Innovations : c’est la lutte finale !
Technologie. La pandémie de Covid-19 n’a pas ralenti les découvertes, bien au contraire ! Voici les plus grandes avancées de 2020.
N’allez pas croire qu’il ne s’est rien passé au cours des douze derniers mois ! Certes, un grand nombre de chercheurs ont été mobilisés autour de la recherche sur le Covid (voir notre article sur le vaccin ARN), mais les travaux ont continué dans des domaines aussi différents que le calcul quantique, la reconnaissance de texte ou encore l’exploration spatiale. Notre sélection des plus grandes avancées aurait également pu inclure l’utilisation de la fusion nucléaire par les Chinois pour se rapprocher d’un « soleil artificiel », la mise au point en Suisse de ClearSpace, un robot nettoyeur de l’espace, ou encore les dernières avancées des chercheurs du CNRS dans les techniques de désalinisation pour faciliter l’accès à l’eau potable.
Souvent, l’innovation vient là où on ne l’attendait pas. Et la vigueur d’un pays passe par l’ambition de ses universités, la fréquence des publications scientifiques, le nombre de ses brevets, les commandes publiques réservées aux petites structures, mais aussi le financement des innovations que doit encourager une vision industrielle à long terme, capable de corriger le tir en permanence. Ainsi, le président chinois Xi Jinping a fixé à 2035 la date à laquelle l’empire du Milieu sera, selon lui, le plus gros innovateur du monde en mettant l’accent sur la production de processeurs, de cartes mémoire, ou encore sur la création d’écosystèmes logiciels, aujourd’hui maîtrisée par les États-Unis. La Chine comptera 200 millions de diplômés de l’enseignement supérieur en 2023, dont les deux tiers spécialisés dans les sciences et la technologie ! « Ce sera davantage que la population active américaine », pronostique le consultant en innovation Jean-Dominique Séval, installé en Chine. Pékin voit loin, regarde déjà vers 2035. La vision à long terme, peut-être ce qui manque à la France…
LA VOITURE VOLANTE, c’est pour demain…
Une autonomie de 800 à 1 000 kilomètres, un temps de charge de cinq minutes seulement, une durée de vie multipliée par cinq : le projet de batteries à électrodes en carbone présenté par la start-up Nawa Technologies est très prometteur. Il pourrait marquer une rupture pour les véhicules électriques, encore handicapés par un temps de charge de plusieurs heures et par une autonomie réduite. Installée près d’Aix-en-Provence, Nawa Technologies vient de lever 13 millions d’euros. Une somme qui va lui permettre de produire ses électrodes en nanotubes de carbone, un matériau abondant et facilement recyclable. Il pourrait donner des ailes à l’ingénieur allemand Günther Schuh, qui peaufine en ce moment, outre-Rhin, un taxi volant silencieux, attendu dès 2022. L’autre grand chantier des transports concerne l’utilisation des trains à hydrogène, déjà déployés en Allemagne et en Corée du Sud, et qui pourraient prochainement arriver en France. ■■■
UN CALCULATEUR QUANTIQUE encore plus rapide
Nom de code: opération Jiuzhang. Le 3 décembre 2020, une équipe de l’University of Science and Technology of China, à Hefei, chapeautée par JianWei Pan, a annoncé avoir mis au point un ordinateur quantique capable d’effectuer certaines opérations jusqu’à 100 milliards de fois plus vite que le plus avancé des ordinateurs. Ce prototype détecte jusqu’à 76 photons à travers un échantillonnage gaussien de bosons, un algorithme de simulation standard. C’est une belle étape, mais il ne s’agit, ici encore, que de simulation. La suprématie quantique, c’est-à-dire la capacité pour un ordinateur s’appuyant sur les principes de la physique quantique de résoudre des calculs difficilement réalisables, mobilise tous les esprits. Google en avait fourni un aperçu en octobre 2019, avec un processeur installé dans un hangar de l’université de Santa Barbara capable d’accomplir en deux cents secondes une opération qui aurait demandé de deux ans et demi à dix mille ans à un supercalculateur classique. Mais ici, l’ordinateur a été créé pour une tâche particulière, taillée sur mesure. « On aura une vraie suprématie lorsqu’on pourra régler un problème de notre quotidien, par exemple calculer en temps réel l’énergie électrique disponible produite par des éoliennes », explique le physicien Alain Aspect, maître de conférences à l’École polytechnique. Sur ce sujet, la start-up Pasqal, à Paris, pourrait réserver une belle surprise début 2021.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE s’attaque aux superbactéries
