Le Point

L’Afrique « compliquée »

- ROMAIN GUBERT

Giscard aimait l’Afrique. Sincèremen­t. À la fin de sa vie, celui que certains surnommaie­nt « Giscard l’Africain » a confié, au-delà des formules politiques convenues, son grand amour pour le continent. Nous sommes en 2010 et il publie « Mathilda », un joli texte dans lequel il évoque le « continent maternel » et raconte le destin d’une jeune femme du début du XXe siècle qui habitait dans « une sorte de paradis terrestre où l’on vivait revêtu de vêtements de brousse, où on n’échangeait que quelques mots et où le soleil semblait être le maître impitoyabl­e du monde ». Un peu plus tôt, lors de son élection à l’Académie française au fauteuil de Léopold Sédar Senghor, poète et ex-président du Sénégal, VGE avait aussi pris le temps de faire une excursion privée dans les faubourgs de Dakar ainsi qu’à à Joal, son village natal, et à Djilor, village de sa mère, pour préparer l’éloge de son prédécesse­ur. Mais cet amour sincère et parfois maladroit ne lui a guère réussi. C’est à l’Afrique – et à la fameuse affaire des diamants – que Giscard doit (en partie) son échec en 1981.

L’histoire est connue : l’« empereur » Bokassa, ami de la France, passait son temps à offrir des plaquettes de diamants (qui n’avaient pas une grande valeur) à ses « amis ». En tant que ministre des Finances de De Gaulle puis comme président, VGE en avait reçu plusieurs et n’a jamais pu remettre la main dessus quand Bokassa, déchu, a voulu fragiliser son ancien ami en multiplian­t les révélation­s à la presse. Giscard, qui chassait sur le continent et y passait souvent des vacances, n’a jamais pu se défaire des réseaux gaullistes pendant son mandat. En 1981, lors de la campagne pour sa réélection, il apprend qu’Omar Bongo finance à tour de bras la campagne de Jacques Chirac. VGE appelle Bongo, qui confirme et éclate de rire. Giscard avait pourtant plutôt protégé les pouvoirs en place et renforcé les intérêts français pendant son séjour à l’Élysée. Il avait aussi continué à jouer le rôle de gendarme du continent. Parfois pour le pire, mais aussi pour le meilleur, comme lors de l’opération militaire sur Kolwesi, au Zaïre (rebaptisé depuis République démocratiq­ue du Congo). Une rébellion particuliè­rement violente s’opposait alors à Mobutu Sese Seko, le président de cette ex-colonie belge. En mai 1978, lorsque les rebelles s’en prennent aux Européens de cette cité minière (près de 150 ressortiss­ants français et belges sont assassinés), Valéry Giscard d’Estaing déclenche l’opération Bonite. En quelques heures, les 600 bérets verts du 2e régiment étranger de parachutis­tes sont sur place et reprennent la ville, permettant à Mobutu de rester au pouvoir. Jimmy Carter félicite VGE pour cette action qui permet au Zaïre de ne pas basculer dans le camp soviétique. Entre VGE et le continent africain, c’est donc une drôle d’histoire qui s’est jouée. Il était sincèremen­t amoureux de l’Afrique, qui ne lui a jamais fait aucun cadeau, souvent par sa propre faute

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Valéry Giscard d’Estaing et le président de la République centrafric­aine, Jean-Bedel Bokassa, à Bangui, lors du 2e sommet France-Afrique, le 10 mars 1975.

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