L’investissement responsable peut changer notre avenir
La finance responsable, placée au centre des enjeux de l’économie mondiale, pourrait déterminer l ’avenir de nos sociétés. Cette tendance impliquera que ses experts soient toujours mieux formés.
Lionel Martellini, directeur du centre de recherche EDHEC-Risk Institute, la résume en ces mots : « La finance responsable ne s’intéresse pas seulement à la performance des investissements, mais aussi à leur utilité dans les dimensions Environnementale, Sociale et de Gouvernance (ESG). » Il ne s’agit pas de philanthropie, mais d’investissements dont la rentabilité financière dépend de ces objectifs dits ESG. Devenir citoyeninvestisseur responsable suppose ainsi un « coût d’opportunité », selon Lionel Martellini. « L’investissement responsable est une question de compromis : nous devons accepter moins de rentabilité (le doing well cher aux Anglo-Saxons) pour générer plus de responsabilité (doing good). » Se pose alors le défi de la direction donnée aux investissements : « si l’on privilégie les entreprises à la pointe de la responsabilité, on contribue à accélérer leur transition écologique et sociale. Mais on peut aussi investir dans des entreprises moins vertueuses afin d’exercer une pression qui les poussera à cette transition, et c’est plus ambitieux. » Si l’investisseur particulier ne peut prétendre changer seul le monde, « les fonds d’investissement responsables qui gèrent ses actifs doivent être capables, en mutualisant les forces, d’influencer les entreprises. »
Une expertise transversale sur le changement climatique
De même que le choix des investisseurs, mais aussi des consommateurs, peut impacter l’activité d’une entreprise, la décision des jeunes diplômés de préférer une société responsable pour un premier emploi constitue également un puissant levier d’influence. Ainsi à l’EDHEC « les étudiants montrent un vif intérêt pour les métiers de la finance durable. » La révolution économique et écologique implique que les experts s’adaptent. « C’est pour cette raison que l’EDHEC lance à la rentrée 2021 un double diplôme en commun avec Mines ParisTech sur le changement climatique et la finance durable. Ce programme ambitieux associera une expertise pointue en finance à une compréhension fine des défis scientifiques et technologiques liés à la transition écologique et à l’économie bas carbone. L’idée étant de former les futurs professionnels à une maîtrise transversale et à 360° de ces enjeux. Cette formation sera, à ma connaissance, la première au monde de ce type. » Pour consolider sa démarche, l’EDHEC va créer un institut de recherche dédié aux études d’impact croisé entre décisions d’investissement et changement climatique. L’école renforce ainsi sa réputation mondiale pour la formation d’experts de la finance, désormais à dimension ESG
Fondée en 1906, l’EDHEC compte parmi les 15 meilleures Business Schools européennes. Créé en 2001, EDHEC-Risk Institute est aujourd’hui reconnu comme le premier centre de recherche académique en gestion d’actifs.
et si discrète exerce, sous ■ les radars, une grande influence dans les sphères supérieures du capitalisme français. En quarante ans de métier, elle a travaillé à la constitution d’instances exécutives, de Total à la SNCF, en passant par Vallourec, Natixis, Michelin, Technip ou la BPCE (ex-Caisses d’épargne). Elle ne se contente pas de croiser des critères dans de gigantesques fichiers. « Elle s’implique personnellement dans chaque mission, elle ne me propose que du sur-mesure et je me félicite toujours de ses conseils, toujours pertinents et directs », décrit Thierry Le Hénaff, PDG d’Arkema, client de longue date. « Elle domine ce métier, et de loin », renchérit Jean-Dominique Senard, président de Renault et fidèle compagnon de route. Guillaume Pepy, ex-PDG de la SNCF, l’a fait plancher sur tous les recrutements de la compagnie ferroviaire pendant dix ans. Il assure qu’elle « excelle dans la résolution de missions impossibles. » Ou au moins périlleuses, et aux conséquences potentiellement explosives : « Si vous vous trompez sur une personne, vous pouvez mettre l’entreprise en grand danger », assure Lemercier.
Pour les candidats potentiels, le danger est ailleurs: ne pas lui plaire. Son pouvoir est contenu tout entier dans les choix qu’elle peut faire. Qu’elle barre un candidat ou qu’elle le propulse, la fin de l’histoire n’est pas la même… Les impétrants se souviennent longtemps de l’effet produit par le premier appel de Lemercier, avant la première rencontre avec Orson, avant l’entretien proprement dit. C’est un peu comme si l’on vous annonçait : « Ça y est, vous faites officiellement partie de la première ligue, celle des meilleurs. » Mais, une fois l’euphorie retombée, il leur reste à se rendre avenue de l’Observatoire.
