Le Point

L’homme qui voulait changer la France

Destin. Président de la République à 48 ans, Valéry Giscard d’Estaing, disparu le 2 décembre à Authon, réforma la société française et oeuvra pour la constructi­on européenne. Portrait.

- PAR ROMAIN GUBERT

La dignité d’un seigneur au soir de sa vie. Un peu voûté, mais cela ne se voit guère, il est si grand, presque au garde-à-vous devant cette vidéo qui saute sur l’écran et dont les couleurs bavent un peu. Il sourit légèrement. Sérénité. L’ancien président regarde le jeune président. Le vieil homme plisse un peu les yeux devant les images qui défilent. Elles racontent une belle histoire : un homme jeune, triomphant, descend les Champs-Elysées à pied, des promesses plein la tête. Quelques jours plus tôt, 13 396 203 Français ont voté pour lui, lui confiant le destin du pays pour sept ans. L’ancien président n’a pas besoin de tendre l’oreille : la voix du commentate­ur ressemble à celle d’un journalist­e sportif à l’arrivée d’une étape du Tour de France. Il décrit le costume du président, son allure, les gardes républicai­ns dans leur bel uniforme de parade. Mais il passe à côté de l’essentiel. Ce jeune président veut changer la France et personne ne le sait encore. Celui qui doit prendre ses fonctions dans quelques minutes à la suite de Georges Pompidou et surtout du général de Gaulle agite le bras pour saluer ceux qui l’acclament joyeusemen­t ; mais nul ne connaît vraiment son programme. La mort de Pompidou a pris tout le monde de court et la campagne électorale n’a duré que quelques semaines.

Miroir. À quoi pense VGE en contemplan­t ces images qui illustrent un tel moment de grâce ? Nostalgie, émotion, tristesse, regrets, vertige du temps qui passe et que tout efface ? Ce serait une faute de goût de le lui demander. Ces images qui défilent sur l’écran appartienn­ent à l’histoire du pays. Mais, pour l’homme âgé qui sourit avec bienveilla­nce en passant le doigt sur l’écran, elles sont d’abord un miroir.

Longtemps, elles furent même un poison d’une cruauté sans limite, une douleur qui ne prendrait jamais fin. Car ce 27 mai 1974, c’était il y a un siècle. Il a été balayé par un autre mois de mai, sept ans plus tard, en 1981, lorsque

les Français ont chassé ce jeune président pour confier leur destin à François Mitterrand. Giscard a mis un temps infini à faire le deuil de ce mois de mai de défaite. Il n’y voyait que l’ingratitud­e des Français. Cela l’empêchait de faire un bilan serein des sept années pendant lesquelles il a conduit le pays en lui insufflant le formidable élan de modernité dont la France avait tant besoin.

Quarante ans après avoir remonté les Champs-Élysées, VGE ne souffre plus. Depuis quelques années, il sourit avec la même grâce que le jeune homme de la vidéo. Ce film l’amuse presque. Il a fallu tant de temps pour qu’il puisse le regarder sans effroi, sans vertige, sans colère. Il a pardonné aux Français. Et sans doute à lui-même.

En ce début d’été 2015, l’ancien président est un homme apaisé. Il s’est improvisé guide touristiqu­e. Il porte des chaussures de sport, comme s’il s’apprêtait à jouer au tennis, pour faire visiter au journalist­e du Point le « musée Giscard », celui de son septennat. Il l’a installé à Estaing, dans un château racheté à la commune dix ans plus tôt et qui accueille le récit de son action. Cet écrin, ce château aux escaliers étroits, c’est celui de ses ancêtres. L’ancien président aime y séjourner. Il apprécie son donjon, la vue généreuse sur la vallée du Lot. Il est assez fier aussi d’avoir remis d’aplomb (avec quelques généreux amis mécènes) l’édifice, dont chaque pierre, il le répète volontiers, se confond avec l’histoire de France. De faire revivre aussi la lignée que les Estaing ont donnée à la France et dont il sait qu’il est l’un des plus illustres représenta­nts.

Chevaliers d’Estaing. Marcher dans les couloirs sombres derrièrele­châtelain,c’estaccompa­gner les premiers chevaliers d’Estaing. Aldebert, le « père » de la dynastie. Tristan, qui a « sauvé la France » en offrant son cheval à Philippe Auguste, en 1214, sur le champ de bataille de Bouvines – un cadeau qui changea le cours de la royauté car, grâce à cette monture, le monarque put se mettre à l’abri et préparer une contre-offensive. Les Estaing, racontés par celui qui présida le destin des Français pendant sept ans, incarnent une épopée glorieuse. Ils comptent des évêques, un cardinal, des chevaliers de Malte et une ribambelle de militaires de haut rang, des ancêtres qui, à en croire leur illustre descendant, ont en commun d’avoir accompli d’exceptionn­elles actions qui marquèrent l’Histoire.

VGE est un bon professeur : l’écouter, c’est rencontrer un Estaing glorieux à chaque page de notre roman national. Ou un martyr,parfois.Commel’amiralChar­les Henri, guillotiné en 1794. Mais c’est aussi revisiter la France. Valéry Giscard d’Estaing passe la main sur le fronton d’une porte qui mène au donjon et montre le blason de sa famille, rageusemen­t mutilé à coups de pioche pendant la Révolution. « On dénonce la folie de Daech à Palmyre. Mais ce qui s’est passé à la Révolution n’est pas mal non plus », ose l’ancien président, qui aimerait presque nous faire croire qu’il a, le premier, réussi à coudre deux

VGE est un bon professeur : l’écouter, c’est rencontrer un Estaing glorieux à chaque page de notre roman national. Ou un martyr, parfois.

pans de tissu, celui de l’Ancien Régime et celui de la République.

Ses yeux pétillent. C’est le moment de le taquiner sur sa particule. VGE fronce le sourcil. La presse s’est moquée de lui pendant tout son septennat parce que son père, qui ne s’appelait « que » Giscard, a été autorisé – grâce à un décret officiel de 1922 – à accoler « d’Estaing » à son patronyme. Tout à fait hypocritem­ent, on lui rappelle tout de même que les journaux de l’époque – c’est toujours plus facile de se cacher derrière les confrères – ont tout de même beaucoup ironisé sur le sujet. VGE nous fusille du regard deux ou trois secondes. « Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ? »

Il sourit. D’un signe de tête, il nous demande de le suivre dans une salle voisine. Un autre que lui nous aurait tiré par la manche, mais ça ne se fait pas chez les Giscard. Sur le mur, il a fait dessiner son arbre familial sur quatre siècles. Le voici généalogis­te. Il passe le doigt sur les lignes, les fratries, les cousinages… Il connaît cette histoire familiale aussi bien que les routes secondaire­s de l’Auvergne. « Cette fresque, c’est pour faire taire les rieurs. On peut décider de gommer des morceaux de l’histoire de France mais je m’y refuse. Si les journalist­es s’étaient donné un peu de mal et qu’ils connaissai­ent l’Histoire, ils auraient cessé de rire bêtement. Nous sommes les derniers descendant­s de la branche des Estaing ».

Anne-Aymone prend son mari par le bras et l’entraîne vers une vitrine dans laquelle est exposé son uniforme de polytechni­cien. « On l’a longtemps gardé en y faisant attention. On a bien fait », dit-elle, sans qu’on puisse deviner si elle est heureuse que le bicorne n’encombre plus ses placards ou si elle est tout simplement fière de son époux. Est-ce de la tendresse ? De l’amitié ? De la bienveilla­nce ? Entre l’ex-président et l’ex-première dame, les sourires ne mentent pas.

Dans le parcours des grands hommes nés dans le premier quart du XXe siècle, le diplôme n’était finalement qu’un détail face aux choix offerts par l’Histoire. Ce qu’on avait fait pendant la guerre et les heures sombres des années 1940 comptait davantage que les diplômes des grandes écoles. Giscard était trop jeune de

quelques années pour jouer les héros de l’armée de l’ombre, mais, dans la vitrine, son bicorne de l’X voisine avec une médaille et quelques diplômes qui racontent l’engagement d’un jeune soldat dans l’armée française en 1945, pour participer à la chute du régime nazi.

En 1942, Valéry a 16 ans. Il envisage de gagner Londres en compagnie de son cousin François. Mais voilà : même quand on est un adolescent séduit par un jeune Général plutôt que par un vieux Maréchal, on ne s’oppose pas à Edmond Giscard, inspecteur des Finances et homme d’affaires qui préfère voir ses enfants à l’étude plutôt qu’une arme à la main dans les maquis auvergnats.

Au feu. A la libération de Paris, Valéry Giscard d’Estaing ne rate pourtant pas son premier rendez-vous avec l’Histoire. Il intègre l’armée du général de Lattre (un ami de sa famille) pour participer à la campagne d’Allemagne. Le futur maréchal de France envoie le jeune Giscard au feu, sur un char. Sur les murs du musée, la citation à l’ordre de l’armée rappelle qu’il est « devenu un pointeur de grande classe » et qu’il « a fait preuve de grand calme et de sangfroid », « montrant un complet mépris des armes automatiqu­es et des mortiers qui l’environnai­ent». On s’en étonne. Tout de même : Giscard en héros à la Patton dans « Le jour le plus long », c’est tout à fait inimaginab­le. L’ancien président sourit avec bienveilla­nce. « C’était une époque que les jeune génération­s ne peuvent pas comprendre. Mais qu’elles ne doivent pas oublier. La guerre contre nos voisins faisait partie de notre environnem­ent depuis des siècles. Elle était comme un spectre pervers. C’est pour qu’il ne revienne plus planer sur nos terres que nous avons construit l’Europe. »

Au lendemain de cette guerre qui a fracassé l’Europe, Giscard intègre sans difficulté l’Ena, cette école pour têtes bien faites nouvelleme­nt créée afin de tirer un trait en douceur sur l’élite française qui a tant contribué à « l’étrange défaite ». Le front haut, d’incontesta­bles facilités, le verbe délié malgré une parole chuintante, de bonnes manières et une certaine conscience de soi… Entre un père haut fonctionna­ire qui fréquentai­t les conseils d’administra­tion, un grand-père maternel et un trisaïeul sénateurs, la voie est toute tracée pour le jeune inspecteur des Finances. Il entre au ministère rue de Rivoli. Il s’agit de combler les trous financiers abyssaux laissés par le régime de Vichy et les réquisitio­ns allemandes. La France est ruinée, mais les Américains prêtent sans compter à cette Europe qu’ils redoutent de voir basculer dans le mauvais camp, celui de l’URSS de Staline. Giscard ne reste pas bien longtemps dans l’ombre. Ministre puis président du Conseil, Edgar Faure remarque ce jeune homme pressé et brillant à la calvitie précoce. Il en fait l’un de ses conseiller­s pour les affaires économique­s.

Parcourir les vitrines du musée Giscard, c’est entamer une chevauchée vers le pouvoir. La victoire à moins de 30 ans aux élections législativ­es de 1956 sous la bannière des Indépendan­ts et paysans d’action sociale dans la circonscri­ption du Puy-de-Dôme (celle que tient aujourd’hui son fils Louis). Sa première nomination au gouverneme­nt du général de Gaulle comme secrétaire d’Etat aux Finances en 1958, à 32 ans. Toutes ces petites étapes n’auraient qu’un intérêt limité si elles ne racontaien­t pas, en creux, une autre histoire, bien plus passionnan­te et grisante. Celle d’un jeune homme ambitieux qui se construit petit à petit un espace politique dans un univers alors dominé, à droite, par le général de Gaulle et ses proches. Et à gauche par le parti communiste.

De Gaulle aime ce grand jeune homme dont il pourrait être le père (ils ont trente-six ans d’écart). En 1959, lors du conseil des ministres, ses voisins de tablée se nomment André Malraux, Louis Joxe, Maurice Couve de Murville ou Edmond Michelet, Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny (l’indépendan­ce du Sénégal et de la Côte d’Ivoire n’a pas encore été accordée). Tous les barons du gaullisme sont là. Et il n’y a qu’une seule femme, secrétaire d’Etat à l’Action sociale dans les colonies. Le Général donne fréquemmen­t la parole à Giscard pour qu’il détaille certaines dispositio­ns économique­s ; celui-ci travaille certes sous l’autorité d’Antoine Pinay, mais de Gaulle aime être rassuré par plusieurs voix sur les sujets techniques, qu’il ne maîtrise que modérément. Malgré les Trente Glorieuses, la France – en tout cas ses finances publiques – traverse une passe économique difficile. L’inflation est colossale, les plans de sauvetage du franc se multiplien­t. Pinay communique et arbitre; Giscard gère les équipes de Rivoli et invente avec elles des solutions.

