Covid-19, l’après-vaccin
Les découvertes récentes des laboratoires nous font entrevoir un retour à la vie normale. Comment se prépare la sortie de crise. Notre grande enquête.
Tadaam ! Les voici, les premiers vaccins efficaces contre le SARS-CoV-2 ! Enfin une lueur d’espoir au fond du sombre tunnel de la crise sanitaire et économique dans laquelle le monde est plongé depuis qu’un virus y a élu domicile.
Pour rallumer l’ampoule planétaire, il a suffi que le géant pharmaceutique Pfizer, depuis New York, appuie sur le bouton « envoi » et lance son communiqué de presse, le lundi 9 novembre à 6h45. Et c’est presque à la vitesse de la lumière qu’il s’est propagé dans le monde entier. Il annonce les tout premiers résultats intermédiaires de son candidat vaccin contre le coronavirus, développé en collaboration avec la biotech allemande BioNTech et actuellement en étude clinique de phase III, dernière série de tests chez l’homme. Que l’humanité à bout de souffle se rassure, les résultats sont positifs. Le vaccin messie a une « efficacité de plus de 90 % ». Et le PDG de Pfizer, Albert Bourla, de lâcher : « Aujourd’hui est un grand jour pour la science et l’humanité. » Une semaine plus tard, son concurrent, l’américain Moderna, renchérit avec l’annonce d’une efficacité de 94,5 % de son vaccin, basé sur la même technologie.
Enfin ! La nouvelle de Pfizer et de Moderna arrive comme un cadeau de Noël avant l’heure, après bien des malheurs : 54,4 millions de personnes touchées sur le globe, 1,3 million de morts (au 16 novembre), une vie sous confinement en Europe et des courbes épidémiques qui s’envolent une fois encore. Le commun des mortels n’a même pas le temps d’achever de déballer son paquet que les cours de la Bourse s’envolent. Pour les marchés financiers, après le « coronakrach » du printemps dernier, c’est aussi Noël. Les investisseurs se remettent à espérer. Et les résultats des deux labos ne font que siffler le coup d’envoi d’une série de résultats qui seront bientôt annoncés par leurs concurrents.
Sur les 53 vaccins actuellement testés sur l’homme, 11 ont déjà atteint l’ultime phase III. Trois autres laboratoires sont aussi dans la dernière ligne droite. Attendons les résultats pour lancer des confettis à l’arrivée du peloton de tête, qui devrait être, dans l’ordre, après Pfizer et Moderna : l’anglo-suédois AstraZeneca, en partenariat avec l’université d’Oxford, puis les américains Johnson & Johnson et Novavax.
On ne saurait oublier, bien sûr, le très controversé vaccin russe, Spoutnik V. À peine le communiqué de Pfizer dégainé, c’était, le 11 novembre, au tour du centre de Gamaleya, à Moscou, d’exhiber des résultats intermédiaires de phase III, avec 92 % d’efficacité. Problème : le protocole de Spoutnik V n’a jamais été rendu public, contrairement à ceux de Pfizer et de Moderna. Même chose pour la Chine, qui développe plusieurs vaccins. Rêvant de démontrer la supériorité technologique du communisme à la Xi Jinping sur l’Occident, Pékin s’est lancé dans une vaste offensive pour tester ses candidats dans des pays en voie de développement : Brésil, Indonésie, Malaisie et, en particulier, en Afrique. En promettant un accès en avant-première aux précieuses doses. Cette généreuse « diplomatie des vaccins » ne va pas sans contrepartie. Le 4 novembre, le quotidien économique japonais Nikkei a révélé comment, en coulisse, l’offre de Xi Jinping est soumise à des conditions politiques, comme, en Malaisie, la libération de marins chinois détenus pour pêche illégale. Ni la Chine ni la Russie n’ont déposé de dossier à la Food and Drug Administration (FDA) et à l’Agence européenne du médicament (AEM), les agences américaine et européenne chargées de la sécurité des médicaments, aux réglementations réputées drastiques.
