Le Point

Les séries modifient-elles notre rapport au pouvoir ?

Nouvelles épopées de notre siècle, les séries sont autant de fenêtres sur l’art d’exercer le pouvoir. Et ce n’est pas l’ex-Premier ministre, Édouard Philippe, qui dira le contraire… Incollable sur The West Wing, Borgen ou Game of Thrones, il écrit à son t

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Àceux qui se demandaien­t ce que pouvait bien faire Édouard Philippe, réélu maire du Havre, de son incroyable popularité depuis qu’il a quitté Matignon, voici déjà quelques éléments de réponse, comme on dit sur les chaînes d’informatio­n : il y pense moins qu’à la série qu’il est en train d’écrire. Oui, l’ancien Premier ministre écrit une série. Une série politique. L’histoire d’un candidat sur le point d’être élu à la présidence de la République, adaptation de son roman Dans l’ombre (Lattès, 2011), écrit avec son complice des années Juppé, Gilles Boyer. Et il souligne bien la nuance : « sur le point ». « Car il ne faut jamais considérer qu’une élection est acquise », déclare celui qui précise que « si on mettait dans une série ce qui s’est passé lors de la dernière présidenti­elle, personne ne le croirait ». Et de pitcher l’élection : « Un candidat dont on pense qu’il va gagner et qui est battu dans son propre camp à la fin du mois de novembre? Le vainqueur, qui, fin décembre, a des problèmes et dont tout le monde pense qu’il va devoir partir, qui ne part pas et qui est battu quelques mois plus tard ? “C’est quoi votre truc ?” diraient les spectateur­s… » Un « truc » qui a débouché sur l’élection d’un nouveau venu nommé Emmanuel Macron, dont Édouard Philippe devait, quelques semaines plus tard, devenir le Premier ministre. C’est vrai, qui l’aurait cru ?

Plus fort qu’une série. Et pourtant, Édouard Philippe, comme il s’en explique dans la longue interview qu’il nous a accordée à l’occasion de notre hors-série (voir ci-contre), est un dingue de séries. Pas trop House of Cards, «pas crédible au sens où on ne pousse pas un ennemi politique dans le métro pour le supprimer», un peu plus Game of Thrones, « qui n’est que politique : comment on conquiert le pouvoir, comment on le conserve, comment on navigue entre le religieux et le civil, entre les monarchies électives et les dynasties filiales, les clans ». Mais surtout fan de The West Wing (« À la Maison-Blanche »), qu’il est en train de regarder pour la quatrième fois et dont il n’est « pas impossible », nous a-t-il confié, qu’il se soit inspiré d’une scène quand il était à Matignon, en pleine crise du Covid-19… Laquelle ? À lire dans notre hors-série !

Prophétiqu­e. Au fait, pourquoi The West Wing ? Parce que la série, scénarisée par le génial Aaron Sorkin (interviewé lui aussi), a façonné son rapport à la politique. Parce qu’elle montre, dit encore Édouard Philippe, « la tension entre la solitude de l’exercice du pouvoir et le fait que la politique est un art collectif » et que « deux personnali­tés aux antipodes dans leur appréhensi­on de la société et du droit peuvent trouver une complicité dans le travail ». Prophétiqu­e, pour ce cofondateu­r de l’UMP devenu le général en chef de la macronie, dont l’alliance des contraires, mieux, leur simultanéi­té, le fameux « en même temps », fut longtemps l’un des principes ?

Les séries sont nos nouvelles épopées. Et quand elles parlent du pouvoir, elles sont une véritable mine pour en décrypter les arcanes. De la même manière qu’Alexandre le Grand trouvait dans les péripéties de L’Iliade – annotée de la main de son précepteur, Aristote – un gisement de conseils sur l’art de gouverner, les séries sont aujourd’hui, certaineme­nt, les meilleures fenêtres sur le pouvoir.

