L’hommage à tous les M. Germain
Mohammed Aïssaoui, Laure Buisson, Philippe Labro… Dans « Mon prof, ce héros » (Presses de la Cité), ils se souviennent de l’enseignant qui leur a ouvert les yeux sur le monde, tel l’instituteur de Camus à Alger.
S’agirait-il du grand engagement de notre époque, équivalent de celui sous les drapeaux au siècle dernier ? Le sacrifice diffère, certes, mais la mission, toujours, consiste à relever ce qui est à terre, à faire d’enfants des adultes, à cerner l’essentiel au détriment de l’accessoire, à résister à des forces qui entament des permanences, une géographie hier, une représentation du vivre-ensemble aujourd’hui. La tâche est lourde pour nos professeurs qui, s’ils sont sous-payés, sont désormais honorés au son des tambours républicains – c’est toujours bon à prendre. Il a fallu la décapitation de l’un des leurs, Samuel Paty, pour mesurer leur apport, qui dépasse la seule instruction. Un livre, Mon prof, ce héros (Presses de la Cité), leur rend hommage.
Ainsi des écrivains, des journalistes et des historiens révèlent-ils avec gratitude les noms de ceux qui sont en partie à l’origine de leurs fondations. « Je suis maintenant devenu l’un des vôtres, écrit Claude Aziza, professeur de littérature latine. Je fais désormais partie du long cortège des ombres qui, toutes, apportèrent leur pierre au temple du savoir. » Albert Camus avait M. Germain ; pour le critique littéraire Mohammed Aïssaoui, la romancière Laure Buisson et le cinéaste Philippe Labro, ils s’appelaient M. Mellière, M. Lefourne et M. Primault. La journaliste Josyane Savigneau ne l’aurait pas été, confie-telle, sans Solange, qui « savait que je voulais être journaliste et qu’on faisait tout pour me décourager – parce que j’étais une femme, provinciale, pas née dans la bourgeoisie ». Autorité et humanité. Ces récits autobiographiques racontent diverses époques, ainsi qu’un environnement social qui n’est plus, où chacun priait ses dieux et portait ses superstitions dans le silence qu’imposait l’édifice républicain. « Il y avait dans mon lycée public, se souvient l’écrivain Sébastien Lapaque, une chapelle où une poignée d’élèves assistaient à la messe une fois par mois, un professeur de mathématiques juif qui ne donnait pas cours le jour de Kippour, et personne ou presque ne s’en rendait compte. La main de Fatma portée en pendentif autour du cou par quelques camarades faisait figure de curiosité orientaliste. »
Humanité. Notre chroniqueur, Kamel Daoud, lui, se remémore cette question posée par « Maîtresse » : « “Qui commande ici?” me lança-t-elle. La réponse fut irréfléchie. Comme naturelle, elle fusa. “Vous.” Je vis alors le visage de “Maîtresse” se figer, puis glisser lentement vers l’amusement et la surprise, se teinter d’une sorte de tendresse et d’admiration. » Autorité et humanité. C’est précisément cette humanité qui fait défaut à la race de ceux qui veulent la mort de tous les Samuel Paty du monde. « Une vie ne suffira pas pour leur manifester notre gratitude », écrit en prélude l’éditrice Sofia Bengana, qui, elle aussi, se souvient : « Pour ma part, l’histoire de Samuel Paty me renvoie aux années 1990 en Algérie, mon pays. Tant d’instituteurs y ont été tués par les terroristes. » Par cette évocation, ce livre, Mon prof, ce héros, devient aussi leur couronne SAÏD MAHRANE ■
Mon prof, ce héros, collectif (Presses de la Cité, 128 p., 12 €). Parution le 3 décembre, disponible en version numérique. Tous les bénéfices du livre seront reversés à la Fondation Égalité des chances – Institut de France.