Une grande première. Si les vaccins Pfizer et Moderna sont homologués avant la fin de l’année 2020, ce sera une triple performance. Jamais, dans l’histoire de la médecine, un vaccin n’aura été élaboré si vite. Il faut habituellement plus de quinze ans en moyenne, et le SARS-CoV-2 n’a été officiellement découvert que le 9 janvier. De plus, à ce jour, il n’existe aucun vaccin contre un autre coronavirus humain. Surtout, la technologie du vaccin à ARN messager utilisée par les deux labos est une grande première sur le marché. Explorée en 2003 à l’occasion de la pandémie de Sras et ressortie des cartons à l’arrivée du virus du Covid-19, la méthode n’a jamais abouti à la commercialisation d’un vaccin. Tout est donc nouveau dans ces vaccins.
Mais passer en tête la ligne d’arrivée va-t-il tuer la concurrence ? Non et non. Ces premiers résultats d’efficacité sont même de bon augure pour les autres laboratoires. S’ils utilisent des procédés différents, ces derniers visent tous la même cible que les vaccins de Pfizer et Moderna : la protéine S. Puisque ce premier vaccin fonctionne, c’est que c’est la
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bonne. Et puis il reste une place à se faire ■ au soleil : par exemple, si Pfizer s’est déjà engagé à produire 1,3 milliard de doses d’ici à 2021, on est loin d’atteindre la totalité des Terriens.
Quelle que soit la technologie, les laboratoires en tête devraient sortir des communiqués de presse du même type, qui feront flamber les Bourses. Mais n’oublions pas de garder quelques poignées de confettis pour le jour de la vraie grande victoire. Car rien n’est joué. Même si aucun accident ne vient ralentir la course des vaccins, il ne faut pas s’attendre à un miracle dans l’année qui vient. La vaccination ne pourra pas assurer à elle seule un retour à la vie normale, elle ne sera qu’une partie de la solution.
Plus de 90 % d’efficacité ? Arrêtons-nous sur l’exemple de Pfizer, puisque c’est lui qui nous offre ce feu d’artifice en avant-première. Il affiche plus de 90 % d’efficacité pour son vaccin. 90 % ? « Excellent ! » dirait notre patron de la rédaction, si on lui annonçait un tel taux de croissance pour le journal. Mais il faut bien comprendre ce qui se cache sous ce beau papier d’emballage. La fête est momentanément interrompue. Remettez le champagne au frais.
« Nous n’avons pas accès pour l’instant aux données complètes qui nous permettront d’émettre des recommandations », souligne Marie-Paule Kieny, présidente du comité scientifique Vaccin, chargé de guider les choix du gouvernement français. Gardons la tête froide, les résultats de Pfizer-BioNTech ne sont que des résultats intermédiaires d’essais cliniques de phase III, ceux où le produit est comparé à un placebo. Ces 90 % d’efficacité affichés ne se fondent que sur l’analyse de 94 cas d’infection. Il y aurait donc eu au maximum 9 malades dans le groupe vacciné, contre 85 dans le groupe placebo. « Tout ce tintamarre pour seulement 94 malades », a-t-on envie de dire. Ce qu’il faut comprendre, c’est que, une fois que 39 000 volontaires et plus ont reçu leurs deux injections, on laisse l’épidémie faire son oeuvre en tenant le décompte de ceux qui tombent malades. Pour garder un oeil sur la cohorte de patients, un groupe de scientifiques indépendants, le « comité de sécurité des données », est nommé et aura accès aux données cliniques tout au long de l’essai. Si des événements indésirables surviennent, ils peuvent le faire interrompre. Les étapes auxquelles les chercheurs ouvrent l’enveloppe secrète sont fixées à l’avance. Dans le cas du vaccin Pfizer-BioNTech, le premier point d’étape, initialement prévu quand 62 personnes seraient tombées malades, a eu lieu quand elles étaient – le temps de compter – déjà 94. Voilà nos 94 malades, cela semble peu. Pourtant, ce seuil correspond aux standards statistiques exigés par les instances sanitaires pour ouvrir un dossier d’autorisation d’utilisation accéléré. Un second point d’étape est prévu la troisième semaine de novembre, lorsque le nombre de malades aura atteint 164 parmi les participants, ce qui ajoutera du poids – ou pas – aux résultats. Si ce taux d’efficacité se confirme, la FDA pourrait donner son approbation, au plus tôt avant la fin de cette année.
