Le Point

Cet inquiétant antisémiti­sme de gauche

Aux États-Unis, la « politique identitair­e » à l’oeuvre sur les campus s’est trouvé une nouvelle cible, les juifs.

- Par Laetitia Strauch-Bonart

Fin octobre, à la Northweste­rn University, dans l’Illinois, une organisati­on étudiante qui protestait contre la police du campus dans le cadre des manifestat­ions américaine­s à l’encontre des forces de l’ordre se mit à scander devant la résidence du président de l’université, Morton Schapiro, juif pratiquant : « Piggy Morty ! » (« Morty le cochon ! ») Bien que l’organisati­on s’en défendît – elle ignorait peut-être qu’associer des juifs aux porcs est un lieu commun antisémite –, nombreux furent ceux qui virent dans cet épisode une nouvelle illustrati­on d’un antisémiti­sme en pleine expansion aux États-Unis et au Canada. Issu de la gauche et très présent sur les campus universita­ires, il est d’autant plus délétère qu’il est couplé à ce qu’on appelle désormais la politique identitair­e (identity politics).

L’antisémiti­sme de gauche est ancien – et, en France, nous sommes bien placés pour le savoir. Sous la IIIe République, l’antisémiti­sme était le fait de l’extrême droite nationalis­te et racialiste mais n’épargnait pas entièremen­t la gauche révolution­naire, pour qui le capital est aux mains des juifs. Même si la plupart de ses tenants ont basculé à droite au moment de l’affaire Dreyfus, l’antisémiti­sme anticapita­liste a survécu jusqu’à nos jours, comme l’a montré la difficulté de l’extrême gauche à se joindre aux mouvements de protestati­on et de compassion lors de l’affaire Halimi ou après les assassinat­s perpétrés par Mohammed Merah. Mieux, cet antisémiti­sme a trouvé une nouvelle jeunesse grâce au conflit israélo-palestinie­n, lui permettant de se recycler dans l’antisionis­me.

Le tour de passe-passe employé par l’antisémiti­sme de gauche consiste à faire du sionisme un racisme antipalest­inien. Aujourd’hui, les militants américains font de même, mais vont plus loin en raccrochan­t le sionisme au « suprémacis­me blanc ». Fidèles à la politique identitair­e, selon laquelle chaque groupe ethnique ou sexuel se positionne selon une hiérarchie de plus ou moins grande victimisat­ion, ils font des juifs les complices des Blancs en les plaçant aux côtés des « oppresseur­s ». Comme le résume la journalist­e Bari Weiss dans How to Fight Antisemiti­sm, « la politique identitair­e corrompue de droite […] dit aux juifs qu’ils ne pourront jamais être assez blancs ou chrétiens. La politique identitair­e corrompue de gauche [leur] dit qu’ils ne pourront jamais être assez opprimés ».

Récemment, à l’American University, un étudiant a ainsi déclaré à sa classe que le monde ne se souciait que de la Shoah parce qu’il s’agissait d’un génocide à l’encontre de Blancs. Ou encore, à l’université McGill, lors d’une conversati­on sur l’égalité des minorités, un étudiant a souligné que les juifs « n’en sont pas une, puisqu’ils ont toute la richesse et le pouvoir dans la société ». Ce ne sont que deux exemples parmi les très nombreux cas d’hostilité antijuive à l’université qu’un étudiant du nom de Blake Flayton, bouleversé par le phénomène, a choisi d’analyser dans un long article.

On peine à comprendre comment on peut faire abstractio­n de l’histoire des juifs au point de les présenter comme des oppresseur­s. À moins que les juifs attirent la haine des wokes – les « éveillés »qui militent pour la protection des minorités et contre le racisme –, car leur histoire illustre parfaiteme­nt que la catégorisa­tion des groupes humains sur une échelle victimaire est simpliste, puisqu’un peuple peut tantôt souffrir, tantôt réussir, et qu’il peut réussir sans être un « oppresseur ».

L’antisémiti­sme de droite, en hausse, a tout pour effrayer. Mais tout le monde, sauf de rares exceptions, s’accorde sur sa malignité. Il est urgent de faire de même face à son frère de gauche, qui, comme d’autres idéologies progressis­tes devenues folles, pense qu’il est acceptable d’opprimer autrui au nom de la défense des « opprimés »

Un étudiant a déclaré que le monde ne se souciait que de la Shoah car il s’agissait d’un génocide à l’encontre de Blancs…

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