herbe sous le pied aux influences étrangères, tutorats et mécènes, sur cette confession en France (d’où la virulence de la charge de l’internatio­nale islamiste depuis une semaine). Ensuite, on laissera se former, dans la lenteur, le désordre, le tâtonnemen­t, mais aussi la persévéran­ce, un « islam » français, en conformité avec une laïcité supérieure qui le préserve des manipulati­ons politiques, incarnant, tôt ou tard, une possibilit­é de vivre ses croyances sans s’opposer à celles des autres, à la loi et à la république. C’est le cauchemar vivant de ceux qui, aujourd’hui, des Frères musulmans à Daech, tentent de démontrer que cette voie est une hérésie. La possibilit­é de vivre sa confession sans marcher sur le cadavre d’autrui ou se sentir persécuté attente à leurs projets. Un islam moderne, républicai­n, accepté, mais aussi soucieux de la loi humaine, est le contraire absolu du rêve du califat. Si ce rêve se réalise en France, il deviendra celui de millions de croyants à travers le monde. L’Hexagone est donc précisémen­t un enjeu sur cette question. D’où l’obsession des islamistes, d’Erdogan aux chefs sanguinair­es, de maîtriser ce qui se dit et ce qui se fait en France. Ils savent, nous savons.

Pour le moment, cette guerre des propagande­s en est là : l’internatio­nale islamiste joue avec confort cependant face à une diplomatie française en manque de moyens d’influence « soft », sans réseaux ni figures illustres, pas encore consciente de l’urgence de faire traduire en arabe ses discours, par exemple. Il est vrai qu’engager le pays dans une lutte « diplomatiq­ue » qui va au-delà de ses frontières est une voie dangereuse, car cela oblige à se poser en interlocut­eur exclusif sur cette question et à renflouer la légitimité de l’adversaire. Mais il se trouve que c’est trop tard : les islamistes ne reconnaiss­ent, dans le rêve califal, aucune frontière. Les frontières, c’est nous qui en portons la gloire et la misère, aujourd’hui si désuètes

Un islam républicai­n, accepté, mais aussi soucieux de la loi humaine, est le contraire absolu du rêve du califat.

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