Joue-la comme Merkel !
Emmanuel Macron ferait bien de s’inspirer de la chancelière, qui ne cache pas aux Allemands les efforts qu’ils devront fournir pour sortir de la crise.
Malgré le dévouement héroïque de la BCE pour secourir les États, malgré la grande première que constitue l’émission d’une dette commune pour financer les 750 milliards d’euros du plan de relance, il faut être un eurolâtre pathologique pour affirmer que l’Europe va sortir politiquement et économiquement renforcée de la pandémie. Laquelle a fait ressortir ses pesanteurs institutionnelles et rejaillir en geyser les égoïsmes nationaux, chacun allant de son côté s’approvisionner en masques, chacun fermant de son côté ses frontières sans prévenir ses partenaires. Une pandémie, enfin, qui révèle des structures mais aussi des sensibilités économiques très différentes selon les pays.
En Allemagne, Angela Merkel s’emploie à rassurer une population culturellement aussi allergique à la dette qu’à l’inflation et qui s’inquiète des 300 milliards d’euros empruntés par l’État pour aider les entreprises et les ménages à affronter la crise. « Nous avons été en mesure de déployer des sommes importantes en 2020 et pourrons le faire en 2021, explique la chancelière, car nous avons bien géré nos finances ces dernières années. » Un euphémisme quand on sait que l’Allemagne était parvenue à réduire son niveau de dette publique de 81,1 % du PIB en 2012 à 59,6 % en 2019, alors que dans le même temps celui-ci passait en France de 90,6 % à 98,1 %. Ou quand on sait que l’Allemagne avait dégagé en 2019 un excédent budgétaire de 13,5 milliards d’euros, tandis que la France enregistrait un déficit de 73 milliards d’euros.
Pour autant, Mme Merkel ne cache ni les craintes que lui inspire la brusque détérioration des finances, ni son impatience d’en finir avec la distribution d’un argent public qui, en Allemagne, n’a rien de magique. « Bien sûr, nous ne pouvons pas maintenir ce niveau de soutien indéfiniment, et il est clair que nous devrons travailler sur cette dette exceptionnelle à partir de 2023. Nous voyons déjà d’énormes défis budgétaires pour les années à venir. »
Des «finances bien gérées ces dernières années», Emmanuel Macron ne peut y faire référence, pas plus qu’il ne mentionne d’ « énormes défis budgétaires à venir ». Le nouveau credo présidentiel du «quoi qu’il en coûte» conforte au contraire le sentiment en France que les emprunts d’État sont à leur façon des produits financiers « bio », naturels et sans aucun danger, et que les OAT (obligations assimilables du Trésor) sont des sortes d’huiles essentielles miracles qui guérissent de tous les maux économiques.
Il serait absurde de reprocher à Emmanuel Macron d’avoir endetté le pays pour limiter les ravages économiques provoqués par les confinements. Il est en revanche permis de déplorer que, contrairement à Mme Merkel, il ne cherche pas à alerter les Français sur les dangers que représente une telle dette. Que celle-ci évolue désormais dans des zones à hauts risques, où la faillite n’est jamais loin. Qu’il ne leur explique pas que cela imposera tôt ou tard des mesures d’ajustement. Qu’il ne veuille pas les effrayer en leur parlant de douloureux sacrifices afin de régler l’addition et stopper la folle dérive des comptes publics.
Par exemple en augmentant la durée du travail (fin des 35 heures, report de l’âge du départ à la retraite) pour accroître la production de richesses. Par exemple en réduisant la dépense publique, comme l’avait fait dans les années 1990 un pays comme la Suède, qui s’en porte aujourd’hui économiquement très bien et qui, sans renoncer à son modèle social protecteur, a diminué d’un cinquième le nombre de ses fonctionnaires, réduit les indemnités chômage et maladie ou encore coupé à la tronçonneuse dans les aides au logement. Par exemple, enfin, en augmentant les impôts, ce que Bruno Le Maire a exclu de faire tant qu’il serait ministre des Finances. Promesse qui n’engage que lui, pas ses successeurs, et qui n’engage surtout que ceux qui l’écoutent.
À un an et demi de la présidentielle, il serait temps qu’Emmanuel Macron s’inspire de son « amie » Angela, que son parler-vrai, sa façon de dire la réalité des difficultés économiques présentes et des menaces financières futures sans enjoliver la situation, n’a pas empêchée d’être réélue à trois reprises
■
Il faut être un eurolâtre pathologique pour affirmer que l’Europe va sortir renforcée de la pandémie.