Mais de quelle efficacité parle-t-on ? Question centrale, réponse floue. «Dans son essai, Pfizer mesure la réduction des signes cliniques, y compris modérés, du Covid-19. On ne sait donc pas, pour l’instant, si ce vaccin permet d’éviter les formes graves de la maladie ou même s’il réduit la propagation du virus dans la population », souligne Marie-Paule Kieny, qui ne veut cependant pas « bouder son plaisir ». Les experts s’attendaient plutôt à une efficacité de 50 % ou 60 %, le score de 90 % est une « excellente surprise ». « Il faut rester très prudent », ajoute la scientifique. On ne sait donc pas si ce vaccin empêche les Covid-19 asymptomatiques, modérés, graves. Notons tout de même: le
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« Dans son essai, Pfizer mesure la réduction des signes cliniques. On ne sait donc pas si ce vaccin permet d’éviter les formes graves du Covid-19. » Marie-Paule Kieny, présidente du comité scientifique Vaccin
laboratoire Moderna signale, lui, que parmi ■ les 95 personnes contaminées dans son essai, les 11 cas graves se trouvent dans le groupe placebo. Qu’en est-il des personnes âgées, avec un système immunitaire moins réactif ? On ne sait donc pas s’il empêchera l’infection et sa transmission. Si tel ne devait pas être le cas, la vaccination, qui réduirait le nombre de malades, ne serait pas inutile pour autant. En termes de santé publique, le problème resterait entier, les personnes vaccinées pouvant encore répandre le virus. Et quid de la durée d’efficacité ? « Impossible de répondre. Et là, il n’y aura pas moyen d’accélérer les horloges, il faut se laisser du temps pour avoir la réponse », prévient Marie-Paule Kieny. La FDA et l’AEM vont devoir trancher à l’aveugle si elles veulent l’autoriser avant fin 2020.
L’innocuité en question. Et les effets secondaires ? Là encore, difficile de s’assurer de l’innocuité d’un produit avec une mise sur le marché quelques mois à peine après les premières injections expérimentales. En comparaison, les essais de phase III du vaccin contre le papillomavirus (HPV) avaient duré quatre ans et compté plus de 100000 volontaires. Mais comme Pfizer a d’ores et déjà annoncé qu’il offrirait son vaccin aux volontaires de son groupe placebo s’il obtient le feu vert pour une autorisation d’urgence, il n’y aura donc plus de groupe témoin pour obtenir de vraie comparaison dès les premiers mois de 2021. « L’accélération du calendrier ne changera rien à nos exigences de sécurité », assure Franck Grimaud, directeur général de Valneva, un laboratoire francoautrichien qui débute ses essais sur l’homme en décembre. Son vaccin – déjà prévendu à hauteur de 60 millions de doses au Royaume-Uni et en cours de négociation avec d’autres États – est fondé sur une technologie plus éprouvée que celle de Pfizer et Moderna, puisqu’il s’agit d’un virus inactivé. Néanmoins, son groupe, tout comme ses homologues, négocie avec les États une décharge de responsabilité financière et judiciaire en cas d’effets secondaires non détectés lors des phases cliniques accélérées. « Ces accords sont essentiels. Il nous serait impossible de trouver des assureurs pour couvrir une telle responsabilité », note le DG de Valneva. Au niveau européen, le droit diffère d’un pays à l’autre. Les États membres ont pris à leur charge une part plus ou moins large du risque à venir. En revanche, les labos devront toujours être respectueux des protocoles standards de sécurité pour la production.
