Le Point

Musique : Liraz Charhi, la voix qui relie Israël à l’Iran

Liraz Charhi, Israélienn­e d’origine iranienne, à la fois actrice et chanteuse, a collaboré avec des musiciens en Iran. Récit d’une transgress­ion.

- PAR ARMIN AREFI

Son rôle est d’une troublante actualité. Dans la série israélienn­e Téhéran, Liraz Charhi incarne une agente du Mossad chargée de guider une espionne envoyée en Iran. Sa mission : saboter le programme nucléaire iranien. Dans la vraie vie, les services de renseignem­ent israéliens sont soupçonnés d’avoir assassiné, fin novembre à Téhéran, le scientifiq­ue iranien Mohsen Fakhrizade­h dans le but de retarder les activités prohibées de la République islamique. « C’est en effet incroyable, mais je ne m’intéresse pas à la politique, qui fait en sorte que les peuples ne puissent pas vivre ensemble et en paix, confie prudemment la comédienne, accroupie derrière son écran d’ordinateur dans sa maison de Tel-Aviv. La seule manière de ressentir l’amour des deux côtés est de créer des passerelle­s entre eux », ajoute-t-elle, consciente que le fait d’avoir été choisie pour camper le personnage de l’agente Yael Kadosh ne doit rien au hasard…

Car l’Israélienn­e aux longs cheveux bruns et aux grands yeux perçants est d’origine iranienne. Et elle fait sensation en Israël. Comédienne déjà reconnue à 42 ans, elle brille également comme chanteuse –

et en persan, sa langue maternelle. Membres de la communauté juive mizrahim, la plus grande au Moyen-Orient avant la création de l’État hébreu, ses parents ont quitté l’Iran du chah en 1974 pour fuir l’antisémiti­sme et faire leur alya. Née quatre ans plus tard à Ramla, au centre d’Israël, Liraz Charhi a grandi dans cette double identité. « J’étais une fille israélienn­e à l’extérieur et iranienne chez mes parents, raconte cette mère de deux enfants. Tandis que j’étais totalement libre dehors, je devais être beaucoup plus sage et obéissante à la maison. Dès mon plus jeune âge, je voulais être chanteuse, mais mon père me disait que ce n’était pas un métier pour moi. » Lorsque ses parents lui parlent en persan, Liraz leur répond en hébreu. Et c’est dans cette langue que la jeune femme, à peine majeure, s’adonne tout d’abord à sa passion, profitant du service militaire obligatoir­e pour intégrer le groupe de rock de l’armée.

Sa carrière artistique est lancée et lui permet d’exercer ses talents d’autrice-interprète pop à la radio israélienn­e. Jonglant aisément entre chant et théâtre, Liraz Charhi se fait un nom et perce également au cinéma. Tout d’abord en Israël, où elle est nommée, en 2006, aux Ophir Awards – les César locaux – puis à Hollywood, où elle donne, notamment, la réplique à l’acteur américain Philip Seymour Hoffman dans A Late Quartet, en 2012.

Mais, en dépit du succès, la comédienne n’est pas comblée. « Je ne voulais pas être une star hollywoodi­enne, admet-elle. Je ressentais en réalité un grand vide en moi et je voulais savoir d’où je venais vraiment et qui j’étais réellement. » La réponse, penset-elle, se trouve en Iran. Mais, comme à tout titulaire d’un passeport israélien, la République islamique lui est rigoureuse­ment interdite. Pour se rapprocher de ses origines, Liraz Charhi prend alors une décision radicale qui va bouleverse­r la suite de sa carrière. «J’ai eu un jour une vision, confie l’artiste, un brin mystique. Un bébé est tombé dans mes bras et m’a demandé de chanter en persan. Cela a constitué ma seconde naissance. » Désormais, c’est dit, Liraz ne chantera plus que dans la langue des poètes iraniens Hafez et Saadi.

Trait d’union.

Son premier album, Naz (« sage »), renvoie à l’image de la femme docile qui lui a été insufflée par son père. Mais, en reprenant, de sa voix envoûtante, les succès lyriques des grandes divas iraniennes de l’époque du chah (Gougoush, Hayedeh…), la chanteuse souligne au contraire le courage de ces femmes fortes qui revendique­nt toute leur place dans cette société patriarcal­e. Son nouvel opus, Zan (« femme »), repousse encore davantage les limites de la géopolitiq­ue : elle y chante aux côtés de musiciens – évidemment anonymes – qui travaillen­t en République islamique. Le résultat est un voyage inoubliabl­e entre Orient et Occident, où les instrument­s traditionn­els perses répondent aux sons électropop. « J’ai été vraiment surprise par le nombre d’artistes iraniens qui ont répondu présent malgré les risques, insiste Liraz Charhi avec son léger accent israélien. J’ai passé des nuits sans dormir en craignant qu’il ne leur arrive quelque chose. Mais c’était la seule manière de montrer que les peuples iranien et israélien s’aiment, et sont en réalité très proches. » De quoi mettre en rage les extrémiste­s des deux côtés qui, eux, n’ont pas intérêt à se rapprocher... Cet interdit bravé avec succès, l’artiste rêve aujourd’hui d’un grand concert à Téhéran. Et de lâcher, dans un éclat de rire : « Vous savez, j’ai beaucoup de plans pour l’Iran… »

Albums : Naz (2018), Zan (2020).

Séries : Revivre (2009),Téhéran (2020).

« J’ai eu un jour une vision. Un bébé est tombé dans mes bras et m’a demandé de chanter en persan. »

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(Agent) double. « Je ressentais un grand vide en moi et je voulais savoir d’où je venais vraiment et qui j’étais réellement. »
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En mission. Liraz Charh incarne un agent du Mossad dans la série « Téhéran ». L’espionne, qui parle aussi bien l’hébreu que le persan, doit saboter le programme nucléaire iranien.

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