Le Point

Conte - Dessine-moi un pangolin

Marc Lambron réécrit « Le Petit Prince » en 2020 : « La Princesse et le Pangolin ». Un conte pour tous les âges sur nos peurs, nos obsessions, et l’espoir qui fait vivre. À condition d’avoir le droit de rire.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Sale temps pour le pangolin, cet « artichaut à l’envers », comme l’appelait Pierre Desproges… D’abord animal le plus traqué au monde par les braconnier­s de tout poil, lui qui n’a que des écailles, puis accusé – et sans doute à tort, nous disent de récentes études – d’être le responsabl­e de la transmissi­on à l’homme du Covid-19 ! Heureuseme­nt, le camarade Marc Lambron est là pour le tirer de ce bad buzz. Et lui mettre un peu de baume au coeur. Marc Lambron, ou plutôt la petite princesse que ce dernier a rencontrée pendant le premier confinemen­t. Une petite princesse tombée du ciel, comme jadis son pendant masculin à l’écharpe aérienne éternisé par un certain Saint-Exupéry, auquel ce livre rend un adorable hommage. Le titre, La Princesse et le Pangolin, annonçait la couleur d’un conte contempora­in volontiers ironique. Celui-ci sera, au contraire, « plein d’usage et raison », comme disait un autre voyageur, et aussi mordant que caressant. Surtout quand Lambron décrit la langue du pangolin, capable de très doux baisers qui remontent le moral.

« Ce que tu dis là me touche beaucoup, reprit la petite princesse. Tu vis donc dans un univers de quiétude, tes écailles te couvrent comme un manteau de sagesse. Quelle leçon heureuse ! »

Le secret du bonheur. L’histoire commence donc peu ou prou comme chez Saint-Ex. Un géologue en mission répare le moteur de sa Jeep sous le cagnard du Sahara quand une petite voix l’interrompt : « Dessine-moi une chauve-souris. » C’est une ado blonde aux allures d’enfant, «aux bonnes joues de petites pommes», avec des nattes qui remontent comme les couettes de Fifi Brindacier. Elle est d’ailleurs, comme elle, suédoise, elle se prénomme Greta, mais choisit l’anglais quand elle souhaite s’offusquer contre un mot ou un acte trop peu écologique à son goût, lançant alors à son interlocut­eur un très violent « How dare you ? », excellent running gag avec lequel Lambron s’amuse comme un petit fou. On reconnaît en effet la célèbre Greta T., princesse médiatique dans la vraie vie, demandant ici au géologue « boomer » qui lui tend sa gourde s’il s’agit bien d’eau alcaline ionisée, et s’insurgeant qu’il roule en diesel et non grâce à l’énergie houlomotri­ce ou à la biomasse, sans parler du photovolta­ïque.

Pourquoi, au fait, veut-elle une chauve-souris ? Parce que ses plans de quinoa subissent une agression d’insectes et qu’elle voudrait s’en débarrasse­r. Naturellem­ent, il va s’en dire… Dessiner une chauve-souris, donc, mais une « chauve-souris gentille », et surtout pas de boîte ou de cage, « How dare you ? », car cela la « violentera­it ». L’occasion pour l’avatar 2020 du Petit Prince de raconter le voyage qu’elle vient de faire dans la galaxie non pas à la recherche d’amis, mais du « secret du bonheur ». Qui n’est donc pas seulement, semble t-il, dans le quinoa. Adieu, donc, le buveur qui boit pour oublier qu’il boit, le businessma­n propriétai­re d’étoiles, ou l’allumeur de réverbères, et place aux dieux et déesses du panthéon lambronien – Frank Sinatra, Janis Joplin, Ernesto Guevara ou Albert Einstein – qui, chacun sur l’« astéroïde d’honneur » où ils règnent seuls depuis leur mort, livreront à princesse Greta quelques précieuses leçons de bonne vie. Les lectrices et les lecteurs attentifs lèveront alors mentalemen­t le doigt pour demander ce qu’il en est du pangolin. C’est le clou du spectacle, et nous n’en dirons pas trop pour ne pas priver les adultes revenus de tout et les enfants pleins d’espoir qui trouveront un plaisir égal, quoique différent, entre les pages de ce conte drôle et enlevé. Car, à l’instar du renard de Saint-Ex, c’est le pangolin (très étonné que les hommes croient que ses écailles «peuvent améliorer leurs saillies», compte tenu de la « placidité » de ses semblables en la matière) qui sera chargé d’annoncer à la gamine qu’« on ne voit bien qu’avec le coeur ». Mais qui osera lui dire que, en ce moment, importer un pangolin et une chauve-souris sur son mini-astre bio et préservé n’est pas forcément la meilleure des idées ?

■ La Princesse et le Pangolin (Les Équateurs, 93 p., 10 €).

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