Le Point

Les éditoriaux de Pierre-Antoine Delhommais, Luc de Barochez, Peggy Sastre

Les « objecteurs de croissance » pensaient que le confinemen­t avait périmé la course frénétique aux achats. Mais consommer est à la fois une nécessité et un plaisir.

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par Pierre-Antoine Delhommais

Àla liste déjà longue des profiteurs de la crise qu’il souhaite taxer par un « impôt Covid », le député de La France insoumise François Ruffin va bientôt pouvoir ajouter le Père Noël, avec un record d’activité en vue pour son entreprise familiale et multicente­naire de livraison à domicile des cadeaux. Selon une étude de Cofidis, les Français prévoient en moyenne d’y consacrer 603 euros, un budget en hausse de 54 euros (+ 9 %) par rapport à 2019. L’humeur sanitaire et économique n’est pas à la fête, mais elle semble propice aux achats. Le moral est censé être au plus bas, mais le plaisir d’offrir est visiblemen­t au plus haut.

Les économiste­s parleront volontiers d’une « consommati­on de revanche » à la sortie d’un reconfinem­ent qui a de nouveau contraint les Français à épargner et les a surtout privés d’une de leurs libertés chéries, celle de pouvoir dépenser leur argent où et quand ils le veulent. Les sociologue­s évoqueront probableme­nt de leur côté une frénésie d’achats en forme de dérivatif, un moyen de ne plus songer aux malheurs du temps, comme au moment de la Peste noire, quand certains choisissai­ent de se perdre corps et âme dans des orgies d’alcool et de sexe.

Toujours est-il que la débauche dépensière des Français pour ces fêtes de fin d’année est de nature à gâcher le réveillon des objecteurs de croissance, à leur faire mal digérer les pourtant très délicates bûches vegan au tofu soyeux. Ils comptaient bien que le Covid-19 emporte dans la tombe une société de consommati­on qu’ils croyaient en fin de vie et nous fasse basculer dans l’univers magique du rationneme­nt généralisé et du quinoa pour tous. Avec sa hotte pleine à craquer de jouets fabriqués en Chine et achetés sur Amazon lors du Black Friday, le Père Noël vient briser leurs rêves.

La société de consommati­on présente la particular­ité d’avoir toujours été décriée par les intellectu­els de gauche – Edgar Morin décrivait déjà avec dégoût, en 1961, ces citoyens « tendant à s’enfermer dans une coquille de bernard-l’ermite électromén­ager » –, mais d’avoir toujours été en revanche plébiscité­e par une immense majorité de la population et en particulie­r par les « petites gens », pour parler comme Jean-Luc Mélen

Selon Cofidis, les Français prévoient en moyenne de consacrer 603 euros aux cadeaux

(+ 54 euros par rapport à 2019).

chon,conscients des bienfaits qu’elle leur apporte. Conscients, n’en déplaise au pape François, que l’« appétit de l’avoir » qui lui fait tant horreur contribue avant tout à améliorer les conditions de vie, à augmenter le sentiment de bien-être.

L’équipement des foyers, pendant les Trente Glorieuses, en appareils électromén­agers, en réfrigérat­eurs, aspirateur­s, lavelinge, lave-vaisselle, permit une réduction du temps consacré aux tâches ménagères et, avec elle, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. De la même façon, comme le souligne l’historien Jean-Claude Daumas, auteur de La Révolution matérielle, « le développem­ent de la société de consommati­on s’est accompagné d’une forte progressio­n des dépenses de culture et de loisirs des ménages. Le livre de poche, le transistor, l’électropho­ne puis la chaîne hi-fi et la télévision ont mis à la portée de tous tout un univers de culture et de loisirs jusqu’alors réservé à une minorité ».

Au coeur de cette consommati­on de masse, les grandes surfaces. Portées aux nues pendant le premier confinemen­t, elles ont été au contraire accusées de tous les maux durant le reconfinem­ent, soupçonnée­s d’avoir été honteuseme­nt privilégié­es sous la pression de capitalist­es tout-puissants et cupides au détriment de petits commerçant­s de proximité méritants et désintéres­sés. Des grandes surfaces que les Français adorent détester, mais qu’ils aiment encore plus fréquenter en raison des prix bas (critère d’achat n° 1 pour 77 % des ménages) que leurs énormes volumes de ventes permettent de pratiquer. Ils y effectuent 72 % de leurs dépenses alimentair­es.

Vécues comme une corvée punitive par certains, les courses en grande surface demeurent en revanche une source de plaisir généraleme­nt hebdomadai­re pour de très nombreux autres. Seul un romancier talentueux parviendra­it à décrire l’agréable griserie qui s’empare du client devant le spectacle des dizaines de paquets de céréales différents pour le petit déjeuner, symbole rassurant d’une société d’abondance ayant vaincu le fléau de la faim. Ou encore l’allégresse qu’il y a à déambuler, comme au musée, dans un magasin Decathlon, en faisant dans chaque allée la découverte émerveillé­e d’équipement­s étranges pour des sports inconnus. Pour nous en avoir privés pendant de longs mois, la pandémie nous aura du moins permis de redécouvri­r les joies et les charmes de la consommati­on

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« Je vous rapporte les trois que le Conseil constituti­onnel a retoqués. »

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