En février 2020, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) a annoncé avoir découvert, grâce à une intelligence artificielle, un antibiotique efficace contre des superbactéries résistantes à tous les autres médicaments. En explorant de manière autonome d’immenses librairies virtuelles rassemblant les millions de briques médicales disponibles, non seulement l’algorithme a trouvé une formule efficace, mais, de plus, il n’a exploré que des mécanismes différents de ceux utilisés par les antibiotiques déjà existants, réduisant ainsi le risque d’adaptation des bactéries. L’imagerie médicale s’attend également à une révolution avec l’intégration d’outils d’analyse automatisée. Sans jamais remplacer le médecin radiologue, l’IA évite de longues heures de comptage et de caractérisation des anomalies, tout en vérifiant aussi le reste de l’image à la recherche d’une pathologie insoupçonnée. L’IA est également précieuse pour la mise au point d’exosquelettes qui accompagnent le retour à la marche de patients, à l’instar du modèle Atalante. Développé par le français Wandercraft, ce dernier a équipé, cette année, une unité de l’hôpital HenriMondor, et attend son homologation pour un lancement aux États-Unis.
LE VACCIN ARN-M qui doit vaincre le Covid
S’il tient ses promesses, le vaccin contre le Covid-19 restera comme l’innovation médicale de l’année 2020. Créer si rapidement une parade contre un fléau qui a touché 66,59 millions de personnes, tué 1 540 000 d’entre elles, et mis le monde à l’arrêt demeurera une incroyable prouesse de la recherche médicale. Sur 237 projets de vaccin actuellement en cours, c’est la société américaine Pfizer, en collaboration avec la firme allemande BioNTech, qui a fait la course en tête en annonçant la première, le 9 novembre, être parvenue à ses fins, suivie de peu par la société américaine Moderna.
Première performance, le très court délai entre le premier cas recensé de Covid, le 1er décembre 2019, et l’annonce d’un vaccin. Il n’aura fallu que onze mois pour le mettre au point, alors qu’en moyenne quinze ans sont nécessaires. Ensuite, c’est la première fois qu’est créé un vaccin contre un des coronavirus humains. Enfin, c’est la technologie la plus novatrice qui, la première, a abouti à des résultats. Trente ans après ses balbutiements, la technologie dite de l’ARN messager (ARN-m), base des produits de Pfizer ou de Moderna, n’utilise pas le virus lui-même mais son code génétique, son mode d’emploi. Alors que les vaccins classiques consistent, sous une forme ou une autre, à fabriquer un antigène présenté au ■■■
■■■ système immunitaire, qui produit alors des anticorps adaptés, le nouveau vaccin injecte non pas l’antigène, mais des fragments du matériel génétique du SARS-CoV-2 (son acide ribonucléique) afin que les cellules fassent le travail elles-mêmes. Cette méthode ouvre une nouvelle étape dans la longue histoire de la vaccination.
DES TROUS NOIRS inédits
En septembre, la collaboration scientifique américano-européenne LIGO-Virgo a permis de révéler l’existence de mystérieux astres évoqués depuis les années 1970 mais encore jamais observés : les trous noirs de masse intermédiaire. Une découverte qui s’appuie sur la détection d’une bouffée d’ondes gravitationnelles (des ondulations de l’espace-temps prédites par Albert Einstein et résultant de la propagation de la gravitation dans l’Univers) enregistrée par leurs observatoires, le 21 mai 2019. Ce signal, qui dure à peine un dixième de seconde, est – c’est la cerise sur la gâteau – le plus ancien jamais observé. Il a été émis il y a sept milliards d’années par la collision de deux trous noirs de respectivement 65 et 85 masses solaires qui, en fusionnant, ont donné un énorme trou noir pesant 142 soleils, plus gros que les « stellaires » résultant de l’explosion d’une étoile, mais plus petit que les « supermassifs », nichés au centre des galaxies. Cette découverte est importante, car la naissance de ces objets pose de nombreuses questions. Chercher à y répondre entraînera immanquablement d’autres découvertes sur notre Univers.