Rembobinons un peu. Brigitte Lemercier a donc fait son entrée dans le « bunker », elle prend place face au candidat. Son objectif ? Évaluer des compétences, examiner un comportement, décortiquer des réponses, faire planer de longs silences inconfortables, jauger, juger. « Elle est intimidante. C’est vrai que, face à elle, on est dans ses petits souliers », avoue en souriant Jean-Dominique Senard. « On a l’impression d’être à l’hôpital. On est installé sur le billard et elle sort son scalpel », ajoute Thierry Pilenko, ex-PDG de Technip. « Comment dire... Disons que ce n’est pas quelqu’un qui dégage une chaleur phénoménale », euphémisent de nombreux exécutifs, protégés par le confort de l’anonymat.
Personnalité «clivante». C’est presque comique d’imaginer ces capitaines d’industrie ultradiplômés, qui se font appeler « président » et règnent sur des dizaines de milliers d’employés, se rendant chez elle le coeur battant et la peur au ventre. « C’est l’histoire de ma vie, je fais peur quand on ne me connaît pas, répond la terreur des grands patrons. C’est vrai que je suis droite sur ma chaise, que j’ai un regard perçant et intense, que je ne fais pas ami-ami et que je pose des questions. Je mets tous mes sens au service de la compréhension de la personnalité de mon interlocuteur. Cela peut intimider, je le conçois. D’autant que je dis ce que je pense… Je suis une femme assez directe. »
Sa franchise un peu brutale est devenue une marque de fabrique. Ni lèche-bottes, ni cire-pompes, Lemercier ose dire aux puissants ce qu’ils ne veulent pas entendre. On aime ou on n’aime pas… Elle est « clivante », comme on dit poliment d’une personne qui collectionne les ennemis. Gilles Boyer, député européen, a travaillé deux ans (2008-2010) avec elle comme consultant : « Il ne faut surtout pas y aller pour s’entendre dire qu’on est formidable. Brigitte n’hésite
■
« On a l’impression d’être à l’hôpital. On est installé sur le billard et elle sort son scalpel. » Thierry Pilenko
pas à faire des critiques musclées, ■ à dire des choses désagréables, alors même qu’on peut être fragilisé parce qu’entre deux jobs. On en sort chamboulé, mais c’est salutaire. Cela fait avancer. » Lemercier insiste : ses commentaires, même vifs, restent bienveillants en toute circonstance. Rodée, elle adapte son discours et ses conseils à l’âge de l’interviewé. « Dans une vie professionnelle, il y a des périodes plus ou moins dangereuses. Par exemple, si vous faites le mauvais choix à 40 ans, c’est beaucoup plus difficile pour la suite », assène-t-elle.
Elle voulait être psy. Dans la carrière de Brigitte Lemercier, la rupture est intervenue à l’âge de 55 ans. Mère de deux grands enfants, elle est la patronne du bureau de Paris de Russell Reynolds, célèbre cabinet américain de chasseurs de têtes. Elle occupe un immense bureau au 7, place Vendôme, elle règne sur une foule de jeunes consultants en manque chronique de sommeil, elle enchaîne les déjeuners avec le tout-Paris des affaires. Celle qui a été tentée par les métiers de psy et de journaliste avait démarré chez Russell Reynolds en 1979, armée d’un Rolodex (carnet d’adresses qui se présentait sous la forme d’un classeur rotatif), d’annuaires de grandes écoles, des rapports annuels des groupes du CAC 40, d’un stylo et d’un bon vieux téléphone à cadran. L’ascension professionnelle de cette « femme alpha », respectée et crainte, fait figure de cas d’école. Tout se déroule donc sans accroc, jusqu’à l’été 2005…
Mandatée pour chercher un successeur à Jean-Marc Espalioux, brutalement débarqué du poste de président du directoire du groupe hôtelier Accor, elle procède comme d’habitude : elle établit d’abord une long list d’une dizaine de candidats potentiels. Puis la soumet au conseil d’administration, qui, avec son concours, met au point une short list de candidats à contacter toutes affaires cessantes. Au terme de plusieurs entretiens, il apparaît que celui qui tient la corde pour le job est Pierre Danon, directeur général adjoint de Capgemini, géant des services informatiques. