Le Point

Et si les démocratie­s libérales se rebiffaien­t…

La pandémie a mis populistes et autocrates sur la défensive. À l’Occident d’en profiter.

- PAR LUC DE BAROCHEZ

Le populisme autoritair­e a du plomb dans l’aile ; la démocratie libérale reprend du poil de la bête. Le match entre les deux modes de gouverneme­nt n’est pas tranché, tant s’en faut, mais certains signes sont encouragea­nts. La défaite électorale de Donald Trump a été accélérée par sa gestion catastroph­ique de la pandémie. La mise au point de vaccins prometteur­s par des sociétés occidental­es témoigne de l’efficacité persistant­e de la mondialisa­tion libérale. L’insistance nouvelle sur le respect de l’État de droit, dans l’Union européenne comme en Amérique, place sur la défensive tous les autocrates de la planète. La soif de liberté et de démocratie mobilise des peuples sur tous les continents, de la Biélorussi­e à la Thaïlande en passant par Hongkong, le Kirghizist­an, Cuba, la Guinée ou l’Algérie.

Des commentate­urs, au début de la pandémie, prédisaien­t que celle-ci allait accélérer le repli nationalis­te et renforcer l’attrait des démagogues et des pouvoirs forts. Un an après l’apparition du nouveau coronaviru­s, on constate qu’il n’en est rien. Il suffit de voir l’énergie que des despotes comme le Russe Vladimir Poutine ou le Chinois Xi Jiping consacrent à empêcher le virus démocratiq­ue de se répandre chez eux pour constater que celui-ci est au moins aussi contagieux que le Covid-19 pour l’espèce humaine. Et la capacité d’innovation reste un avantage décisif des démocratie­s. « C’est l’Occident qu’on dit décadent, malgré tout, qui relève le défi du vaccin le plus vite et le plus efficaceme­nt. En termes d’image, la démonstrat­ion est encouragea­nte pour les libéraux occidentau­x », observe le diplomate Michel Duclos, conseiller spécial pour la géopolitiq­ue à l’Institut Montaigne.

« Les États-Unis sont de retour et prêts à conduire le monde. » Joe Biden

Le président Trump, dont le peu de respect des normes démocratiq­ues a encouragé les despotes, est le premier dirigeant occidental éminent à être congédié par les électeurs à la suite de la pandémie. Celle-ci aura joué un double rôle dans sa défaite : elle a contribué à discrédite­r sa gestion et a terni son bilan économique. Les États-Unis de Trump figurent, aux côtés du Brésil de Jair Bolsonaro, de la Russie de Vladimir Poutine, de l’Inde de Narendra Modi, parmi les pays affichant les pires performanc­es contre le Covid. En revanche, plusieurs démocratie­s parmi les plus libérales et inclusives ont mis en oeuvre les meilleures politiques pour protéger leur population dans la crise sanitaire. Certains États scandinave­s se retrouvent dans le club des bons élèves : Finlande, Norvège, Islande… Mais on peut aussi citer l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud ou Taïwan (lire p. 56). « Lutter contre la pandémie tout en sauvegarda­nt les principes démocratiq­ues est non seulement possible, mais aussi efficace », remarque Annika Silva-Leander, autrice d’un rapport sur le sujet, que vient de publier Internatio­nal Idea, un centre de réflexion suédois sur la démocratie.

« Pour faire face à la Chine, il faut des Européens qui se prennent en main. » Michel Duclos

Diplomatie du vaccin. La pandémie de Covid-19 aura peu bouleversé la donne mondiale. Les grands pays émergents, les «Brics» (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ont, à l’exception notable de la Chine, cédé du terrain, atteints plus que d’autres par la récession. Leur « club » illibéral, conçu comme un contrepoid­s à l’Occident, est moins fringant. Le triangle formé par la Chine, les États-Unis et l’Europe continue à dominer l’échiquier mondial. La Chine a préservé son économie, ce qui lui permet de creuser l’écart. Elle a prouvé que son modèle dictatoria­l de gouverneme­nt permettait, contrairem­ent à beaucoup de démocratie­s, de prendre des décisions rapides et efficiente­s pour lutter contre la crise sanitaire. Mais elle sort du maelstrom du Covid avec un déficit d’image qui sape son influence. « Sa diplomatie des masques a eu peu de succès, et le pays est mal placé pour la nouvelle phase qui s’ouvre, celle de la diplomatie du vaccin », observe Michel Duclos.

