Le Point

Quand Jacques-Henri Lartigue devint photograph­e officiel

S’il est un grand nom de la photograph­ie, il n’est pas portraitis­te. VGE le choisit pourtant. Récit.

- PAR BRIGITTE HERNANDEZ

Il ne s’y attendait pas du tout. Lui, photograph­e du président de la République ? « Mais voyons, ce n’est pas du tout mon genre », répondit Jacques Henri Lartigue, l’un des profession­nels les plus poétiques et géniaux de l’histoire de la photograph­ie. Pourtant, ce jour d’août 1974, alors qu’il bavarde chez lui avec sa femme Florette et une amie, le téléphone sonne, Florette revient perplexe : « C’est le président. » «Le président de quoi?» demande Lartigue. « De la République », répond le fraîchemen­t élu qui le prie de réaliser « SA » photo : « C’est impossible, je ne sais pas faire ce genre de choses, la photo officielle. » « Cela tombe bien, réplique Valéry Giscard d’Estaing. C’est ce que je veux. » Avant d’aller à l’Élysée, Lartigue et Florette se rendent au cinéma, les Champs-Élysées, c’est juste à côté. Au palais présidenti­el, conversati­on avec le président. Lartigue, toujours méfiant, finit par lui proposer « une photo devant le drapeau déployé ». C’est entendu. Le rendez-vous est fixé trois jours plus tard, un ami s’est invité comme assistant, Lartigue accepte : « Moi qui n’en ai jamais, mais bon…» Le jour J, l’« assistant » arrive bien à l’heure mais… sans appareils. Les motards de la république encadrant une voiture qui file à toute vitesse, on va chercher le matériel. « Une demi-heure plus tard, la photo était faite », rapporte Lartigue, dans « L’oeil de la mémoire, 1932-1985 ». Faut-il être un génie !

L’écrivain Michel Tournier, ami intime des Lartigue, l’appelle le lendemain et lui reproche, amusé, de ne lui avoir rien dit de cette « photo ». « Parler d’une photo qui n’était pas encore faite, pourquoi ? lui rétorque Lartigue. C’est une photo parmi mes photos. » Lorsqu’un journalist­e du Monde lui demande : « Quel effet cela fait-il de photograph­ier un président de la République ? », Lartigue répond : « Quand je photograph­ie un pot de confiture, j’essaie de bien faire le pot de confiture. Quand je photograph­ie le président de la République, j’essaie de bien faire le président. »

Quelques mois plus tard, les Lartigue sont à Opio, une jolie ville des Alpes-Maritimes. Ils se rendent à la mairie où ils voient les photos de Valéry Giscard d’Estaing. Elles ont été « revues et corrigées » par les « bons soins de la Documentat­ion française ». « C’est-à-dire léchées et fignolées comme une dame de province, sortant de chez le coiffeur pour aller en visite », ajoute Jacques Henri Lartigue. Le maire est ravi, sa mairie est la seule de France à avoir la photo officielle du président signée par son auteur ■

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