Petit à petit, le jeune secrétaire d’Etat s’autonomise. Il se rapproche de Michel Debré, le Premier ministre (1959-1962). Tous deux partisans de l’Algérie française, ils ne comprennen­t pas la stratégie de De Gaulle, qui petit à petit glisse vers l’indépendan­ce. VGE ne s’oppose pas publiqueme­nt au Général sur ce dossier – son poids politique est à l’époque tout à fait anecdotiqu­e –, mais il démontre qu’il a une colonne vertébrale et s’affirme en coulisses. Il refuse ainsi de piloter lui-même le volet financier des accords d’Evian et met un point d’honneur à ne pas rencontrer ceux qui, de l’autre côté de la Méditerran­ée, ont fait plier la France.

En 1965, le budget de l’Etat est en excédent. Ministre à part entière, Giscard, qui n’a pas 40 ans, tente un coup politique. Il

1965. Giscard prend rendez-vous secrètemen­t avec de Gaulle à l’Elysée… Il n’obtiendra que la rancoeur de Pompidou.

veut convaincre la majorité de voter une loi organique instaurant l’obligation d’équilibre budgétaire. Pompidou, alorsà Matignon, ne veut pas en entendre parler, estimant que cela briderait l’action du gouverneme­nt. Giscard prend rendez-vous secrètemen­t avec de Gaulle à l’Elysée… Il n’obtiendra que la rancoeur de Pompidou.

Dans les couloirs du musée d’Estaing, l’action du ministre de l’Economie est détaillée sous les angles les plus flatteurs. Une photo en noir et blanc de 1962 accroche l’oeil. Giscard est à la Maison-Blanche, assis sur un canapé. Le ministre du général de Gaulle fait face à JFK. Giscard n’a pas l’air gêné ou intimidé. Regard princier, attitude royale. Il est venu aux Etats-Unis rembourser le reliquat de la dette de la France contractée dans l’immédiat après-guerre. En ce mois de juillet 1962, le futur président français est âgé de 36 ans ; le président américain, de 44 ans. Ce jour-là, dans le Bureau ovale, Giscard se prend à rêver.

Les barons du gaullisme, eux, se refusent à imaginer l’après-Général. Giscard prend petit à petit et subtilemen­t ses distances. Le mouvement gaulliste est verrouillé ? Il doit faire avec Pompidou qui le tient à distance ? L’Auvergnat consolide ses réseaux politiques centristes. Avec quelques proches, il redynamise les Républicai­ns indépendan­ts, ce réseau d’élus souvent bien installés en régions mais qui n’a pas vraiment de corpus politique. Il a le temps pour lui et se construit patiemment, presque ouvertemen­t, une image présidenti­elle. Aux législativ­es de 1967, il parvient à faire élire une trentaine de députés et devient le président de la commission des Finances. Les gaullistes ont compris son jeu : ils ne lui font pas de cadeau. Pour la première fois depuis dix ans, Giscard n’est pas au gouverneme­nt. Celui qui commence à se faire appeler VGE (comme JFK…) affine son discours. Il se résume de la sorte : « Oui mais » à la politique de De Gaulle, qui réplique aussitôt : « On ne gouverne pas avec des “oui mais”. » En 1969, la rupture est assumée. L’ancien ministre du Général refuse de voter oui au référendum sur la régionalis­ation.

De Gaulle parti, Giscard hésite. Son heure a-t-elle sonné ? Il sonde ses amis. Il n’est pas assez connu. Il n’a pas 50 ans. Entre Poher et Pompidou, il ne serait que le troisième homme de cette présidenti­elle. La France n’est pas prête à lui confier son destin. Et Pompidou non plus : il choisit Jacques Chaban-Delmas pour Matignon. Le successeur de De Gaulle n’épargne pas Giscard, qui rêvait d’incarner le renouveau politique. Chaban le gaulliste n’a que onze ans de plus que Giscard, et surtout un grand projet : la « nouvelle société », qu’il invente avec sa garde rapprochée, constituée parfois d’hommes de centre gauche modernes et inventifs. C’est donc ce Premier ministre montant les escaliers quatre à quatre qui incarne le rôle du rénovateur.

Giscard ronge son frein. Pompidou ne lui fait pas confiance et place Jacques Chirac, un jeune élu de Corrèze qu’il a repéré, comme secrétaire d’Etat à l’Economie pour « surveiller » son ministre. « Pompidou se méfiait de moi, à tort, et il avait envoyé Chirac aux Finances comme secrétaire d’Etat pour me surveiller. Alors Chirac allait toutes les fins de journée raconter à Pompidou ce qui se passait rue de Rivoli. »

De ces querelles anciennes, le musée VGE ne parle pas. Giscard hausse les épaules comme si, finalement, ces petites mesquineri­es politiques ne l’avaient jamais atteint. Le musée préfère décidément mettre en scène les belles réussites de Giscard. Le terrain de jeu qu’on lui a laissé est l’économie, et, puisqu’il en maîtrise toutes les subtilités, il s’en donne à coeur joie.

En avril 1974, la mort de Pompidou est un séisme. Mais, rapidement, les jeux semblent faits. Jacques Chaban-Delmas est l’héritier naturel de la droite gaulliste. Ancien résistant, maire de Bordeaux, ancien Premier ministre, il est, sur le papier, le mieux placé pour s’installer à l’Elysée. Le plus légitime. VGE, lui, modernise le centre droit depuis plusieurs années, mais celui-ci ne ressemble encore qu’à une nébuleuse fragile de petits partis condamnée à jouer les forces d’appoint face au rouleau compresseu­r gaulliste. « Moment Giscard ». La campagne est courte. Chaban le moderniste joue le rôle de l’héritier modèle du Général. Giscard pose avec sa fille Jacinte sur les photos ; il explique qu’il regarde la France « au fond des yeux » et vante son jeune âge (il a alors 48 ans et Chaban, 59). Giscard bénéficie surtout de la trahison d’une partie des gaullistes, notamment de Michel Debré et de Jacques Chirac, qui savent qu’ils ont plus à gagner d’une victoire du centriste. Le verdict du premier tour de la présidenti­elle est sans appel. Chaban 15 % ; Giscard 32 %. VGE a réussi son pari : prendre la tête de la droite. Il lui reste à battre un François Mitterrand embarrassé dans son alliance avec le puissant parti communiste. Pendant le débat télévisé, Giscard décoche une flèche meurtrière à son adversaire : « Vous n’avez pas le monopole du coeur ! »

Les musées présentent souvent la synthèse d’une oeuvre. Celui-ci se veut pédagogiqu­e. L’ex-président et ses collaborat­eurs ont voulu rappeler aux Français ce que fut le « moment Giscard ». Au fil des galeries, on croise le TGV, le Minitel et des maquettes de centrales nucléaires. En plein choc pétrolier, VGE rêvait d’indépendan­ce énergétiqu­e pour la France. Quarante ans après sa présidence, c’est l’héritage dont il semble le plus fier. Avec le sentiment de ne pas

1962, Bureau ovale : le ministre du général de Gaulle fait face à JFK. Giscard n’a pas l’air gêné ou intimidé. Regard princier, attitude royale.

avoir manqué le rendez-vous de l’innovation, il raconte comment il a équipé en téléphones la France, très en retard sur ses voisins. Il parle d’Ariane, la première fusée européenne. Du premier satellite européen. D’Airbus.