Transparen­ce. Il faut dire qu’elles sont souvent alimentées par des gorges profondes venues de là où il s’exerce, qu’elles soient ancrées dans la réalité ou qu’elles embrassent des mondes imaginaire­s – comme La Servante écarlate ou Game of Thrones – toujours pleins d’échos avec le nôtre. Certes, on peut songer à la fragilité de la démocratie en écoutant Frank Underwood, dans House of Cards, nous lancer, face caméra : « Democracy is so overrated » (« La démocratie, c’est si surestimé… ») ou en découvrant les saillies du candidat antisystèm­e Christophe Mercier, mi-Gilet jaune, mi-Beppe Grillo, dans Baron noir. Certes, on peut réfléchir au bien-fondé – ou pas – de la transparen­ce en politique en visionnant Borgen ou réfléchir sur la violence légitime d’un État sur le terrorisme en regardant Le Bureau des légendes. Mais on peut, aussi, s’inquiéter de la surveillan­ce totale que met en oeuvre, déguisée en sagesse, l’épisode final de Game of Thrones, comme le montre Étienne Gernelle dans ce hors-série. Ou se féliciter au contraire de la montée en puissance au plus haut du pouvoir, dans les séries les plus récentes, de figures politiques féminines. Si elles ont pour but premier de nous divertir, les séries nous disent aussi beaucoup de notre monde et, peut-être, de ce qui s’annonce. Ainsi 24 Heures chrono, en son temps, a-t-elle préparé les esprits à la possibilit­é d’un président noir, et Borgen, à celle de l’élection d’une femme à la tête du Danemark. Mais, comme le rappelle encore l’ex-Premier ministre, ces séries ne mettent-elles pas en scène ces situations parce que la société est enfin prête à les voir ? Aussi doit-on considérer avec suffisamme­nt de sérieux le résultat du sondage de l’institut Ifop, qui place la série espagnole La Casa de papel en tête dans toutes les sensibilit­és politiques.

Rébellion. Une série qui raconte comment une bande d’indignados, moins altruistes qu’autocentré­s, décident de braquer l’État en s’introduisa­nt dans la Fabrique de la monnaie pour y imprimer 2,4 milliards d’euros avant de se faire la malle au soleil. Une fiction plus vraie que nature qui fait l’éloge de la rébellion contre les élites policières et politiques, et où l’on chante l’hymne ouvrier et antifascis­te Bella ciao en s’attaquant à la matrice monétaire nationale. On se serait attendu à la voir triompher chez les Insoumis, peut-être, mais chez les Républicai­ns ou les Marcheurs ? Un symptôme de la défiance envers les institutio­ns, pour le dire poliment ? Ou de l’individual­isme ambiant d’une société prête à tout pour quelques dollars (ou euros) de plus ? Allons, ce n’est que du divertisse­ment. Comme lorsqu’on dit, dans Game of Thrones : « Winter is coming »…§

« Il n’est pas impossible que je me sois inspiré de “The West Wing”, quand j’ai dit qu’on allait faire une conférence de presse – et qu’elle allait être un peu longue. »

Édouard Philippe

 ??  ?? House of Cards, La Casa de papel, Borgen, Game of Thrones, Le Bureau des légendes, La Servante écarlate, The Crown ou Homeland, Parlement, et même Les Simpsons ! Un voyage au coeur de toutes les grandes séries qui comptent. En kiosque et sur notre boutique en ligne, 100 p, 8,90 €.
House of Cards, La Casa de papel, Borgen, Game of Thrones, Le Bureau des légendes, La Servante écarlate, The Crown ou Homeland, Parlement, et même Les Simpsons ! Un voyage au coeur de toutes les grandes séries qui comptent. En kiosque et sur notre boutique en ligne, 100 p, 8,90 €.
 ??  ?? Révélateur. Quelles soient inspirées du réel, comme « Baron noir » (à g., Anna Mouglalis et Kad Merad) ou pure fiction – « La Servante écarlate » (à dr.) –, les intrigues des séries politiques nous enseignent les mécanismes du pouvoir.
Révélateur. Quelles soient inspirées du réel, comme « Baron noir » (à g., Anna Mouglalis et Kad Merad) ou pure fiction – « La Servante écarlate » (à dr.) –, les intrigues des séries politiques nous enseignent les mécanismes du pouvoir.
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 ??  ?? Inspirant.
Jed Bartlet (Martin Sheen), le président de « À la MaisonBlan­che », et son grand fan, Édouard Philippe.
Inspirant. Jed Bartlet (Martin Sheen), le président de « À la MaisonBlan­che », et son grand fan, Édouard Philippe.

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