L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Les prophètes se trompent tout le temps.
C’est même à ça qu’on les reconnaît. Il n’y a pas si longtemps, les pisse-vinaigre nous prédisaient un monde d’après (le coronavirus) rabougri, abstinent et orwellien. La fin des avions, de l’Histoire.
Mauvaise pioche: les après-guerres sont souvent joyeux
et celui-là, si les vaccins ont finalement raison de la pandémie, renouera sans doute avec la fête, la croissance, les grandes espérances. Nous allons pouvoir revivre. En attendant, tout est à reconstruire.
Alors que l’Asie resplendit avec insolence dans son ciel, la plupart des économies occidentales sont par terre, après des mois de confinement ou de couvrefeu. Au milieu des décombres et avant les flambées sociales à venir, on est en droit de se poser quelques questions sur les politiques anti-Covid. Ne pouvait-on pas mieux faire ?
Quand il fallut choisir entre la bourse ou la vie,
c’est-à-dire entre la santé de l’économie ou celle de chacun d’entre nous, c’est la seconde solution de l’alternative qui fut choisie. Sans hésiter,ça ne se discutait pas. Question de civilisation : dans la nôtre, la collectivité n’est pas une chaudière dont les individus sont le combustible.
L’honnêteté oblige à dire qu’en Occident, contrairement à l’Asie,
personne n’a encore trouvé la solution miracle, pas même l’Allemagne, qui, si elle est actuellement confrontée à un rebond des contaminations, obtient cependant des résultats globaux autrement meilleurs que les nôtres : trois fois moins de morts, excusez du peu.
D’où un certain désarroi chez ceux qui, en France, avaient reçu les pleins pouvoirs,
tous ces Diafoirus ayatollesques de comités Théodule « scientifiques » qui brandissaient la vérité révélée, laquelle a, depuis, souvent varié. Souvenez-vous. Au début de la pandémie, M. Véran déclara sur un ton péremptoire que les masques ne servaient à rien, tout comme les tests antigéniques, avant de les déclarer… d’utilité publique. Un peu d’humilité n’aurait pas nui au ministre de la Santé, qui, depuis, semble chercher à tâtons la porte de sortie du ridicule.
Grâce à la perspective des vaccins, nous pouvons certes commencer à respirer,
au terme de la première grande annus horribilis de ce siècle, mais sommes-nous vraiment au bout de nos peines ? Tandis que s’égrènent les dernières notes de son glas, 2020 aura au moins prouvé que Socrate avait raison quand il prétendait il y a déjà plus de deux mille ans : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir ce qu’ils ne savent pas. »
Ce qu’on sait, c’est que la France n’a aucune raison de bomber le torse.
« C’est celui qui le dit qui y est », ricanent les enfants dans les cours d’école. Le pouvoir n’a cessé, avec la complaisance crasse des chers confrères, de montrer du doigt en les raillant les mauvais élèves dans la lutte contre le coronavirus : d’abord, l’Italie ; ensuite, les États-Unis ou le Brésil.
Certes, les États-Unis et le Brésil ont, comme le Mexique, perdu la bataille du Covid.
Mais quand on prend soin de rapporter leurs chiffres (impressionnants) de mortalité à ceux de leurs populations respectives, il apparaît que la France ne fait pas beaucoup mieux qu’eux, malgré des mesures d’interdiction qui, chez nous, semblent inspirées par le docteur Knock et Franz Kafka. Macron, Trump, Johnson, Bolsonaro, même punition ou presque !
Face au coronavirus, la stratégie asiatique,
intrusive et prégnante, aura été de loin la meilleure. Passons sur la Chine, où les statistiques sont sujettes à caution. Citons Taïwan, qui a limité le nombre de morts à 7 sur 23 millions d’habitants, ou la Corée du Sud, qui n’en compte que 587 sur 51 millions. Dès le surgissement du virus, la première s’est barricadée sans attendre derrière ses frontières et la seconde optait pour un traçage agressif de la population.
L’Occident, lui, a clairement failli.
À la fin, le modèle jacobin et suradministré à la française aura été à peine plus performant que les systèmes ultra-décentralisés, voire foutraques, à la mode américaine ou brésilienne. Après avoir joué, seule contre tous, la carte de l’immunité collective en laissant faire le virus, la Suède vient de changer de politique en prenant des mesures de coercition. Son bilan reste néanmoins beaucoup moins catastrophique qu’on aurait pu le penser.
La morale de tout cela
est que le gouvernement n’a aucune raison de s’enorgueillir de cet épisode et qu’il ferait bien de réfléchir, avant une éventuelle nouvelle vague, à mettre un tigre d’Asie dans son moteur. Tout en préparant pour 2021 une refonte de son système de santé, pour lequel la France dépense beaucoup et très mal, aux dépens des personnels soignants. Bonnes fêtes !
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