Sacrée galerie de monstres !
On se souvient du surnom décoché par Mauriac à Sagan dans les colonnes du Figaro : « charmant petit monstre ».
Est-ce en clin d’oeil à celle qui conduisait sa Jaguar pieds nus qu’Anne Fulda, fine plume du même journal, a intitulé son recueil de portraits Mes très chers monstres ? Car on sent qu’elle les chérit, ses monstres ! Mais pas au point de ne pas les partager avec nous, et on la remercie ! En latin, le monstre est celui que l’on montre, nous aurait dit feu Alain Rey, autre monstre. Parce qu’il fait peur ? Pas forcément. Une panthère fait-elle peur ? Le monstre, c’est ce qui échappe à la norme, qui l’éclipse en beauté, en cruauté, en talent. Des panthères, il y en a plein, chez Anne Fulda. Delon, par exemple, plutôt guépard, d’ailleurs, tendre et rugueux, capable de lui sortir, après lui avoir parlé de son père : « Il n’est pas facile d’être le fils d’Alain Delon, mais être son père n’est pas évident non plus. » Depardieu, céleste et infernal, décrivant Barbara, tout pantelant d’émotion, comme, simplement,
« celle qui tendait les bras ». Lagerfeld, dont Anne Fulda rend merveilleusement le regard désarmant derrière les lunettes noires. Mais aussi Bardot, Kersauson, Schwarzenegger, Rampling, Giesbert, Giscard, ou Macron, cette énigme. Sacrée galerie, pleine de bons mots, d’enseignements. Qu’est-ce qui fait un portrait réussi ? L’empathie et la pointe sèche, la complicité pas dupe, le style, jamais loin du stylet. Un alliage très humain qui, par-delà les postures, les visages de façade, parvient à percer chez l’autre ce que Zweig appelait « le ferment qui met nos âmes en effervescence ».
Bien joué CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
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Anne Fulda, Mes très chers monstres, L’Observatoire, 368 p., 22 €.