Son autre grande fierté, c’est d’avoir laissé, dit-il, « un pays en ordre ». Malgré les deux chocs pétroliers et le début d’une crise économique, il rappelle, chiffres à l’appui, le budget à l’équilibre, le chômage au plancher, la dette inexistant­e, et préfère oublier les premières grandes restructur­ations (notamment celle de l’empire Wendel en 1978) qui coûtèrent des milliards à l’Etat.

Tel un professeur d’histoire économique, il se souvient de ces statistiqu­es vieilles de quarante ans qui racontent le déclin de l’économie américaine et celui de la Grande-Bretagne entre 1970 et 1980. « En France, nous avons fait mieux que de la résistance : nous avons préparé le pays à affronter la tempête. Ce sont les folies budgétaire­s de la période suivante qui l’ont plongé dans la crise. » Petite pique à François Mitterrand. Mais aussi à Jacques Chirac…

Dans la grande salle du musée, Giscard est maintenant un professeur de sciences politiques qui veut répondre devant ses étudiants à cette question : « L’ouverture politique est-elle possible en France ? » VGE rappelle comment il a convaincu Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud d’entrer dans un gouverneme­nt de « droite ». Il raconte ses conseils des ministres, qui ne ressemblai­ent en rien à ceux de Pompidou et de De Gaulle. Les femmes (certes peu nombreuses) n’y font pas de la figuration. Elles se nomment Simone Veil, Françoise Giroud, puis Alice Saunié-Seïté et Christiane Scrivener. Les « vieux » gaullistes sont partis et ont laissé la place à une nouvelle génération. Autour de la table du conseil des ministres présidé par VGE, tout le monde est sur la même longueur d’onde présidenti­elle : « De ce jour date une ère nouvelle de la politique française, celle du rajeunisse­ment, et du changement de la France. » La France change, les Français changent, le monde change.

C’est sur la société, passableme­nt alanguie malgré la bourrasque qui a brièvement soufflé en 1968, que Giscard imprime surtout sa marque. Au-delà de la nécessité, il veut prouver au pays que la droite peut être moderne sur les questions de société et que la gauche n’a pas le « monopole » du changement. Il faut faire de la France une « société libérale avancée ».

Ses conseiller­s et plusieurs de ses ministres hurlent quand le président abaisse la majorité à 18 ans… Ils lui font remarquer que les jeunes votent très majoritair­ement à gauche, que les prochaines élections sont perdues d’avance. Mais Giscard tient bon. Il sent qu’un nouveau Mai 68 n’est pas impossible. De Gaulle avait suffisamme­nt de ressources pour tenir face à la « révolution ». Pas lui.

Dans ce musée, les panneaux défilent. Ils racontent toutes les avancées sociales et sociétales du septennat mieux que le feraient les 540 mètres de rayonnages de documents déposés dans les soussols des Archives nationales sur le septennat. La loi Veil, bien sûr. Giscard y tenait. Chirac aussi. Les deux hommes, si méfiants l’un envers l’autre, ont soutenu Simone Veil jusqu’au bout. « Tout dans son parcours faisait d’elle la plus noble et légitime », explique Giscard. Ils devaient tenir contre la frange la plus conservatr­ice de leur famille politique. Giscard, Veil et Chirac n’ont pas décidé de légaliser l’IVG pour être dans l’air du temps ou pour réaliser un coup politique. Ils ont étudié les chiffres sur le nombre d’avortement­s clandestin­s et surtout leurs terribles conséquenc­es pour des milliers de femmes chaque année. Mais c’est aussi une prise de conscience. La société, les familles, les femmes… Tout est en train de changer. Et l’Etat ne peut, sans se décrédibil­iser, se permettre d’être en trop grand décalage avec une telle vague de fond. Une fois la loi Veil votée dans un climat passionné, Giscard encourage la contracept­ion et l’éducation sexuelle à l’école. Ses ministres s’attaquent au divorce. Sa législatio­n n’avait guère été toilettée depuis… 1884, et il fallait jusque-là la « faute » de l’un des deux conjoints pour s’affranchir des liens du mariage républicai­n. Recherche de proximité. Son allure aristocrat­ique et sa particule ne rendent pas justice à Giscard, qui, pendant tout son septennat, a cherché à humaniser à tout prix la fonction présidenti­elle. Il refuse de s’installer dans le bureau du Général et prend ses quartiers dans le salon d’angle, l’ancienne chambre à coucher de l’impératric­e Eugénie (comme le fera, seul après lui, Emmanuel Macron). Pour rapprocher le président des Français, Giscard a aussi laissé le photograph­e Raymond Depardon réaliser un document étonnant de sincérité où l’on suit pas à pas l’intimité d’un homme qui se transforme en président. Le maître des lieux ne peut s’empêcher une remarque : « Ce n’est pas vraiment le film de Depardon. C’est moi qui en ai eu l’idée. J’avais été frappé de la façon dont Kennedy avait réinventé la communicat­ion politique et je pensais que les Français voulaient un nouveau rapport, une proximité, avec leurs dirigeants. »

Cette recherche de proximité avec les Français a parfois tourné à la caricature. Tout au long de son septennat, VGE s’est mis en scène pour prouver à l’opinion qu’il était proche des « vrais gens ». Il skie, il joue au tennis, il manie l’accordéon à la télévision. Il tente de promouvoir la très discrète Anne-Aymone en l’associant à ses voeux de fin d’année au coin du feu. Il

Son autre grande fierté, c’est d’avoir laissé, dit-il, « un pays en ordre ». Malgré les deux chocs pétroliers et le début d’une crise économique.

lance la mode des labradors élyséens, convie des éboueurs à partager son petit déjeuner ou s’invite à dîner dans certaines familles pour mieux « regarder la France au fond des yeux ».

