Le Point

Mode - Roger Vivier : une boucle, sinon rien

Deneuve, dans Belle de jour, a fait de la boucle de soulier de Roger Vivier une icône absolue. Toujours bien vivante.

- PAR VICKY CHAHINE

C’est une prestation qui restera dans les annales du cinéma, et un costume dans celles de la mode. Le film Belle de jour sort en 1967. Catherine Deneuve y campe une héroïne bovarienne tentant de s’échapper du carcan de la bourgeoisi­e. Son vestiaire en est la parfaite incarnatio­n : des silhouette­s sobres au-dessus du genou signées Yves Saint Laurent et, aux pieds, des petits talons à bout carré dont l’empeigne est surmontée d’une boucle en métal. La paire est signée Roger Vivier, que l’on surnomme alors «le Fabergé du soulier», connu notamment pour avoir imaginé les chaussures portées par la reine Élisabeth II lors de son couronneme­nt, en 1953. L’actrice elle-même l’a sélectionn­ée. «Saint Laurent travaillai­t beaucoup avec Roger Vivier, donc ce choix m’a semblé évident. […] Je suis passée à la boutique de la rue François-Ier et j’ai essayé plusieurs modèles. Je voulais des talons pas trop hauts. […] Quand il les a vus, Buñuel a dit “c’est bien”, et c’était réglé », raconte Catherine Deneuve dans l’ouvrage Roger Vivier, paru en 2013 chez Rizzoli. Le chausseur parisien les rebaptiser­a même « Belle Vivier », un clin d’oeil à l’actrice française qui leur a donné leurs lettres de noblesse.

D’ailleurs, c’est du vestiaire des marquis qu’en vient l’inspiratio­n. Ceux-ci aimaient orner leurs souliers avec des boucles. En 1965, Roger Vivier s’empare de la forme rectangula­ire en accentuant sa géométrie et en modernisan­t ses lignes. Le modèle avec boucle chromée apparaît pour la première fois aux pieds des mannequins d’Yves Saint Laurent pour la présentati­on de sa collection Mondrian, qui fait alors grand bruit. Il fait même la couverture de Vogue. Le succès est en marche : dans la boutique parisienne de la rue François-Ier, celle-là même où Deneuve viendra faire son choix, il s’en vend une cinquantai­ne de paires par jour. C’est dire comme la boucle a marqué la silhouette d’une époque. Jacqueline Kennedy, Hélène Rochas, Marlene Dietrich, Jeanne Moreau ou encore Brigitte Bardot s’en entichent. Mieux qu’un logo, la boucle s’affiche, identifiab­le de loin, offrant une visibilité incroyable au chausseur. « Un véritable bijou de pied, estime Gherardo Felloni, directeur artistique de la marque depuis 2018. Dans les archives de la maison se trouvent d’innombrabl­es variations : formes rondes ou triangulai­res, boucles inversées, recouverte­s de pierres précieuses… C’est une source d’inspiratio­n perpétuell­e, mais c’est aussi un défi de la réinventer chaque saison. » Dans les collection­s actuelles, elle orne des ballerines, des sacs, des baskets, des ceintures… À l’occasion de son cinquante-cinquième anniversai­re, la prochaine saison lui rend encore un peu plus hommage. « Pour le printemps-été 2021, j’ai imaginé différents styles pour les Belle Vivier, en réinterpré­tant la boucle de multiples façons : dans une version bicolore, une autre entièremen­t recouverte de veau velours, dans une variante laquée pour habiller nos sneakers décontract­ées », poursuit le créateur. Sa première rencontre avec la boucle ? À l’âge de 20 ans, lors d’un festival de cinéma à Florence. « J’étais venu voir Catherine Deneuve et… ses souliers ! »

« C’est une source d’inspiratio­n perpétuell­e, mais c’est aussi un défi de la réinventer chaque saison. » Gherardo Felloni

 ??  ?? Immortalis­és par Deneuve dans le film de Luis Bunūel (ici, au côté de l’actrice), les escarpins Roger Vivier apparaisse­nt dans la collection Mondrian d’Yves Saint Laurent, en 1965 (à dr.), et cet automne-hiver en version mules strassées.
Immortalis­és par Deneuve dans le film de Luis Bunūel (ici, au côté de l’actrice), les escarpins Roger Vivier apparaisse­nt dans la collection Mondrian d’Yves Saint Laurent, en 1965 (à dr.), et cet automne-hiver en version mules strassées.
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