Le Point

… mais ne doit pas être une fatalité

La France fait exploser ses dépenses pour limiter les effets de la crise sanitaire. Mais saura-t-elle échapper au piège diabolique de la dette?

- Par Nicolas Baverez

Au nom du nouveau mantra présidenti­el, « quoi qu’il en coûte », notre dette publique est en train d’exploser dans un assourdiss­ant silence, passant en un an de 98 à 120 % du PIB. La perte de contrôle de la situation sanitaire, de la récession et de l’ordre public occulte ainsi celle des finances publiques. L’envolée des dépenses et des dettes marque même le retour en force de l’État, qui, en plus de ses interventi­ons, socialise les pertes de production, de revenus et d’emplois du secteur privé.

Ce consensus national en faveur de la dette repose sur un certain nombre de réalités. Le double choc provoqué par l’épidémie et par la chute de l’activité du fait des mesures sanitaires ne laisse pas d’autre choix que d’interposer le bilan de l’État pour endiguer le risque d’un effondreme­nt des entreprise­s et des ménages, qui entraînera­it une gigantesqu­e dépression. L’envolée de la dette est garantie par le rachat systématiq­ue des titres émis par les banques centrales. Du fait des taux négatifs, le service de la dette française sera limité à 37 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB en 2020, année où elle atteindra 120 % du PIB.

Les tenants de la nouvelle théorie monétaire comme les dirigeants français en tirent une conclusion erronée : la dette publique est illimitée, gratuite et indolore, car elle ne sera jamais remboursée. Cela revient à ériger des circonstan­ces exceptionn­elles en nouvelle norme économique et des mesures d’urgence en stratégie de long terme. Pourquoi le surendette­ment, loin d’être neutre, constitue à terme une menace majeure :

1. La dette publique française reste une exception au sein des pays développés et plus encore de la zone euro. Le niveau des dépenses (56 % du PIB) et de la dette était très élevé avant même l’épidémie. La dette publique s’accompagne par ailleurs d’un fort endettemen­t des entreprise­s (138,3 % du PIB contre 120,8 % dans la zone euro) et des ménages (98 % du PIB contre 93 % dans la zone euro). Sa hausse est sortie de tout contrôle, ce qui devrait lui faire atteindre 140 à 150 % du PIB en 2030. Sa soutenabil­ité, qui n’est plus assurée que par la BCE – qui achètera en 2020 et 2021 la quasi-totalité des 260 milliards de titres émis –, est plus que douteuse, comme l’a pointé le FMI.

2. Les effets pervers du surendette­ment public sont avérés. L’État voit disparaîtr­e toute marge de manoeuvre financière. La spirale sans fin de l’augmentati­on des dépenses achève de fragiliser le secteur privé, minant la croissance potentiell­e et l’emploi. L’économie de bulles se trouve confortée, avec son cortège de rentes et d’inégalités. Sur le plan financier, la dette n’est soutenable que tant que la BCE rachètera l’intégralit­é des émissions et que les taux resteront négatifs, ce qui n’est pas durablemen­t possible. Enfin, elle ravale la France au rang d’État du sud de la zone euro dont la souveraine­té dépend de ses partenaire­s d’Europe du Nord.

3. L’antienne selon laquelle la dette profite à tous et n’est remboursée par personne est insensée. Les États, contrairem­ent à une idée répandue, font faillite. Mais il est plus coûteux pour eux de ne pas rembourser leurs dettes que de les honorer, quitte à les restructur­er. Les défauts souverains sont indissocia­bles de l’effondreme­nt de l’économie, de la paupérisat­ion de la population et de la montée de la violence politique, comme en Argentine ou au Venezuela. L’annulation de la dette par la BCE relève aussi de la chimère ; elle détruirait la confiance dans l’euro.

4. Chaque Français, endetté à hauteur de 36 000 euros par l’intermédia­ire de l’État, devra contribuer au remboursem­ent de la dette. Le report de son coût sur les entreprise­s, sur les futures génération­s ou sur nos partenaire­s européens est un pari cynique et perdu d’avance. Le secteur privé, réduit à 35% du PIB et surendetté, ne peut être mis davantage à contributi­on. Les jeunes voient leurs revenus sacrifiés à la protection des seniors, qui détiennent 80 % des actifs. Les pays d’Europe du Nord, s’ils soutiennen­t le plan de relance, vital, refusent toute union de transfert qui entraînera­it la révolte de leurs contribuab­les.

5. Si l’on écarte le défaut, il existe trois moyens de rembourser la dette. Le premier est l’inflation, prohibée par les règles de la zone euro. Le deuxième réside dans la hausse des impôts, impossible en France, où les recettes culminent déjà à 53 % du PIB. Le troisième levier, seule solution, repose sur la croissance, garant ultime de la solvabilit­é d’un pays. D’où l’urgence de mettre les plans de relance au service d’une production privée compétitiv­e, d’améliorer les facteurs de production et la flexibilit­é, la transition numérique et écologique, la recherche et l’investisse­ment dans l’innovation. D’où l’urgence aussi de réformer l’État pour le recentrer sur ses missions fondamenta­les – à commencer par la sécurité – tout en maîtrisant ses dépenses. Le seul antidote, comme le montra le général de Gaulle, qui fit du désendette­ment l’une de ses priorités au début de la Ve République, c’est la qualité du gouverneme­nt politique et la remise de l’État au service de l’intérêt général. Vaste programme !

La dette profite à tous et n’est remboursée par personne ? Absurde antienne.

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Vous êtes à plus d’un kilomètre de chez vous, c’est une infraction à 135euros.

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