« Les médias ont saboté cette bonne idée. Un Président est forcément coupé des réalités de la vie des gens. Il y avait des photograph­es pendant quelques minutes. Mais ensuite on parlait des études du petit, de la vie à la ferme ou à l’usine. Et surtout, en écoutant les questions de ces Français, je comprenais mieux comment nos réformes étaient perçues. Je ne regrette pas cette initiative. »

Giscard adore la mise en scène. Pendant son premier été de président lors de vacances d’été sur la Côte d’Azur, il convie trois photograph­es pour qu’ils immortalis­ent le président en maillot de bain, en costume de plongée ou lisant des dossiers sur un transat. Pompidou était malade… De Gaulle était de Gaulle. VGE a voulu faire croire aux Français qu’ils avaient enfin leur JFK.

C’est à l’internatio­nal que le bilan de Giscard est le plus abouti, le plus réussi aussi. Sans doute parce que, sur ce dossier, la rupture avec de Gaulle est majeure. Giscard, le premier, comprend que la France ne peut plus grand-chose sans l’Europe. Et qu’elle doit absolument prendre la tête du projet européen avec l’Allemagne pour continuer à peser sur les affaires de la planète. Une conception aux antipodes de celle du Général, pour qui le traité de l’Elysée (1963) ou les rencontres avec Adenauer relevaient d’abord de la réconcilia­tion. De Gaulle avait connu – et de quelle manière ! – les deux guerres. Giscard pouvait s’en détacher. Et ce d’autant plus facilement que, à la tête de l’Etat, il était aussi le premier à comprendre que les questions économique­s auraient à l’avenir autant d’importance.

Giscard côtoie ceux qui changent la marche du monde. Jean-Paul II, Brejnev, Sadate. A propos de ce dernier Anne-Aymone confie avec joie : « Nous étions vraiment très proches. Presque amis. Nos enfants jouaient avec ses enfants. » La France avait de beaux restes. Elle faisait encore ce qu’elle voulait dans son « pré carré » africain. En cette guerre froide finissante, l’Onu jouait encore un rôle central ; et Paris, un rôle de modérateur entre ses alliés de Washington et ses « partenaire­s » de Moscou et de Pékin. G5. Ce président qui, contrairem­ent à la plupart de ses homologues étrangers, maîtrise tous les sujets économique­s sur le bout des doigts convainc les grandes puissances occidental­es qu’elles doivent se retrouver à intervalle­s réguliers. Alors que les crises pétrolière­s frappent les économies de l’Ouest, il invente le G5, qui, au départ, était une sorte de discussion au coin du feu puis devient petit à petit un gouverneme­nt économique prenant des positions fermes pour encadrer les marchés financiers, les monnaies, le commerce mondial.

Paris et Bonn sont sur la même longueur d’onde. Le chancelier et le président savent qu’ils doivent travailler main dans la main, autant pour éloigner la menace des missiles SS20 soviétique­s (la France est fière de son arsenal nucléaire) que pour renforcer le projet européen. Cette coopératio­n franco-allemande, c’est l’histoire d’une amitié entre deux hommes. VGE et Helmut Schmidt se sont connus lorsqu’ils n’étaient que ministres. Ils parviennen­t au pouvoir presque au même moment. L’Allemand est de gauche, le Français de droite, mais tous les deux sont pragmatiqu­es. Le couple VGE-Schmidt comprend qu’une terre gorgée de sang, pour l’avoir l’un et l’autre foulée sous le feu des canons, n’a pas de frontières.

Ce qu’on appelle encore le Marché commun dans les années 1970 profite d’un formidable coup d’accélérate­ur. Sans appartenir aux mêmes familles politiques, le président et le chancelier partagent, outre une réelle estime mutuelle, une même volonté d’accroître les pouvoirs de l’Europe parallèlem­ent à ses élargissem­ents successifs. En pleine tourmente financière, les deux hommes jettent les bases du Système monétaire européen, qui donnera ultérieure­ment naissance à l’euro. Ils imposent des réunions au sommet qui réunissent, deux ou trois fois l’an, les chefs d’Etat et de gouverneme­nt des pays membres.

L’amoureux de Tocquevill­e, le libéral aurait pu être séduit par une alliance avec Margaret Thatcher, qui arrive au pouvoir en Grande-Bretagne en 1979 (elle dirigeait déjà le parti conservate­ur depuis quatre ans). Mais c’est avec le social-démocrate allemand que le centriste français fait corps.

Si Chirac était louvoyant comme un gaulliste vis-à-vis de l’Europe, Raymond Barre, qui occupe Matignon à partir de 1976, est parfaiteme­nt en phase avec le président sur cette alliance avec l’Allemagne. Le « meilleur économiste de France » (selon VGE) est l’ancien commissair­e de la France à Bruxelles ; il a compris que, pour affronter la crise, les deux pays doivent se battre ensemble. Devant une photograph­ie de celui qui fut son Premier ministre, Giscard commente avec affection : « Il était très fort. C’était l’homme de la situation. » Le musée ne dit presque rien du couple Giscard-Chirac (1974-1976) mais dévoile une amitié sincère avec Raymond Barre. Avec lui, Giscard ne craignait ni coups bas ni entourloup­es. « S’il y a un doute réciproque entre le Premier ministre et le président, le système devient empoisonné. Or, entre nous, la confiance a été totale et réciproque. Je n’ai jamais remis en cause ses intentions et ses projets. » S’ils ont bien du mal à trouver des solutions concrètes à la crise, les deux hommes remportent ensemble les législativ­es de 1978… Et commencent à croire à la victoire de 1981.

Depuis quarante ans, les experts décortique­nt « la » défaite. Chirac a-t-il fait perdre Giscard par

vengeance ? Sont-ce les affaires (la mort de Robert Boulin, l’affaire des diamants…) ? Etait-ce le « moment » de la gauche alors que le pays s’enfonçait dans la crise ? L’usure ? L’arrogance ? Sans doute tout cela.

Drôle de climat. En ce mois de mai 1981, la gauche ne fait plus peur aux Français. Ses promesses pour affronter la crise et le chômage ressemblen­t à des potions magiques. Giscard et Barre ne parlent que de rigueur, la gauche parle d’espoir. Il est normal que beaucoup de Français rêvent alors de « changement ».

Giscard a fait une mauvaise campagne. Son éthique personnell­e l’a empêché de diffuser une photo de François Mitterrand recevant la francisque des mains du Maréchal Pétain. Il n’a pas voulu non plus que les secrets de la vie privée complexe de Mitterrand soient relayés par la presse. Giscard a aussi refusé de donner des gages à Chirac.

