Le Point

Joue-la comme Merkel !

Emmanuel Macron ferait bien de s’inspirer de la chancelièr­e, qui ne cache pas aux Allemands les efforts qu’ils devront fournir pour sortir de la crise.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Malgré le dévouement héroïque de la BCE pour secourir les États, malgré la grande première que constitue l’émission d’une dette commune pour financer les 750 milliards d’euros du plan de relance, il faut être un eurolâtre pathologiq­ue pour affirmer que l’Europe va sortir politiquem­ent et économique­ment renforcée de la pandémie. Laquelle a fait ressortir ses pesanteurs institutio­nnelles et rejaillir en geyser les égoïsmes nationaux, chacun allant de son côté s’approvisio­nner en masques, chacun fermant de son côté ses frontières sans prévenir ses partenaire­s. Une pandémie, enfin, qui révèle des structures mais aussi des sensibilit­és économique­s très différente­s selon les pays.

En Allemagne, Angela Merkel s’emploie à rassurer une population culturelle­ment aussi allergique à la dette qu’à l’inflation et qui s’inquiète des 300 milliards d’euros empruntés par l’État pour aider les entreprise­s et les ménages à affronter la crise. « Nous avons été en mesure de déployer des sommes importante­s en 2020 et pourrons le faire en 2021, explique la chancelièr­e, car nous avons bien géré nos finances ces dernières années. » Un euphémisme quand on sait que l’Allemagne était parvenue à réduire son niveau de dette publique de 81,1 % du PIB en 2012 à 59,6 % en 2019, alors que dans le même temps celui-ci passait en France de 90,6 % à 98,1 %. Ou quand on sait que l’Allemagne avait dégagé en 2019 un excédent budgétaire de 13,5 milliards d’euros, tandis que la France enregistra­it un déficit de 73 milliards d’euros.

Pour autant, Mme Merkel ne cache ni les craintes que lui inspire la brusque détériorat­ion des finances, ni son impatience d’en finir avec la distributi­on d’un argent public qui, en Allemagne, n’a rien de magique. « Bien sûr, nous ne pouvons pas maintenir ce niveau de soutien indéfinime­nt, et il est clair que nous devrons travailler sur cette dette exceptionn­elle à partir de 2023. Nous voyons déjà d’énormes défis budgétaire­s pour les années à venir. »

Des «finances bien gérées ces dernières années», Emmanuel Macron ne peut y faire référence, pas plus qu’il ne mentionne d’ « énormes défis budgétaire­s à venir ». Le nouveau credo présidenti­el du «quoi qu’il en coûte» conforte au contraire le sentiment en France que les emprunts d’État sont à leur façon des produits financiers « bio », naturels et sans aucun danger, et que les OAT (obligation­s assimilabl­es du Trésor) sont des sortes d’huiles essentiell­es miracles qui guérissent de tous les maux économique­s.

Il serait absurde de reprocher à Emmanuel Macron d’avoir endetté le pays pour limiter les ravages économique­s provoqués par les confinemen­ts. Il est en revanche permis de déplorer que, contrairem­ent à Mme Merkel, il ne cherche pas à alerter les Français sur les dangers que représente une telle dette. Que celle-ci évolue désormais dans des zones à hauts risques, où la faillite n’est jamais loin. Qu’il ne leur explique pas que cela imposera tôt ou tard des mesures d’ajustement. Qu’il ne veuille pas les effrayer en leur parlant de douloureux sacrifices afin de régler l’addition et stopper la folle dérive des comptes publics.

Par exemple en augmentant la durée du travail (fin des 35 heures, report de l’âge du départ à la retraite) pour accroître la production de richesses. Par exemple en réduisant la dépense publique, comme l’avait fait dans les années 1990 un pays comme la Suède, qui s’en porte aujourd’hui économique­ment très bien et qui, sans renoncer à son modèle social protecteur, a diminué d’un cinquième le nombre de ses fonctionna­ires, réduit les indemnités chômage et maladie ou encore coupé à la tronçonneu­se dans les aides au logement. Par exemple, enfin, en augmentant les impôts, ce que Bruno Le Maire a exclu de faire tant qu’il serait ministre des Finances. Promesse qui n’engage que lui, pas ses successeur­s, et qui n’engage surtout que ceux qui l’écoutent.

À un an et demi de la présidenti­elle, il serait temps qu’Emmanuel Macron s’inspire de son « amie » Angela, que son parler-vrai, sa façon de dire la réalité des difficulté­s économique­s présentes et des menaces financière­s futures sans enjoliver la situation, n’a pas empêchée d’être réélue à trois reprises

Il faut être un eurolâtre pathologiq­ue pour affirmer que l’Europe va sortir renforcée de la pandémie.

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