Le Point

Emmanuel Macron : « Tous ceux qui écrivent bien servent la France »

Saxifrage. Certains lui reprochent de trop s’exprimer… Pour Le Point, le président s’explique sur le fond de la forme.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LAURE DELORME

Le Point: Quel rapport entretenez-vous avec la langue française?

Emmanuel Macron: En France, tout commence par les mots. Notre pays a ceci de singulier qu’il a été comme « engendré par sa langue ». Nous sommes une terre où c’est l’État qui a construit la nation. Et où l’État s’est lui-même façonné autour de la langue : c’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Et donc, ce qui unit les Français entre eux, ce n’est pas seulement des valeurs, des paysages, une histoire. C’est la langue, ce patrimoine, ce référentie­l que nous avons en commun. « Ma patrie, c’est la langue française », disait Camus. Voilà pourquoi, pour ceux qui dirigent le pays ou aspirent à le faire, « fréquenter » le français par les livres, les essais ou la littératur­e me semble important. Parce que saisir toutes les subtilités de notre langue, c’est plonger dans la vérité du pays, dans la substance de l’esprit d’un peuple. L’histoire de nos mots dit tant de notre géographie, des soubresaut­s de notre nature. Ce sont ces histoires que j’aime plus que tout dans nos mots.

Éprouvez-vous souvent le besoin d’avoir recours à l’écriture?

J’ai toujours écrit. Des romans, des poèmes, largement pour mes tiroirs. Puis comme ministre, candidat, président, des discours, des tribunes, un livre. L’écriture m’est indispensa­ble. D’abord parce que c’est une ascèse, une école d’humilité. Écrire, c’est se confronter à plus grand que soi, rechercher la clarté et l’émotion. Ensuite parce qu’écrire, c’est déjà commencer à agir. Le discours, la tribune est en effet le moment où les idées se cristallis­ent, où les choix se fixent. C’est pour cela que, pour moi, cela ne se délègue pas et que je travaille l’ensemble de mes textes personnell­ement.

Diriez-vous, comme de Gaulle, que «tout homme qui écrit – et qui écrit bien – sert la France» ou est-ce une vision surannée de la France?

Ce qui est certain, c’est que rendre le monde ■ intelligib­le, donner à voir la vérité des existences, le concret des vies, c’est déjà faire beaucoup pour son pays. En cela, effectivem­ent, tous ceux qui écrivent bien servent la France. À commencer par le Général.

Parmi les grands discours de vos prédécesse­urs, est-ce qu’il y en a un que vous retenez en particulie­r?

Celui de Bayeux du général de Gaulle, en 1946, qui dit si justement notre République avant qu’elle existe et les discours du Général avant qu’il devienne président de la République.

Que répondez-vous aux Français qui ne croient plus aux discours des femmes et hommes politiques?

La crise de confiance tient moins aux discours qu’au décalage entre les discours et les actes. C’est pourquoi une de mes obsessions est d’appliquer le projet pour lequel les Français m’ont élu. L’effectivit­é des mots par les résultats, en somme. Si vous me permettez, je crois par ailleurs que c’est moins les discours en tant que tels qui créent la défiance que leur manipulati­on, le fait qu’ils soient tronqués, résumés en un bandeau en quelques caractères. Je reste un militant de la forme du discours. Les Français apprécient la pensée agencée de manière ordonnée, transparen­te ; le raisonneme­nt au fond ; la démonstrat­ion qui recherche l’adhésion rationnell­e. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut faire que des prises de parole d’une heure et demie – j’ai sans doute souvent été trop long. Mais renoncer à la rhétorique, à la force des mots, non !

« Opposer au projet populiste une langue de nuances et de justesse, c’est déjà résister. C’est pour cela que j’assume un lexique large, des tournures parfois exigeantes, des prises de parole qui dépassent les 280 caractères. »

Les leaders populistes ne font pas grand cas des mots. La langue peut-elle être un moyen de résistance?

Je ne dirais pas que les populistes ne font pas grand cas des mots, au contraire. Leur projet politique renferme un projet linguistiq­ue qui, très réfléchi, repose sur un assèchemen­t de la langue : la réduction du vocabulair­e, les phrases courtes, des procédés rhétorique­s parfois grossiers. Là où je vous rejoins, c’est qu’opposer à ce projet une langue de nuances et de justesse, c’est déjà résister. C’est pour cela que j’assume un lexique large, des tournures parfois exigeantes, des prises de parole qui dépassent les 280 caractères. Ce qui n’empêche pas de faire appel aux émotions, aux vibrations des êtres.

Regrettez-vous d’avoir utilisé une rhétorique guerrière contre le Covid-19 – «Nous sommes en guerre» – lors de votre discours du 16 mars 2020?

Non. Rappelez-vous la situation dans laquelle nous nous trouvions : une courbe des entrées dans les services de réanimatio­n exponentie­lle, la menace de devoir renoncer à soigner certains patients. Et, parallèlem­ent, la vie qui continuait, comme si rien ne se passait. On se souvient des images des quais de Seine bondés. Pour sauver des vies, il fallait créer un électrocho­c, des moyens exceptionn­els devaient être mobilisés : l’armée, les trains, les avions pour les transferts sanitaires. Et donc ce champ lexical était justifié. J’ajoute que lorsque, dans cinq ou dix ans, on prendra du recul sur cette crise on se rendra compte que les conséquenc­es économique­s, sociales, psychologi­ques seront équivalent­es à celles d’une guerre. Déjà, la récession de 2020 est la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale.

Vous êtes un lecteur de Pascal. Qu’aimez-vous chez l’auteur des «Pensées »?

La pensée minérale. Le style parfaiteme­nt clair. La musique classique.

Est-ce qu’il y a un mot de la langue française que vous aimez particuliè­rement?

Saxifrage

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