BD (Hubert et Zanzim) : Peau d’homme, prix Wolinski 2020
Qu’il fait du bien, en ces temps de pruderie et de fermeture à l’autre, le sensuel, piquant et flamboyant conte du duo Hubert et Zanzim !
C’est une fable piquante et étourdissante, où le sexe, le désir et les plaisirs (de boire, de philosopher, de se bagarrer) ont la part belle. Nous sommes dans une cité italienne de la Renaissance, qui ressemble beaucoup à Florence ou Sienne. Elle prend vie par la grâce des planches de Zanzim, dont le trait plein de candeur évoque les fresques d’un Ambrogio Lorenzetti comme les illustrations qui enluminaient les contes de fées de notre enfance. Mais attention, car derrière le jeu et l’innocence, Peau d’homme dissimule, comme son héroïne, la troublante Bianca, des secrets bien plus inavouables. Le scénariste Hubert, disparu en février, livre ici une dernière oeuvre à son image, lumineuse et sombre, idéaliste et réaliste, tout en clair-obscur. Bianca est contrainte à un mariage arrangé avec un certain Giovanni. Par l’entremise de sa marraine, qui entend lui faire découvrir « l’autre sexe, tant les hommes sont pour les femmes un continent étranger », elle endosse une peau magique qui la métamorphose en un irrésistible éphèbe prénommé Lorenzo, dont la silhouette et les courbes – parfois ithyphalliques ! – empruntent à la statuaire de Donatello. Comme pour le devin Tirésias avant elle, qui fut transformé en femme et révéla à Zeus que, si le plaisir dans l’acte d’amour se composait de dix parts, l’homme ne jouissait que d’une seule et la femme de neuf, un monde nouveau s’ouvre alors à Bianca. Mais Giovanni préfère la compagnie des dialogues de Platon à celle de son épouse. Il en pince aussi, et surtout, pour les jolis garçons, et délaisse bientôt Bianca pour… Lorenzo. Giovanni décide de faire l’éducation sensuelle et intellectuelle de celui qui cache une épouse
dont il ne veut pas. Bianca, de son côté, apprend à aimer, dans la peau de Lorenzo, ce mari qui la repousse et à qui elle a, elle aussi, bien des choses à enseigner. Car tout platonicien qu’il soit, Giovanni a sur les femmes des idées bien arrêtées, signe que les préjugés ne sont pas réservés à un genre ou une religion. Peau d’homme résonne d’ailleurs étrangement avec notre temps. Il plane en effet sur ce marivau
dage échevelé une ombre inquiétante : celle de Fra Angelo, le propre frère de Bianca et avatar de l’illuminé Savonarole. Il harangue des foules aveuglées par l’intolérance et le fanatisme, morigène dans ses discours femmes adultères, peintres travestis et bougres sodomites, auxquels il promet les flammes éternelles de l’enfer. Le triste sire sera finalement chassé, et Bianca et Giovanni échapperont au bûcher, mais ce sera pour mieux vivre cachés, comme pour consacrer la victoire douce-amère de la règle et du conformisme. Ce carnaval queer et iconoclaste, traversé par l’esprit joyeux d’un Pasolini (celui du Décaméron) ou d’un Ovide (celui de L’Art d’aimer), aurait, à n’en pas douter, comme les formes qui se cachent sous cette peau d’homme, beaucoup plu à notre regretté président Wolinski ■
Peau d’homme de Hubert et Zanzim (Glénat, 160 p., 27 €)