Cinéma : George Clooney nous raconte Minuit dans l’Univers
Sciences, espace et fin du monde… L’acteur et réalisateur nous raconte les coulisses de son film Minuit dans l’Univers, sur Netflix fin décembre.
Voici George Clooney, qui apparaît souriant et détendu sur l’écran de mon ordinateur via Zoom. Il est 11 heures du matin à Los Angeles, et l’acteur, en polo noir, boit son café crème, assis sur un tabouret haut devant un rideau. Soudain sérieux, il s’inquiète d’abord de savoir quelle est la situation en France avant d’assurer la promotion de son nouveau film, Minuit dans l’Univers, son premier pour le géant Netflix, qui sera diffusé le 23 décembre. À Los Angeles, le gouverneur a annoncé un second confinement et les cinémas sont toujours fermés. « Bad situation », mais l’acteur est optimiste depuis l’annonce du vaccin et dit penser souvent à sa soeur et à ses parents, qui vivent loin, dans le Kentucky.
Minuit dans l’Univers, dont il est tout à la fois le producteur, le réalisateur et l’acteur principal, est une fable postapocalyptique qui se passe dans un futur proche et pour laquelle il n’a pas hésité à se vieillir. Il y incarne Augustine, un scientifique basé en Arctique et qui tente désespérément d’entrer en contact avec une astronaute (Felicity Jones) et son équipe pour les dissuader de rejoindre la Terre, dévastée par une catastrophe inconnue. Un sujet qui trouve une étrange résonance dans l’actualité. Il y est question, selon George Clooney, d’isolement, de besoin de communiquer et de rédemption, la voie qui mène à l’espoir. Explications d’un cinéaste doublement oscarisé et qui, en bon démocrate, croit beaucoup en Joe Biden.
Le Point : Quel est l’argument de votre nouveau film, écrit par le scénariste de « The Revenant », Mark L. Smith, d’après le conte de Lily Brooks-Dalton?
George Clooney : Netflix m’a proposé le script, que j’ai vu comme une histoire à la fois intime et universelle. Ce n’est pas de la science-fiction, comme on pourrait le croire, mais quelque chose qui pourrait nous arriver dans la réalité. Dans l’océan de haine et de colère qui nous entoure – et pas seulement aux États-Unis –, oui, nous pourrions détruire le monde avec le réchauffement climatique, la pollution et aujourd’hui la crise sanitaire. Mais ce n’est pas un film sur la fin du monde.
Que peut-on faire avec «ce qu’il reste quand on enlève tout le reste», selon la formule de Lily Brooks-Dalton? Une idée de la fin du monde qui trouve pas mal d’écho aujourd’hui, non?
Pas question de broyer du noir, mais je trouve préoccupante la période que nous traversons aujourd’hui aux États-Unis. Encore une fois, beaucoup de colère et de violence, la crainte de l’immigration, la peur de l’autre, du déclassement, de la pauvreté, du manque de soins médicaux pour soi et sa famille. Moi, je viens d’une petite ville du Kentucky qui ne vote pas démocrate. Mes parents et ma soeur vivent là-bas et je connais pas mal de gens qui n’ont pas les mêmes idées que moi. Mais, si on enlève tout ça, que nous reste-t-il face à ces temps troublés et à cette pandémie ? L’amitié, l’amour, l’attention aux autres, la bienveillance.
Justement, « Minuit dans l’Univers » tombe à pic en abordant les thèmes de l’isolement et du besoin de contact avec les autres au moment où la pandémie nous oblige à rester chez nous et à communiquer virtuellement. Étrange, non?
Évidemment, mon équipe et moi-même n’avions pas prévu ça. On a terminé le tournage à la mi-février et on a rapidement été mis en confinement. Chacun est resté chez lui, et on a vraiment mesuré le fait de se retrouver face à soi-même, coupé des autres, de ses parents. Il fallait que l’on retrouve ce sentiment d’isolement dans le film.
Une expérience inédite pour vous et votre équipe…
On a travaillé dans une salle de montage virtuelle. De temps en temps, je regardais les nouvelles à la télévision, et j’ai entendu dire que le virus touchait particulièrement les personnes de plus de 55 ans. Imaginez, j’en ai 59 ! Du coup, ça m’a fait tout drôle, un vrai choc ! [Rires.] Mais bon, j’ai continué à travailler sans y penser et on a fini le montage.
Dans votre film, la musique d’Alexandre Desplats est très présente et n’a pas qu’une fonction illustrative. Pourquoi?
