Opération Louvre
Chefs-d’oeuvre. Allemagne, Autriche, Italie… L’amateur d’art Vivant Denon a suivi Napoléon dans ses campagnes avec un objectif : constituer un musée universel.
Dominique Vivant Denon et Napoléon Bonaparte auraient fait connaissance au cours d’une réception chez Talleyrand. Le premier, de nature aimable, aurait offert un verre de limonade au jeune lieutenant timide et peu à son aise. Cette rencontre débouchera sur une des plus prodigieuses aventures culturelles du monde. Durant treize ans, Vivant Denon suivra Napoléon dans toutes les capitales européennes pour rassembler au Louvre la plus belle collection d’oeuvres d’art que le monde ait jamais connue.
Dominique Vivant De Non (sic) naît en 1747 dans une famille de petite noblesse de Chalon-sur-Saône. Diplomate et libertin, dessinateur et graveur talentueux, collectionneur compulsif, cet homme à la faconde réjouissante est comme un poisson dans l’eau à la cour de Louis XV. En tant que diplomate, il voyage beaucoup. À la Révolution, il est sauvé de la guillotine par le peintre David ; sagement, il se débarrasse de sa particule et prend le nom de Denon. Quand il entend parler de la future expédition d’Égypte, il convainc Bonaparte de lui permettre de l’accompagner. Il en revient avec des centaines de dessins pour lesquels il a pris des risques parfois insensés et de nombreux souvenirs pour enrichir sa collection.
Le 18 novembre 1802, le Premier consul le fait nommer directeur
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général du musée central des ■
Arts, le Louvre. Une sacrée aubaine : oubliée la pétition que Vivant Denon avait signée en 1796 contre le déplacement des oeuvres d’art saisies à Rome, notamment l’Apollon du Belvédère, le Laocoon ou La Crucifixion de Mantegna ! N’est-ce pas digne de la France, le « pays de la Liberté », de les extirper de leurs prisons dorées pour les exposer dans le plus « beau musée de l’univers » où les citoyens pourront venir les contempler gratuitement ? L’idée n’est pas nouvelle. Déjà, en 1794, le Comité d’instruction publique avait suggéré d’envoyer secrètement, derrière les armées françaises, des « citoyens instruits chargés de faire transporter avec précaution les chefs-d’oeuvre qui se trouvent dans les pays où nos armées ont pénétré ».
En juillet 1805, l’Empereur se rue à l’assaut de l’Autriche, volant de victoire en victoire. Vivant Denon le suit.
Officiellement chargé de faire dresser des esquisses des champs de bataille destinées aux peintres restés à Paris, il débute sa collection de trophées. Il enchaîne les visites des collections royales et privées, liste les peintures, sculptures et autres oeuvres d’art pouvant compléter les collections du Louvre. À Berlin, il s’empare du quadrige de la porte de Brandebourg. À Brunswick, il charge un jeune commissaire de guerre de choisir les plus beaux manuscrits et incunables de la bibliothèque de Wolfenbüttel. Il s’agit de Stendhal. Les richesses artistiques de la ville de Cassel le subjuguent : « Toutes les oeuvres ici sont des perles, de véritables bijoux », écrit-il. Voici le témoignage d’un vaincu sur la façon de procéder de Denon: «Il examina les armoires et les magasins très attentivement; mais il ne put se servir de nos catalogues, écrits en allemand. Son secrétaire dut noter les articles sélectionnés, en faire une liste pour le directeur général et porter celle-ci dans nos catalogues. Le tout donna ensuite lieu à la délivrance d’un reçu en bonne et due forme. » La liste comporte 299 tableaux dont des Rembrandt.
« Droit de conquête »
À Schwerin, les emplettes du Français se montent à 209 tableaux. Le duché de Brunswick subit une véritable hémorragie, avec la perte de 243 dessins et gravures, 400 livres, 278 tableaux, 83 ivoires, 74 petits bronzes, 9 bustes… Vienne n’est guère mieux lotie avec le décrochage de 250 tableaux dans la galerie du Belvédère. Mais il ne faut pas se méprendre, Vivant Denon ne s’empare pas forcément des oeuvres les plus célèbres d’un artiste. Son choix est guidé par une exigence historique pédagogique. À vocation universelle, le
En 1805, Vienne, vaincue par l’Empereur, subit le décrochage de 250 tableaux dans la galerie du Belvédère.
Louvre doit pouvoir présenter toutes les écoles, tous les styles, à toutes les époques. Désormais, l’oeuvre n’est plus dépendante de son lieu de conception, mais devient le maillon d’un mouvement artistique. Vivant Denon invente la muséographie moderne. En décembre 1808, Vivant Denon suit Napoléon en Espagne. Peu amateur de l’école espagnole, il se contente de faire emporter une vingtaine d’oeuvres majeures. Ce sera le général Soult qui enrichira le Louvre des Murillo. En avril 1809, la guerre avec l’Autriche se rallume. Denon ne peut manquer cette nouvelle occasion. Il enchaîne les visites de collections privées. Le 18 juin 1809, de Vienne, il écrit à Cambacérès : « J’ai visité tous les dépôts de cette capitale où sont rassemblés les objets d’art et de science. Outre ce qui a été enlevé du Belvédère et envoyé en Hongrie, sur 500 tableaux qui restaient, j’ai pu en choisir 300 bons parmi lesquels il y en a 100 de premier ordre et très utiles pour remplir les lacunes de la collection du musée, particulièrement en maîtres allemands du premier temps de la peinture. »
De retour à Paris, « l’huissier priseur de l’Europe» constate que le Louvre manque de primitifs italiens. Le voilà reparti, fort de son « droit de conquête ». Il met la main sur 75 tableaux antérieurs à Raphaël dans les villes de Savone, de Gênes, de Parme, de Pise et de Florence, notamment. La fermeture des églises italiennes en 1811 favorise ses acquisitions. Il écrit à Montalivet, ministre de l’Intérieur : « Si le musée Napoléon, Monseigneur, peut obtenir de Votre Excellence que les tableaux dont j’ai l’honneur de lui adresser l’état lui soient envoyés, il n’aura plus rien à désirer. Il se trouvera complété par cette partie historique de l’art qui lui manquait. »
Ce que Vivant Denon n’avait pas prévu, c’est la ruée des nations spoliées pour récupérer leurs biens à la chute de Napoléon. Il a beau se battre bec et ongles durant six mois, il doit voir repartir environ 5 000 oeuvres d’art pour leur pays d’origine. Le retour à Cologne du Martyre de saint Pierre, de Rubens, fait l’objet d’une procession nationale. Mais on garde Les Noces de Cana, de Véronèse,
en l’échangeant contre un Le Brun. Et un certain nombre d’oeuvres sont cachées dans les musées de province, où les Alliés ne songent pas à aller les chercher. Mais, de rage, Denon s’écrie : « Qu’ils les emportent ! Mais il leur manque des yeux pour les voir, et la France prouvera toujours, par sa supériorité dans les arts, que ces chefs-d’oeuvre étaient mieux ici qu’ailleurs. »
Pour en savoir plus : l’Université pour tous de Bourgogne (http://www.utb-chalon.fr/) et le site consacré à Vivant Denon : https://www.vivantdenon.fr/