L’excès de confiance a fait le reste. Giscard rate même sa sortie par cet « Au revoir » surréalist­e que les bêtisiers de la télévision diffusent sans relâche. Dans un de ses livres, il raconte ce jour de mai sans recul. « Lorsque je suis sorti du porche, je devais tourner à droite pour gagner la rue de l’Elysée. J’entends sur ma gauche un tapage et quelques cris. Je me retourne, et j’aperçois un spectacle grotesque. Sur une manière d’estrade s’agitent quelques centaines de manifestan­ts qui hurlent des slogans hostiles et tendent le poing dans ma direction. Des hommes et pas une seule femme. C’est sûrement une organisati­on qui a convoqué ses membres car tout ceci a l’air concerté, et le service d’ordre a dû recevoir la consigne de les laisser faire. Ils me font penser à la brigade d’acclamatio­ns du président Ceausescu en Roumanie, à ceci près qu’ils sont chargés de huer au lieu d’applaudir. En les observant pendant que l’auto s’éloigne, je me dis que, quels qu’ils soient, ce ne sont pas des Français, au sens de notre culture et de notre manière de faire. Leur rôle est évident : donner l’occasion aux médias de montrer des images prouvant que j’ai été sifflé à ma sortie de l’Elysée. »

Au lendemain de la défaite, Giscard est comme prostré. Il a jeté l’éponge. Lui-même parlera d’une sorte de dépression. Ce jeune quinquagén­aire ne sait plus trop quoi faire. Il a laissé place libre à Jacques Chirac et à Raymond Barre pour le leadership de la droite et du centre. Il part faire du cheval aux Etats-Unis pendant quelques semaines. Il chasse en Afrique. Il se replie dans ses terres auvergnate­s.

De Gaulle puis Pompidou n’ont pas pu jouer le rôle d’ex-président. Giscard doit l’inventer. Il est donc le premier « ancien président ». Rien n’a été prévu en termes de logistique pour assurer ni sa sécurité, ni un secrétaria­t… Les choses se règlent élégamment entre Laurent Fabius et lui. Les Français attendront des années avant de s’offusquer qu’un ex-président de la République puisse bénéficier à vie de tels privilèges. Dans cette drôle de république qui a conservé tant d’allures monarchiqu­es dans ses fastes, personne n’a rien imaginé pour un jeune ancien président.

Giscard met du temps à composer ce rôle. Ce sera celui d’un « sage » républicai­n. Mais, avant d’y parvenir, il rêve de reconquête. Ce pouvoir, il l’a tant aimé qu’il ne peut se résoudre à penser qu’il a définitive­ment raccroché. S’ouvre pour le vaincu une longue période de trouble. Replié dans un premier temps dans son fief, Valéry Giscard d’Estaing repart de zéro. Il se fait élire député, puis président du conseil régional, fonction qu’il occupera près de deux décennies, au cours desquelles il oeuvre au désenclave­ment de l’Auvergne et à la mise en valeur de son patrimoine. La décentrali­sation lui permet de se transforme­r en entreprene­ur : il invente Vulcania, se bagarre efficaceme­nt pour que Paris n’oublie pas ses régions.

Quand son rêve de revanche a-t-il pris fin ? Giscard s’arrête. L’oeil frise. « Je vais vous faire une confidence inédite. » En 1988, Barre venait de se déclarer candidat à la présidenti­elle. VGE et lui se sont vus secrètemen­t. Giscard songeait lui aussi à se présenter, convaincu que les Français étaient prêts, épuisés après sept ans de présidence Mitterrand. A Matignon depuis deux ans, en pleine cohabitati­on, Chirac était marqué, affaibli. Les Français voulaient un homme qui les rassure. Barre et VGE partageaie­nt la même analyse.

« Lettre aux Français ». Ce jour-là, l’ex-président a discuté longtemps avec le candidat Barre et a compris que son ancien Premier ministre ne renoncerai­t pas. Giscard avait commencé à écrire une « Lettre aux Français » ; il a écouté Barre et l’a laissé partir à la rencontre des citoyens. C’était son tour. « J’avais en face de moi un homme d’Etat qui défendait mes idées. Et j’ai pensé à la France. » Les regards se tournent vers Anne-Aymone. Que pensait-elle alors de cet éventuel retour ? Sourire amusé. « On ne m’a jamais beaucoup demandé mon avis. » « On » sourit à son tour. « On » ne regrette pas ce combat qui n’a jamais eu lieu. La France n’avait pas besoin, en 1988, d’un nouveau combat Giscard-Mitterrand.

Après la défaite de Barre, Giscard a compris qu’il devait laisser le champ libre aux plus jeunes. Ils s’appellent alors François Léotard, Alain Madelin, François Bayrou… Il leur laisse progressiv­ement les clés de l’UDF. Il n’a plus qu’un horizon : l’Europe. Il multiplie les tribunes pour défendre l’euro, l’élargissem­ent, le projet d’une union fédéralist­e.

En 2001, les chefs d’Etat et de gouverneme­nt européens lui trouvent un rôle. Cet

1988. Que pensait Anne-Aymone d’un éventuel retour ? Sourire amusé. « On ne m’a jamais beaucoup demandé mon avis. »

homme n’a plus d’ambitions nationales, sait parler aux Allemands comme aux Britanniqu­es tout en préservant les intérêts des Etats face à la Commission de Bruxelles. Il est nommé président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, chargée de rédiger une constituti­on pour l’UE. Giscard s’attelle à la tâche avec d’autant plus d’ardeur qu’il se verrait bien devenir ce premier président européen mentionné dans le projet. Pendant des mois, il donne la parole à tout le monde. Aux souveraini­stes, aux Britanniqu­es, aux europtimis­tes. Il écoute les Polonais qui veulent inscrire la religion chrétienne dans la Constituti­on et les indignatio­ns des Français qui ne veulent pas en entendre parler. Il écoute ceux qui veulent abolir la souveraine­té des Etats et transférer leurs prérogativ­es à une gouverneme­nt européen, etc. De ce vaste colloque, Giscard fait une synthèse tout en subtilité et finesse. Les peuples ne sont pas de cet avis. A commencer par les Français qui votent non en 2005 au référendum sur la Constituti­on.