Quand plusieurs vaccins auront franchi la ligne d’arrivée, lequel sera le plus efficace? «Les laboratoires n’ayant pas adopté de critères communs pour leurs essais, rien ne permettra réellement de les comparer, pointe Els Torreele, ex-directrice de la campagne Accès aux médicaments de Médecins sans
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« L’accélération du calendrier ne changera rien à nos exigences de sécurité. » Franck Grimaud, directeur général de Valneva.
frontières. Chaque laboratoire a conçu ses essais ■ cliniques pour qu’ils donnent les meilleurs résultats possible, le plus tôt possible. Les placebos, les populations vaccinées ne sont pas identiques et, surtout, l’efficacité des vaccins n’est pas mesurée de manière homogène. » Moralité, impossible de les placer sur le podium de l’efficacité. Pour les retardataires, qui débuteront leurs essais de phase III après l’homologation des premiers vaccins anti-Covid, comme Valneva, les règles du jeu seront différentes. Terminés, les groupes placebos. Ils n’auront qu’à démontrer que leurs vaccins ne sont pas moins efficaces que ceux déjà autorisés et qu’ils entraînent une production d’anticorps au moins équivalente, sinon supérieure, aux premiers. Et ce n’est pas tout : « L’intérêt, est que nous pourrions aussi réduire le nombre des participants aux études », souligne Franck Grimaud.
Surfer sur la vague. Une fois les vaccins efficaces disponibles, qui faudra-t-il vacciner en premier et avec quel vaccin ? Difficile de se faire son plan de bataille sans connaître la nature et la force des armes disponibles. « Les inconnues sont encore trop nombreuses pour trancher », reconnaît le Pr Élisabeth Bouvet, présidente de la Commission technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé. En attendant, « tout converge pour protéger en priorité des personnes vulnérables, soit atteintes de certaines maladies chroniques ou âgées, et les professionnels de santé, à la fois très exposés et vecteurs de la maladie auprès de ces populations ». Principale raison, « la balance entre les bénéfices et les risques potentiels de ces nouveaux vaccins n’est pas la même lorsqu’on les administre à une population très exposée aux formes sévères de la maladie ou, à l’inverse, à des personnes qui sont peu à risque. Avant de nous lancer, il nous faudra absolument connaître le niveau de protection chez les seniors, dont le système immunitaire réagit en général moins efficacement à la vaccination. Le monde entier aura les yeux rivés sur les résultats des essais de Pfizer et de ses concurrents sur les plus de 60 ans. »
Après avoir affronté les vagues épidémiques, il va falloir surfer sur celles de vaccinations, qui s’étaleront dans le temps. En France, les agences tablent sur au moins 13 millions de personnes vaccinées au premier trimestre 2021 et 30 autres au deuxième. Aurons-nous les stocks pour lancer des campagnes pour tous les plus de 65 ans ? Faudra-t-il un temps se limiter à ceux présentant des comorbidités ? Des modélisations sont en cours à l’Institut Pasteur pour définir, selon les quantités disponibles, quelle population vacciner en priorité. Résultats fin novembre.
Et, comme si tous ces gros points d’interrogation ne suffisaient pas, le premier vaccin potentiellement opérationnel de la planète, celui de Pfizer, doit être conservé dans des conditions glaciales. Aux alentours de – 80°C pour garder intact le matériel génétique qu’il contient : un défi logistique majeur qui s’annonce. Que nombre de pays ne pourront pas relever. En France, nous serons bientôt parés, comme nous l’assure la Direction générale de la santé :
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« Nous avons déjà acheté les matériels nécessaires ■ au stockage des vaccins et travaillons aux schémas logistiques correspondants. » Dans le détail, le Pr Élisabeth Bouvet tempère les inquiétudes : « Les vaccins congelés restent actifs quelques jours à quelques semaines à des températures plus élevées. Plutôt que de demander aux gens de se déplacer dans des grands centres de vaccination, comme en 2009 pour la grippe H1N1, nous prévoyons de centraliser les lots congelés à – 80°C et d’organiser une distribution rapide et régulière vers les médecins généralistes, pharmaciens, infirmiers, qui sont au plus près des populations ciblées. » N’empêche : un vaccin moins regardant côté température, comme celui de Moderna (– 20°C) et la plupart de ceux dans la course, deviendrait quand même plus facilement généralisable, de même qu’un vaccin unidose, comme celui de Johnson & Johnson. Patience.