EXPLORATION SPATIALE La route des astres est ouverte
Avec le succès, le 15 novembre, du premier vol habité opérationnel de SpaceX vers la Station spatiale internationale (ISS), une nouvelle ère s’est ouverte au-dessus de nos têtes : une entreprise privée a acheminé des humains vers un habitat en orbite. À l’instar de la navigation maritime d’antan, l’avènement des vols spatiaux habités privés permettra-t-il un renouveau de l’exploration spatiale ? Lors d’une interview au Point, l’ex-directeur technologique de la Nasa, David Miller, avait détaillé la stratégie de l’agence américaine : «Nous progressons plus loin dans l’espace et nous ne pouvons pas assurer seuls toute la chaîne logistique jusqu’à la Terre. Pendant le programme Apollo, l’interface entre le secteur privé et la Nasa était au sol, à cap Canaveral. Aujourd’hui, nous voulons que les astronautes et le ravitaillement soient acheminés par le secteur privé jusqu’à l’orbite terrestre basse. Et lorsque nous viserons
Mars, cette interface devra s’installer autour de la Lune. » Chaque nouvelle limite franchie par les missions étatiques permet donc au secteur privé d’avancer ses pions. En attendant d’aller sur Mars (ce qui paraît aujourd’hui lointain), l’entrepreneuse Barbara Belvisi va simuler la vie sur place, en déployant, l’an prochain, des capsules autonomes dans le désert de Mojave en Californie.
OBJECTIF LUNE, puis Mars, pour la Chine
Après une année 2019 marquée par l’atterrissage de l’un de ses robots sur la face cachée de la Lune, où ni les Américains ni les Russes ne s’étaient encore risqués, la Chine a lancé avec succès, en juillet, sa première mission à destination de la planète Mars. Et pas n’importe laquelle : elle contient à la fois un orbiteur, un atterrisseur et un rover ! « C’est extrêmement audacieux et passablement risqué, nous confiait, cet été, l’astrophysicien Francis Rocard, responsable de l’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). Dans le cadre d’une première mission martienne, personne n’avait jamais osé faire ça. Pas même les Américains. » Sur ce point, le plus dur reste cependant à faire, puisque l’opération la plus délicate sera d’atterrir sur la planète rouge au printemps 2021. Dans une vaste plaine de l’hémisphère Nord, qui ne présente pas un grand intérêt scientifique, mais qui offre plus de sécurité. Et ce n’est pas tout, puisque, coup double, après avoir visé Mars durant l’été, la Chine a de nouveau gagné la Lune cet automne. Là encore, les objectifs affichés sont ambitieux : il s’agit d’égaliser le score avec les grandes puissances spatiales, loin devant l’Inde, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis, en rapportant des échantillons lunaires prélevés en surface ainsi que jusqu’à 2 mètres de profondeur dans le sous-sol. Ce qui est nouveau et peut donc, même s’il s’agit avant tout d’une démonstration technologique, présenter un intérêt scientifique, d’autant que la cible choisie est un terrain jeune et inexploré de notre satellite. Si tout va bien, 2 kilos de roches lunaires devraient être rapportés sur Terre dès la mi-décembre. Ce qui, à défaut d’être un grand pas pour l’homme, en est décidément un pour la Chine !