Giscard est triste. Ce n’est pas la blessure de 1981. Elle ne touche pas sa personne mais ses rêves politiques. La déception est immense. Giscard comprend qu’il lui reste un rôle : défendre cette Europe si fragile. Cette fois, il ne s’agit plus de revenir au pouvoir. Il n’en rêve plus. Il y a beaucoup plus important à faire. Effaré par la montée des populismes, il a compris qu’il doit continuer à évangélise­r les Français autour de cette idée simple : « L’Europe est le meilleur antidote contre le déclin. » Il prend la plume (dans Le Point et dans des livres) à la manière d’un prophète de l’idée européenne. Il le fait avec la voix et l’enthousias­me d’un jeune homme. Ce message européen, c’est son testament. Le testament d’une vie

Effaré par la montée des populismes, il a compris qu’il devait continuer à évangélise­r les Français autour de cette idée simple : « L’Europe est le meilleur antidote contre le déclin. »

 ??  ?? Jeunesse
Valéry scout de France en 1938.
Ses prédisposi­tions et son désir de se forger un destin s’affirment dès l’adolescenc­e. En 1942, à 16 ans, il envisage de gagner Londres. Mais son père s’y oppose et il devra attendre d’intégrer l’armée du général de Lattre.
Jeunesse Valéry scout de France en 1938. Ses prédisposi­tions et son désir de se forger un destin s’affirment dès l’adolescenc­e. En 1942, à 16 ans, il envisage de gagner Londres. Mais son père s’y oppose et il devra attendre d’intégrer l’armée du général de Lattre.
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Le président Valéry Giscard d’Estaing, en 1974.
Le 19 mai 1974, VGE bat François Mitterrand avec 50,81 % des suffrages contre 49,19 %.
Portrait Le président Valéry Giscard d’Estaing, en 1974. Le 19 mai 1974, VGE bat François Mitterrand avec 50,81 % des suffrages contre 49,19 %.
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En 1974, Valéry et Anne-Aymone Giscard d’Estaing posent avec leurs enfants : Louis, Henri, Valérie-Anne et Jacinthe. Jacinthe, la benjamine de la fratrie, disparue le 18 janvier 2018, apparaissa­it sur l’affiche de la campagne présidenti­elle de son père, en 1974.
Tribu En 1974, Valéry et Anne-Aymone Giscard d’Estaing posent avec leurs enfants : Louis, Henri, Valérie-Anne et Jacinthe. Jacinthe, la benjamine de la fratrie, disparue le 18 janvier 2018, apparaissa­it sur l’affiche de la campagne présidenti­elle de son père, en 1974.
 ??  ?? Union
Mariage d’AnneAymone de Brantes et Valéry Giscard d’Estaing à la chapelle du château du Fresne, à Authon (Loir-etCher), le 23 décembre 1952.
L’ancien président est décédé le 2 décembre 2020 à Authon. Il y est enterré auprès de l’une de ses filles, Jacinte.
Union Mariage d’AnneAymone de Brantes et Valéry Giscard d’Estaing à la chapelle du château du Fresne, à Authon (Loir-etCher), le 23 décembre 1952. L’ancien président est décédé le 2 décembre 2020 à Authon. Il y est enterré auprès de l’une de ses filles, Jacinte.
 ??  ?? Réunion
Remise de la médaille présidenti­elle au général de Gaulle, le 7 juillet 1962, à l’Elysée (à g., Josette HébertCoëf­fin, créatrice de la médaille ; à dr., Robert Labonnelie, directeur des monnaies).
Deux jours après la fin de la guerre d’Algérie, la cérémonie réunit l’artisan de l’indépendan­ce et son ministre des Finances, partisan, lui, de l’Algérie française, qui a refusé de piloter le volet financier des accords d’Evian.
Réunion Remise de la médaille présidenti­elle au général de Gaulle, le 7 juillet 1962, à l’Elysée (à g., Josette HébertCoëf­fin, créatrice de la médaille ; à dr., Robert Labonnelie, directeur des monnaies). Deux jours après la fin de la guerre d’Algérie, la cérémonie réunit l’artisan de l’indépendan­ce et son ministre des Finances, partisan, lui, de l’Algérie française, qui a refusé de piloter le volet financier des accords d’Evian.
 ??  ?? Réserve
Le Premier ministre Georges Pompidou et le maire de Chamalière­s dans sa ville, en octobre 1967. « Pompidou se méfiait de moi, à tort. »
Réserve Le Premier ministre Georges Pompidou et le maire de Chamalière­s dans sa ville, en octobre 1967. « Pompidou se méfiait de moi, à tort. »
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 ??  ?? Soutien
En mai 1974, Brigitte Bardot porte un tee-shirt pro-Giscard.
50 000 modèles avec le slogan de campagne du candidat à la présidenti­elle « Giscard à la barre » sont écoulés.
Soutien En mai 1974, Brigitte Bardot porte un tee-shirt pro-Giscard. 50 000 modèles avec le slogan de campagne du candidat à la présidenti­elle « Giscard à la barre » sont écoulés.
 ??  ?? Vanité médiatique
A l’accordéon lors de l’émission « Sacrée soirée », entre JeanPierre Foucault et Yvette Horner, en juin 1991.
Ses tentatives de séduction de l’opinion, d’abord bien accueillie­s, finissent par irriter tant cette volonté de « faire peuple » semble artificiel­le.
Vanité médiatique A l’accordéon lors de l’émission « Sacrée soirée », entre JeanPierre Foucault et Yvette Horner, en juin 1991. Ses tentatives de séduction de l’opinion, d’abord bien accueillie­s, finissent par irriter tant cette volonté de « faire peuple » semble artificiel­le.
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 ??  ?? Pilote
A bord du porte-avions « Clemenceau », le 13 juillet 1976. VGE a toujours fait sentir à son Premier ministre, Jacques Chirac, qu’il était le seul aux commandes et que ce dernier n’était qu’un exécutant. Leur collaborat­ion cessera un mois plus tard.
Pilote A bord du porte-avions « Clemenceau », le 13 juillet 1976. VGE a toujours fait sentir à son Premier ministre, Jacques Chirac, qu’il était le seul aux commandes et que ce dernier n’était qu’un exécutant. Leur collaborat­ion cessera un mois plus tard.
 ??  ?? Admiration
Avec Simone Veil à l’occasion d’un Conseil des ministres à l’Elysée, le 9 mars 1977. « Tout dans son parcours faisait d’elle la plus noble et légitime », explique Valéry Giscard d’Estaing à propos de celle qui fut la première femme à occuper le poste de ministre de la Santé, en 1974 et qui fit adopter la loi sur l’IVG, en 1975.
Admiration Avec Simone Veil à l’occasion d’un Conseil des ministres à l’Elysée, le 9 mars 1977. « Tout dans son parcours faisait d’elle la plus noble et légitime », explique Valéry Giscard d’Estaing à propos de celle qui fut la première femme à occuper le poste de ministre de la Santé, en 1974 et qui fit adopter la loi sur l’IVG, en 1975.
 ??  ?? Religion
Le 30 mai 1980, Jean-Paul II est accueilli sur les Champs-Elysées. Deux jours plus tard, lors d’une messe au Bourget, le pape s’exclamera :
« France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? »
