L’attestation du déshonneur, par Sébastien Le Fol
La découverte d’un vaccin contre le Covid-19 ne relève donc plus de l’utopie. À peine avions-nous eu le temps de nous réjouir d’avancées prometteuses que les représentants de la « méritocratie », selon l’expression de Peter Sloterdijk, se précipitaient pour doucher notre enthousiasme. La dénonciation du « relâchement » a repris de plus belle. Curieuse époque que la nôtre : on lit des articles et on regarde des reportages déplorant le spectacle de piétons dans les rues. Trottoirs déserts et restaurants fermés : voilà l’image de la sérénité en 2020. On comprend l’extrême réserve des « médicocrates » face à la perspective d’un vaccin : si la maladie reflue, ils se trouveront (provisoirement) dépossédés de leur pouvoir conquis sur la population depuis l’apparition de la pandémie. Plus de sermons à administrer chaque soir sur les chaînes d’information. 2021 s’annonce comme une étrange année. Il se pourrait bien que nous retrouvions une liberté de circulation absolue. Sans même subir la moindre remontrance de Jean Castex, Olivier Véran, Jérôme Salomon ou Jean-François Delfraissy ! Noël toute l’année, même après 19 heures ! Sommes-nous prêts pour ce grand choc psychologique ? Espérons que les plus hautes autorités de la santé aient élaboré un plan, échafaudé des protocoles afin de contrôler le retour à l’air et à la vie libre de tout un peuple. La question cruciale est la suivante : les Français survivront-ils à la disparition de l’attestation de sortie, ce document dont ils doivent se munir pour prendre l’air. Le journal Libération rappelait que la France est l’une des rares nations démocratiques à exiger ce document, téléchargeable notamment sur le site du… ministère de l’Intérieur. L’un des rares pays aussi à avoir imposé une limite kilométrique de déplacement autour du domicile. Remplir chaque jour ce formulaire est devenu un geste si naturel que nous ne nous interrogeons même plus sur la signification de cette scandaleuse exception française. Cette attestation de sortie est un concentré de nos maux : omnipotence d’un État nounou, déresponsabilisation des citoyens, obsession de la surveillance, bureaucratie sans filtre… Ce laissez-passer restera comme le symbole de la réduction d’un peuple à l’état de troupeau. La marque de notre infantilisation. Il y a dix ans, dans un essai prémonitoire, Mathieu Laine dépeignait notre pays comme une « grande nurserie ». Les « médicocrates » l’ont transformé en quartier de haute sécurité sanitaire ■