L’été le plus long
«Il y a des hommes dont la voix manque à notre époque», écrivait Jean-René Van der Plaetsen dans La Nostalgie de l’honneur (prix Interallié 2017), bel hommage à son grandpère, Jean Crépin – général de corps d’armée, commandant de l’artillerie de la 2e DB, compagnon de la Libération et commandant en chef des forces alliées à l’Otan. C’est à lui que le journaliste, l’écrivain et le petit-fils admiratif doit le héros hors du commun du Métier de mourir. Il a 58 ans, il est polonais, juif, « mais un peu arabe quand même », c’est une légende de Tsahal, il a servi en Indochine dans la Légion étrangère, il a survécu à Treblinka ; il lit, cite et récite des versets de L’Ecclésiaste, et se fait appeler «Belleface». Pourquoi ? Nous ne le révélerons sûrement pas ici. C’est un vieux sanglier des lignes de front, Belleface, coeur et cuir tannés par les années et les rafales, clope au bec, flingue en main – et il a réellement existé, Crépin l’a rencontré. Cet été-là, en 1985, Belleface commande un avant-poste stratégique à Ras-el-Bayada, enclave démilitarisée entre le Liban et l’État hébreu, où, en attendant Godot, Dieu ou les « orages d’acier », le Hezbollah et l’armée israélienne se regardent en chiens de faïence. Sauf que, dans ce « désert des Tartares » méditerranéen, le destin frappera. Il frappera fort, il frappera violemment. Belleface, sa poignée d’hommes, et Paul Favrier, son protégé, un Français idéaliste et stendhalien qui ressemble beaucoup au Casque bleu que fut Van der Plaetsen ce même été 1985, à ce même endroit.
C’est une histoire de champ de bataille et de chant d’honneur, une affaire de courage clausewitzien et de vengeance à la Monte-Cristo. C’est le récit de l’une de ces amitiés inhumaines que seules la guerre et l’aventure savent engendrer, c’est un hommage, aussi, une révérence, presque une génuflexion, devant Belleface, Favrier et tant de soldats inconnus, c’est une variation quasi mystique sur l’unique et âpre « métier de mourir », pour parodier Pavese ; et c’est une histoire d’amour, enfin, de femmes-muses et de foi, de transmission et de beauté du monde. Sur les rives du Mare Nostrum, mère de notre civilisation et des trois religions révélées, entre la guerre – bellum – et sa soeur étymologique, beauté, il n’y a qu’un souffle ; celui de ce (premier) roman métaphysique plein de mots que l’on ne prononce plus – héroïsme, honneur, fidélité, résistance ; et de ces voix braves et radicales qui, en effet, manquent parfois à notre époque
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« Le Métier de mourir », de Jean-René Van der Plaetsen
(Grasset, 272 p., 19,60 €).
UNE HISTOIRE DE CHAMP DE BATAILLE ET DE CHANT D’HONNEUR, UNE AFFAIRE DE COURAGE CLAUSEWITZIEN ET DE VENGEANCE À LA MONTE-CRISTO.