C’est la première personne que j’ai appelée en lui disant que c’était plus un film de méditation que d’action. Je voulais une musique qui accompagne des longues plages de silence lorsque les personnages tentent de communiquer. Avec Alexandre, on a fait plusieurs films ensemble [Les Marches du Pouvoir, Monuments Men, Bienvenue à Suburbicon, NDLR], et j’aime sa sensibilité, son style. Il est, selon moi, le meilleur compositeur de musiques de films actuel. Je lui ai simplement dit: «Écoute, tu vas pouvoir écrire beaucoup plus de musique que tu ne l’as jamais fait ! » Je pense à la scène des petites bulles de sang qui s’échappent dans l’espace et évoluent en apesanteur, comme dans un ballet.
Vous sentez-vous proche de votre personnage d’Augustine, un scientifique vieillissant, malade et qui a choisi de rester seul sur une base en Arctique?
Non, pas vraiment. Augustine n’a que des regrets. Il s’est mal conduit avec sa femme et n’a pas accompli ses rêves. Ce qui n’est pas mon cas : j’ai eu et j’ai une vie bien remplie, je suis heureux avec ma femme Amal et mes jumeaux de 3 ans. Je trouve qu’avoir des regrets est la pire chose qui puisse vous arriver. Je vois les dégâts autour de moi, et c’est triste.
Vous vous êtes beaucoup vieilli pour ce rôle, avec des traits tirés et une barbe blanche. Pas trop risqué quand on symbolise le glamour?
Bah, de toute façon, je vieillis comme tout le monde et je ne peux pas l’éviter. Ce n’est pas réjouissant, mais la réalité est là et le compteur tourne. Je ne savais pas que mon personnage avait 70 ans ! Mais, après tout, c’est mon boulot de l’incarner. J’ai perdu quelques kilos pour paraître affaibli, mais pas trop parce que je devais aussi faire la mise en scène.
Il y a eu un fait inattendu pendant le tournage: l’actrice Felicity Jones était enceinte. Avez-vous dû improviser?
L’expérience m’a toujours appris qu’il fallait s’adapter. C’était amusant parce que, au début, on a fait semblant de l’ignorer en la filmant en gros plan ou avec une doublure. Mais ça n’allait pas. Il fallait tourner cet inconvénient à notre avantage et faire de ce futur bébé, un garçon, un nouveau personnage. Felicity est donc devenue une astronaute enceinte et pleine d’énergie. Finalement, la vie s’est rappelée à nous, et tout cela avait du sens.
Vous dites de « Minuit dans l’Univers » qu’il a un peu de « The Revenant » et un peu de « Gravity ». Drôle de mélange, non?
Cela peut paraître incongru de raconter une histoire de survie qui se passe à la fois sur une base en Arctique et dans une navette spatiale, mais les deux univers se marient bien. Les personnages essaient désespérément de communiquer entre eux, alors que certains ignorent que la Terre n’est plus habitable et qu’il est dangereux de rentrer à la maison. Il y a à la fois de l’action – avec des scènes spectaculaires de tempête tournées en Islande, où nos yeux gelaient – et du drame dans l’immensité de l’espace, qui symbolise pour nous tous l’aventure et la conquête.
Avec Grant Heslov, votre producteur depuis quarante ans, pourquoi avez-vous décidé de travailler pour Netflix?
Parce que Netflix m’a choisi pour me demander si ce scénario pourrait m’intéresser. C’était une belle opportunité. Au départ, le film devait sortir en salles puis être diffusé sur Netflix, mais évidemment ça n’a pas été possible avec la pandémie. C’est dommage de ne pas le voir sur grand écran parce qu’on a tourné en format 65 [largeur de la pellicule, NDLR]. D’un autre côté, il y a beaucoup de gens confinés chez eux qui pourront le voir et, vu les circonstances, c’est mon rôle d’homme de spectacle de le proposer au public, quoi qu’il arrive.
Pas de regrets, donc, que « Minuit dans l’Univers » ne soit pas projeté dans les cinémas?
Si, je suis déçu, évidemment. On est allés avec mon équipe dans une salle de Westwood, à Los Angeles, pour voir le film sur grand écran, et c’était spectaculaire. Mais bon, je crois vraiment qu’il y a en ce moment des choses plus graves.
On craint que les plateformes ne tuent les salles, vous y croyez?
Franchement, combien de fois a-t-on entendu dire que le cinéma était foutu ? Il a survécu à la télévision, à la vidéocassette, au DVD et maintenant aux plateformes de streaming. Et il est toujours là et les salles aussi. Je crois surtout que les gens auront toujours envie de sortir, d’aller au restaurant et au cinéma