Négociations. Et l’Europe, qui a pris soin de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, les guette. Bien avant que l’UE soit confrontée à la deuxième vague, elle avait déjà élaboré sa « stratégie vaccin ». Les États membres, qui s’étaient parfois mal conduits entre eux au tout début de la pandémie, ont cette fois joué collectif. Dès juin, la Commission se voit confier la négociation des précommandes. « Il ne fallait pas laisser les petits pays se faire écraser par les Big Pharma, indique-t-on à Bruxelles. En permettant à la Commission de précommander des centaines de millions de doses, nous avons pu bénéficier de la force de frappe d’un marché unique de 512 millions d’usagers. » Bulgares ou Allemands débourseront donc la même somme, et, même avec le Brexit, Londres est aussi de la partie.
Un petit groupe de négociateurs est mandaté pour prendre contact avec les principaux labos. Leur leader – leur Michel Barnier à eux – est la truculente
Sandra Gallina. Cette Italienne représente l’exact contraire de l’idée qu’on se fait des technocrates bruxellois. Elle est rompue aux négociations commerciales de l’UE. Un atout redoutable face aux Big Pharma. Elle a d’ailleurs été nommée, depuis, directrice générale de la Santé. Sans doute n’y connaît-elle rien en médecine, mais, dans l’art du bargaining, elle ne manque pas de bagou ! Les États membres sont étroitement tenus au courant des discussions. Bruxelles dispose d’un budget de 2,15 milliards d’euros. Une rallonge de 750 millions sera demandée par la suite. Comment sélectionner les premiers interlocuteurs ? « Nous avons déterminé des critères comme la rapidité d’élaboration du vaccin, la diversité des technologies et des approches scientifiques, de manière à se donner les chances les plus grandes d’obtenir ce vaccin ou encore la capacité à fournir un nombre important de doses », explique la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides.
Quelques mois plus tard, les négociations aboutissent, mais le prix du vaccin demeure secret pour éviter de gripper les négociations. « Nous avons fait pression sur les labos pour obtenir un prix abordable », assure le cabinet de la commissaire à la Santé. Chaque État peut se désister d’un contrat de précommande s’il le souhaite. Aucun ne l’a fait. « Quand tout sera terminé, la transparence, de règle lorsqu’il s’agit de l’argent européen, sera rétablie », assure l’entourage d’Ursula von der Leyen. Le budget européen est public.
Le premier contrat est signé le 27 août avec AstraZeneca. Suivront Sanofi-GSK (18 septembre), Johnson & Johnson (21 octobre). BioNTech était sans doute le plus avancé, mais le contrat a tardé à être conclu. L’annonce de Pfizer-BioNTech a précipité la signature du contrat par l’UE deux jours plus tard. La présidente von der Leyen a passé un savon à ses proches conseillers qui, depuis le départ, ne
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À ce stade, les firmes pharmaceutiques se sont partagé plus de 2 milliards d’euros de précommandes.
croyaient pas beaucoup en cette firme. Curieusement, ■ elle n’a pas mentionné que le brevet de BioNTech, firme allemande, a bénéficié d’un prêt de la Banque européenne d’investissement, et que son inventeur allemand, d’origine turque, a bénéficié d’une bourse d’excellence de l’UE… Incroyable Europe qui passe sous silence ses propres réussites.
Restent trois contrats de précommandes à finaliser : l’un avec l’allemand CureVac, l’autre avec Moderna, le dernier (moins avancé) avec Novavax. Au total, en finalisant tous les contrats, l’Europe devrait disposer de plus de 1,88 milliard de doses, de quoi largement couvrir les besoins (voir p. 40). L’UE a pris le risque de miser sur des projets de vaccins qui n’aboutiront pas nécessairement. Le risque de pertes est assumé et mutualisé par les 27 États membres. L’argent dépensé en préachat ne sera pas remboursé par les groupes pharmaceutiques qui auront failli.
