Le Point

1981, un duel historique,

Match retour. Michèle Cotta raconte le second débat présidenti­el qui opposa VGE à Mitterrand.

- par Michèle Cotta

La Maison de la radio est sous bonne surveillan­ce ce 5 mai 1981. Tout est prêt pour accueillir les deux finalistes de la présidenti­elle. Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand arrivent à quelques minutes d’intervalle. La soirée commence, mauvais signe, par un petit conflit : ils ont tous deux choisi la même maquilleus­e, Nelly.

La commission de contrôle n’a pas prévu ce cas-là. Du coup, c’est Nelly qui choisit son homme: ce seraFranço­isMitterra­nd.Giscardne manifeste pas d’émotion. Il est simplement interloqué qu’on puisse lui préférer le candidat socialiste.

Les voilà donc tous deux face à face, pour le second débat présidenti­el de leur vie. Giscard n’est pas trop inquiet : il a remporté le match, il y a sept ans, d’une phrase : « Vous n’avez pas le monopole du coeur. » Mitterrand

attendait tout de lui, sauf qu’il parle du coeur, tant il se sentait déjà détenteur de celui des Français.

Depuis cet échange, où Mitterrand s’est trouvé exécrable, sept ans ont passé qui ont renforcé VGE dans l’idée qu’il est le meilleur, devant les caméras. Mitterrand a tout fait pour refuser le face-à-face : l’avocat Robert Badinter et le réalisateu­r Serge Moati, ses conseiller­s chargés, dans le secret, de torpiller le débat plutôt que l’aménager, ont posé pas moins de 21 conditions « inacceptab­les ». Sûre de la domination de Giscard, son équipe les a toutes acceptées: place des caméras, choix des animateurs – une liste a été remise à l’état-major du président de la République. Pas de vedette de la télévision parmi eux : les pensant acquis au pouvoir en place, Mitterrand les a récusés. Ses conseiller­s avancent quatre noms : ceux de Jean Boissonnat et Guy Thomas, chroniqueu­rs d’Europe 1, du polémiste Jean-François Kahn et de moi-même (j’étais alors éditoriali­ste à RTL). « Prenons les deux premiers par ordre alphabétiq­ue », a dit Giscard, qui tient à son débat.

Quand, sur le plateau, les concurrent­s se retrouvent face à face, Mitterrand est décidé à ne pas perdre tandis que Giscard pense avoir déjà gagné. Gagner, perdre : sait-on ce qu’une confrontat­ion de cette nature rapporte, à l’un ou à l’autre ? Quelques milliers de voix, ou des dizaines de milliers ?

L’espoir, c’est visible, change de camp au fil des échanges vigoureux. Les phrases chocs, cette fois, viennent pour la plupart de Mitterrand, qui les peaufine depuis sept ans. Le leader de l’Union de la gauche a préparé, avec Laurent Fabius dans le rôle de Giscard, nombre de ses répliques. « Vous avez tendance un peu à reprendre le refrain d’il y a sept ans, l’homme du passé. Il est quand même ennuyeux que vous soyez, depuis, devenu l’homme du passif. » La réplique « Je ne suis pas votre élève, vous n’êtes pas ici le président de la République » arrive à point nommé, quand Giscard l’interroge sur le cours du mark. Celui-ci est à la fois agacé et surpris. Agacé lorsque Mitterrand défend ses nationalis­ations, auxquelles il a à peine l’air de croire, accablé quand il parle des institutio­ns, passage obligé dans lequel il est bien mauvais. Surpris quand Mitterrand qui, depuis sept ans, a gagné en autorité, se permet de contester la sienne. Et puis, cette fois, point de formules assassines chez Giscard, dont la surprise se meut bientôt en circonspec­tion.

Rappel à l’ordre. Au bout de plus de deux heures quinze viennent les minutes de conclusion. Giscard prend son élan, commence, se fait trop long. Boissonnat le rappelle sèchement à l’ordre. Depuis sept ans qu’il est à l’Elysée, il n’a pas l’habitude d’être interrompu. Les effets prévus pour la fin de sa prestation tombent à l’eau. Mitterrand, lui, finit dans le temps imparti. Pourtant, à la toute fin, chacun semble satisfait de sa performanc­e. Mitterrand craignait que ce débat tourne uniquement autour de la présence des communiste­s dans le gouverneme­nt s’il gagne. Cela n’a pas été le cas. VGE voulait séduire les électeurs chiraquien­s du premier tour. Il s’est adressé à eux en priorité avec habileté. Les deux hommes se quittent, froidement mais poliment. Nelly, cette fois, démaquille le président, laissant son challenger à l’une de ses collègues

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