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DES DRONES en escadrille
20 septembre : la Chine bat le record de l’américain Intel en lançant un essaim de 3051 drones. La démonstration est saisissante : chaque appareil arbore une lumière, et l’ensemble forme de gigantesques figures à la gloire de la Chine dans le ciel de Zhuhai. Avec cette prouesse technologique, Pékin envoie aussi un message fort aux armées du monde entier : les essaims de drones, difficiles à neutraliser, sont l’une des principales menaces contre les défenses aériennes. Le principe est le même que dans le domaine cyber : si des milliers d’attaquants tentent de passer, l’un d’eux finira sans doute par réussir. Le secret pour réussir ses essaims ? Du code, toujours du code ! Parce que, si la panne technique de quelques drones n’est pas bloquante (des dizaines sont d’ailleurs restés cloués au sol à Zhuhai), une défaillance du logiciel de guidage ou de coordination ferait tout capoter. Les experts imaginent même des essaims autorégénérants : il suffirait d’imprimer en 3D des drones en flux tendu, directement sur la ligne de front, pour assurer une saturation permanente des défenses ennemies. Ces modèles font partie des menaces étudiées par la Red Team, l’équipe d’auteurs de SF recrutés par le ministère français des Armées pour imaginer les guerres du futur. À suivre aussi, les drones solaires, comme l’initiative Sunbirds, née à Toulouse, qui est déployée en République démocratique du Congo pour surveiller l’évolution de la forêt, et en Australie pour orienter le bétail vers les points d’eau du désert.
PROTÉINES 3D Le défi est relevé
Le 30 novembre, badaboum ! L’IA de DeepMind, société britannique que s’est offerte Google en 2014, estime pouvoir prédire la structure tridimensionnelle des protéines. L’intérêt ? Immense ! Ces molécules biologiques constituées d’une suite d’acides aminés figurent parmi les briques de base des cellules vivantes, comme dans les membranes cellulaires ; elles constituent aussi la majorité des enzymes, qui permettent les réactions chimiques assurant les fonctions vitales. Assimiler les aliments, percevoir la lumière, se défendre contre les microbes, tout cela est accompli grâce à des protéines. Grâce au développement du génie génétique, on connaît maintenant beaucoup de séquences d’acides aminés. Cependant, leur efficacité est déterminée en grande partie par l’agencement dans l’espace de la molécule protéique, qui se structure dans les trois dimensions, telle une pelote de fil ; et connaître cette disposition en 3D est très difficile. Jusqu’à présent, la principale façon d’obtenir un modèle haute définition de la structure d’une protéine était la cristallographie par rayon X, une méthode qui pouvait prendre jusqu’à un an pour une seule protéine. La modélisation permise par AlphaFold, réduite à quelques jours, permettra peut-être de mieux expliquer les dysfonctionnements provoqués par une mutation de l’ADN, qui engendrent des protéines anormales dans nombre de maladies génétiques. Et concourir – peut-être un jour – à leur traitement.
DIALOGUER AVEC SON ROBOT, c’est (presque) possible !
« Vous vous sentez improductifs ? Peut-être devriez-vous arrêter de trop réfléchir. » Voilà un article qui, publié en août, a fait le buzz, au point d’arriver en haut de plusieurs agrégateurs d’informations. Pourtant, il a été écrit par… une IA. GPT-3 (Generative Pre-trained Transformer-3) peut résoudre des problèmes mathématiques, répondre à des questions sur l’astronomie, mais surtout générer du texte sur n’importe quel sujet. Mis au point par OpenAI, organisation créée en 2015 à San Francisco par Elon Musk et Sam Altman, cet outil de création linguistique a étudié notre syntaxe à travers des milliards d’exemples et détermine la suite logique d’une phrase. GPT-3 sait « écrire » des accords de guitare, des recettes de cuisine, des lignes de code, des recommandations aux allures de diagnostics médicaux (attention, danger) ou… des poèmes ! Problème : pour l’instant disponible uniquement en anglais, il manque cruellement de bon sens (il peut écrire qu’un brin d’herbe peut avoir un oeil…). « Parler à GPT-3, c’est un peu comme s’adresser à quelqu’un qui comprendrait les mots, mais qui n’en saisirait pas toujours le sens », précise le chercheur en IA Yann Le Cun. Ce à quoi le prof de philo de l’université de New York David Chalmers répond : « Un ver de terre, qui ne possède que 302 neurones, est conscient, donc je ne ferme pas la porte à ce qu’un programme GPT-3, avec ses 175 milliards de paramètres, soit un jour conscient.» En attendant, comme dans le film Her, où le héros se met à converser via son oreillette avec son auteur favori pourtant disparu, GPT-3 pourra vous permettre d’avoir une conversation imaginaire avec Virginia Woolf ou Edgar Allan Poe. Ce qui est déjà un bon début
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