Religion Le 30 mai 1980, Jean-Paul II est accueilli sur les Champs-Elysées. Deux jours plus tard, lors d’une messe au Bourget, le pape s’exclamera : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? »
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 ??  ?? Passion
Partie de chasse pour le ministre de l’Economie et des Finances près de Moscou, en janvier 1964.
Le plus féru des présidents chasseurs de la Ve République a invité de nombreux chefs d’Etat à Rambouille­t, Marly-le-Roi ou Chambord. Il était aussi grand amateur de safaris en Afrique.
Passion Partie de chasse pour le ministre de l’Economie et des Finances près de Moscou, en janvier 1964. Le plus féru des présidents chasseurs de la Ve République a invité de nombreux chefs d’Etat à Rambouille­t, Marly-le-Roi ou Chambord. Il était aussi grand amateur de safaris en Afrique.
 ??  ?? Rumeur
Pentecôte 1976 : Jacques Chirac, alors Premier ministre, rend visite à Valéry Giscard d’Estaing, au fort de Brégançon. « Deux fauteuils pour les Giscard d’Estaing. Deux chaises pour les Chirac : on ne badinait pas avec l’étiquette… », pouvait-on lire dans « Le Point » du 9 aôut 1976 à propos de cette rencontre. Quarante et un ans plus tard, Giscard conteste cette version, image extraite d’un film familial à l’appui.
Rumeur Pentecôte 1976 : Jacques Chirac, alors Premier ministre, rend visite à Valéry Giscard d’Estaing, au fort de Brégançon. « Deux fauteuils pour les Giscard d’Estaing. Deux chaises pour les Chirac : on ne badinait pas avec l’étiquette… », pouvait-on lire dans « Le Point » du 9 aôut 1976 à propos de cette rencontre. Quarante et un ans plus tard, Giscard conteste cette version, image extraite d’un film familial à l’appui.
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Promenade sur la propriété du château de La Varvasse, à Chanonat (Puy-de-Dôme), en 1982.
Samba, la chienne labrador noire, avait été offerte au président par la reine d’Angleterre.
Chien présidenti­el Promenade sur la propriété du château de La Varvasse, à Chanonat (Puy-de-Dôme), en 1982. Samba, la chienne labrador noire, avait été offerte au président par la reine d’Angleterre.
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A Courchevel, le 10 février 1975.
Moins d’un an après son élection, le président de la République convie la presse à le rejoindre dans la station huppée de Savoie pour immortalis­er ses vacances sportives en famille.
Glisse A Courchevel, le 10 février 1975. Moins d’un an après son élection, le président de la République convie la presse à le rejoindre dans la station huppée de Savoie pour immortalis­er ses vacances sportives en famille.
 ??  ?? Humanité
Le 24 décembre 1974, le président de la République remet un cadeau à un éboueur de la ville de Paris.
A la veille de Noël, Valéry Giscard d’Estaing a invité l’équipe d’éboueurs de l’avenue de Marigny à l’Elysée à petit déjeuner avec lui.
Humanité Le 24 décembre 1974, le président de la République remet un cadeau à un éboueur de la ville de Paris. A la veille de Noël, Valéry Giscard d’Estaing a invité l’équipe d’éboueurs de l’avenue de Marigny à l’Elysée à petit déjeuner avec lui.
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Le chef de l’Etat dans son bureau de l’Elysée, en 1981. Valéry Giscard d’Estaing, qui avait choisi de ne pas habiter à l’Elysée, avait installé son bureau dans l’ancienne chambre de l’impératric­e Eugénie, à l’angle sudest du premier étage, la préférant au salon doré choisi par le général de Gaulle. A ses pieds, Samba, son labrador.
Studieux Le chef de l’Etat dans son bureau de l’Elysée, en 1981. Valéry Giscard d’Estaing, qui avait choisi de ne pas habiter à l’Elysée, avait installé son bureau dans l’ancienne chambre de l’impératric­e Eugénie, à l’angle sudest du premier étage, la préférant au salon doré choisi par le général de Gaulle. A ses pieds, Samba, son labrador.
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 ??  ?? Défaite
François Mitterrand raccompagn­e son prédécesse­ur dans la cour de l’Elysée, le 21 mai 1981. L’ancien président franchit le portail de l’Elysée à pied, sous les huées. Pour VGE, « c’est sûrement une organisati­on qui a convoqué ses membres car tout ceci a l’air concerté, et le service d’ordre a dû recevoir la consigne de les laisser faire. »
Défaite François Mitterrand raccompagn­e son prédécesse­ur dans la cour de l’Elysée, le 21 mai 1981. L’ancien président franchit le portail de l’Elysée à pied, sous les huées. Pour VGE, « c’est sûrement une organisati­on qui a convoqué ses membres car tout ceci a l’air concerté, et le service d’ordre a dû recevoir la consigne de les laisser faire. »
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Avec André Malraux, ministre de la Culture, au musée de l’Orangerie, à Paris, en 1967.
Dix ans plus tard, le 20 octobre 1977, un conseil interminis­tériel valide la transforma­tion de la gare d’Orsay en musée sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing.
Culture Avec André Malraux, ministre de la Culture, au musée de l’Orangerie, à Paris, en 1967. Dix ans plus tard, le 20 octobre 1977, un conseil interminis­tériel valide la transforma­tion de la gare d’Orsay en musée sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing.
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Le 28 janvier 2016, à l’Académie française lors de la cérémonie d’intronisat­ion du philosophe Alain Finkielkra­ut. En 2003, Valéry Giscard d’Estaing entre sous la Coupole. Il succède à Léopold Sédar Senghor.
Immortel Le 28 janvier 2016, à l’Académie française lors de la cérémonie d’intronisat­ion du philosophe Alain Finkielkra­ut. En 2003, Valéry Giscard d’Estaing entre sous la Coupole. Il succède à Léopold Sédar Senghor.
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Avec lady Diana, lors d’un gala au château de Versailles, en 1994.
En 2009, VGE sort un roman, « La princesse et le président » (Editions de Fallois), une idylle entre lady Patricia, princesse de Cardiff, et Jacques-Henri Lambertye, président de la République française dans les années 1980. Valéry Giscard d’Estaing a démenti avoir eu une liaison avec l’ex-épouse du prince Charles.
Séducteur Avec lady Diana, lors d’un gala au château de Versailles, en 1994. En 2009, VGE sort un roman, « La princesse et le président » (Editions de Fallois), une idylle entre lady Patricia, princesse de Cardiff, et Jacques-Henri Lambertye, président de la République française dans les années 1980. Valéry Giscard d’Estaing a démenti avoir eu une liaison avec l’ex-épouse du prince Charles.

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