L’éditorial d’Étienne Gernelle
Quand l’absurde frappe à la porte, le mieux est toujours de se référer aux spécialistes. Pierre Desproges disait ainsi que « l’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui » (1). Dans une version moins drôle – et probablement involontaire –, on peut aussi consulter dans Le Monde daté du 8 décembre une longue enquête intitulée: «Islamisme, séparatisme: l’offensive payante des “laïcards” ». Et l’article de préciser d’emblée, pour être bien clair, qu’il est question ici des « partisans d’une laïcité offensive ».
On avait cru, naïvement, que l’offensive était plutôt celle des islamistes, sur le terrain politique, éducatif ou intellectuel, sans compter le terrorisme qui a encore frappé récemment. On pensait donc, innocemment, que ceux qui s’y opposent étaient plutôt en train d’élaborer une stratégie défensive. Mais non. Le Monde – dont l’évolution fait de plus en plus penser à celle du
New York Times, enrégimenté par la cancel culture – voit du bellicisme du côté de ces « laïcards » menant « un combat idéologique, à la manière de moines-soldats ».
Mais qui sont ces inquiétants personnages ? Dans le désordre : Élisabeth Badinter, Caroline Fourest, Amine El Khatmi, Manuel Valls, le Printemps républicain, Mohamed Sifaoui, Jean-Michel Blanquer, Zineb El Rhazoui et quelques autres… Cette dernière est même soupçonnée dans l’article d’accointances avec l’extrême droite. Vraiment ? Tragique encerclement que celui de Zineb El Rhazoui : parce qu’elle combat l’islamisme, elle en est une cible privilégiée, son cas étant aggravé par ses origines (car oui, l’islamisme discrimine volontiers sur ce critère). Et pour parfaire la tenaille, la voici donc assignée d’office à une mouvance pour laquelle, confiait-elle au Point l’an dernier,
« quelqu’un comme moi ne sera jamais français au même titre que ce qu’ils appellent “les Français de souche” ». La
triple peine.
Proche de l’extrême droite, donc, Zineb El Rhazoui… Et à « l’offensive ». Pourtant, il faut croire que le rapport de force ne lui est pas si favorable, puisqu’elle est constamment menacée de mort et sous lourde protection policière. Comme ses anciens collègues de Charlie Hebdo. D’ailleurs, Charlie n’est pas cité en tant que tel dans l’article parmi les « laïcards ». Il y aurait pourtant toute sa place. Une pudeur ?
Lors de sa brillante plaidoirie dans le procès des attentats de janvier 2015 (partiellement reproduite dans
Le Monde), Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, a posé une question dérangeante : « Par quel enchevêtrement incroyable d’idées, de faits, d’événements, de circonstances en est-on arrivé à ce qu’un journal soit dans un bunker dont personne ne connaît l’adresse ? Qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être avalé ? » Et l’avocat de revendiquer son combat : « C’est à nous de hurler, pour recouvrir du son de nos voix le son hideux des couteaux sous nos gorges. » « l’offensive
Est-ce cela, payante » ?
Dans une interview donnée au Point il y a un an, Riss, le patron de Charlie Hebdo, tentait d’expliquer ce traquenard intellectuel déjà ancien : « Ceux qui nous ont traités de racistes, ceux qui réclament la “laïcité apaisée”, oui… Mais ceux-là ne demandent jamais aux plus fanatiques de s’apaiser, ça non. Ils savent très bien d’où vient le danger. On ne va pas, nous les laïques, leur tirer dessus. Au pire, ils se font descendre dans Charlie, mais c’est avec un dessin… Les gens sont des petits animaux peureux qui vont là où ils espèrent qu’ils auront moins mal. C’est une manifestation de l’instinct de survie, sans doute. » De ce point de vue, le calcul est facile. Laïcité : combien de morts ces dernières années ? Combien de décapitations ? ■
Étienne Gernelle
1. Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis (Seuil).
Le Monde évoque le « combat idéologique, à la manière de moines-soldats », des partisans d’une « laïcité offensive ». On avait cru, naïvement, que l’offensive était plutôt du côté des islamistes.