À ce stade, les firmes pharmaceutiques se sont donc partagé plus de 2 milliards d’euros de précommandes. À quoi a servi cet argent ? « D’abord, à sécuriser les approvisionnements pour les Européens, explique la Commission. Ensuite, à accélérer la recherche. Enfin, à mettre à niveau les lignes de production pour fournir les quantités à temps. Une clause est présente dans tous les contrats : les vaccins doivent être fabriqués en Europe. »
Si la précommande est mutualisée au niveau européen, c’est ensuite à chaque État d’acheter directement les vaccins aux laboratoires. Chaque État membre sera livré en même temps que ses voisins, au prorata de sa population. Donc, la France – 15 % de la population de l’UE – devrait obtenir 45 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech, soit la possibilité de vacciner 22,5 millions de personnes.
Combattre les anti-vaccins. Pour gagner du temps, le processus d’homologation des vaccins a été raccourci sans affaiblissement des exigences sécuritaires. L’achat final, l’acheminement, le stockage, la logistique de la vaccination et la stratégie des populations à vacciner en priorité relèvent de la responsabilité des États membres. Chacun décidera des conditions de remboursement du vaccin chez lui. Si le prix de chaque dose n’est pas encore arrêté, la Commission évoque un prix final autour de 30 euros, et même plus pour le vaccin innovant de Pfizer, alors que, de son côté, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministère de l’Économie, qui a mené les négociations pour le compte de la France, espère un « prix de chaque vaccin plutôt inférieur à 20 euros ». Quoi qu’il en soit, le vaccin devrait être pris en charge à 100 % dans l’Hexagone.
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Chaque État membre sera livré au prorata de sa population. La France devrait obtenir 45 millions de doses du vaccin Pfizer, soit de quoi vacciner 22,5 millions de personnes.
Enfin, il faudra encore affronter un dernier ■ défi de taille : celui de l’acceptabilité. Le meilleur des vaccins n’est d’aucune utilité si personne n’en veut. La défiance envers les vaccins fait rage en Pologne ou en Italie, mais la France est championne… du monde ! Dixit une étude internationale menée depuis 2015 dans 67 pays. Pourra-t-on éviter au vaccin anti-Covid de subir le même sort que le HPV qui, malgré ses qualités, plafonne à 30 % de couverture vaccinale ?
Théories du complot. Coronavirus ou pas, plus le temps passe, plus la défiance gagne du terrain. Les mouvements anti-vaccins profitent de la sidération des populations et des déboires politiques pour grignoter davantage les esprits, avec les réseaux sociaux en caisse de résonance. Un rapport publié début novembre par First Draft, ONG spécialisée dans la lutte contre les fausses informations, a passé au crible le discours des anti-vaccins sur les réseaux, selon la langue qu’ils utilisent – français, anglais ou espagnol. Deux arguments dominent dans les trois langues : la motivation économique cachée derrière les vaccins et les inquiétudes sur la sécurité. Dans les publications francophones, les théories du complot font exploser les compteurs. Aussi infondés soient-ils, ces scénarios – comme celui, ahurissant, d’un vaccin anti-Covid servant à implanter une puce électronique – sont une menace bien réelle pour la stratégie vaccinale amorcée par la France.
Emmanuel Macron avait bien en tête cet écueil lors d’une réunion consacrée à la stratégie vaccinale à l’Élysée, le 13 novembre. Au centre de ses échanges avec les ministres de la Santé et de la Recherche, le Pr Delfraissy, président du Conseil scientifique, et Marie-Paule Kieny, l’importance d’homogénéiser les recommandations et la logistique au niveau européen pour éviter d’alimenter les polémiques et les tensions. Histoire aussi d’échapper, pour une fois, à la comparaison désavantageuse avec nos voisins allemands, érigés en exemples depuis le début de la pandémie.
Petit détail, au cours de cette réunion, le président de la République a insisté pour explorer toutes les pistes, même les plus controversées, comme celles des vaccins russe et chinois. Décidément, quand il s’agit de la santé des Français, tous les moyens sont bons…
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