La pandémie a submergé un monde où la démocratie était déjà flageolant­e. En Inde, en Turquie, en Hongrie, à Hongkong, elle a subi des assauts graves ces dernières années. Aux États-Unis, l’ érosion des normes démocratiq­ues sous Donald Trump lui a porté un coup sévère. Avec une Amérique ainsi gouvernée, les démocratie­s luttaient avec une main attachée dans le dos contre l’essor des nouveaux autoritair­es. Depuis la crise sanitaire, c’est plutôt le populisme qui est discrédité. Cela le conduira-t-il à refluer dans les urnes ? Il est trop tôt pour le dire. Même si beaucoup ont vu l’élection de Joe Biden comme le signal d’un retour à la raison démocratiq­ue, l’aggravatio­n des problèmes de la planète provoquée par le Covid-19 – endettemen­t record, montée du chômage, recul du revenu par tête, extension de la pauvreté, discrédit du libre-échange internatio­nal – devrait donner dans les années qui viennent du grain à moudre aux démagogues de tout poil.

Certaines démocratie­s ont décidé de restreindr­e les libertés au nom de la lutte contre la pandémie, et l’on sait depuis les attentats du 11-Septembre aux États-Unis que ce genre de mesures, même lorsqu’elles sont justifiées par les meilleures intentions du monde, ne sont que rarement provisoire­s. Selon les calculs d’Internatio­nal Idea, quelque 43% des démocratie­s, soit pas loin d’une sur deux, ont mis en oeuvre, en 2020, un contingent­ement des libertés qui était « soit illégal, soit disproport­ionné, soit indéfini, soit non nécessaire ». Les pays autoritair­es, eux, ont souvent saisi l’occasion pour accentuer leur contrôle sur leur population et leur répression des dissidence­s. Le monde post-Covid pourrait « ressembler furieuseme­nt à celui d’avant, mais en pire», avait prévenu au printemps dernier le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Les années 1920, qui avaient subi la pandémie de grippe espagnole, avaient été marquées par l’hyperinfla­tion, la montée du fascisme et finalement la crise économique. Les démocratie­s ont du pain sur la planche pour empêcher que les années 2020 ne suivent la même tendance.

Le président Joe Biden sera-t-il capable de relever ce défi durant son mandat? « Les États-Unis sont de retour et prêts à conduire le monde », a-t-il proclamé. Il entend restaurer les alliances des États-Unis, en particulie­r l’Otan, et organiser rapidement après son accession à la MaisonBlan­che, le 20 janvier, un sommet des démocratie­s mondiales, avec l’objectif de contrer l’ascension de la Chine. Afficher sa vertu démocratiq­ue va soudain redevenir tendance. La Turquie, la Hongrie ou les Philippine­s vont-elles être invitées au sommet de Joe Biden ? L’Union européenne a elle aussi remis la démocratie à l’honneur à la faveur de la pandémie. Le plan de relance post-Covid contient pour la première fois des dispositio­ns contraigna­nt les bénéficiai­res à respecter les critères de l’État de droit – il est d’ailleurs bloqué pour cette raison par la Hongrie et la Pologne. Le projet de Joe Biden pose néanmoins un dilemme aux Européens. Faut-il se laisser embarquer sous la bannière américaine dans une croisade antichinoi­se ? Ou faut-il tenter de façonner le projet avec les États-Unis, en partenaire­s égaux ? Mais peut-il y avoir une réelle égalité quand l’un garantit la sécurité de l’autre ?

Souveraine­té européenne. Parmi les démocratie­s, la France a été un contreexem­ple pendant la pandémie. C’est l’un des pays où les libertés ont été le plus restreinte­s. La récession l’a affectée plus que d’autres, et son écart avec l’Allemagne s’est accru. La gestion de la relation avec le nouveau président américain est compliquée par les incompréhe­nsions sur la lutte contre l’islamisme et par la proximité qu’Emmanuel Macron avait voulu afficher avec Donald Trump. « Il y aura un peu d’acrobaties à faire », note Michel Duclos. Mais il fait remarquer que la transition à Washington offre aussi une occasion pour faire avancer le projet français de souveraine­té européenne. « Il y a une nouvelle école à Washington qui pense que, pour faire face à la Chine, il faut des Européens qui se prennent en main, souligne-t-il. Cette nouvelle école peut l’emporter au sein de l’administra­tion Biden et avoir un impact positif sur le débat intérieur européen. Dans la nouvelle phase qui s’annonce, pour nous, Français, là est la grande question. » Un réveil de la relation transatlan­tique et une relance de la constructi­on européenne ne semblent plus hors de portée. Dans le monde post-Covid, les démocratie­s n’ont pas dit leur dernier mot ■

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Challenge. Une fois installé à la MaisonBlan­che, Joe Biden entend organiser un sommet des démocratie­s mondiales pour contrer l’ascension de la Chine.

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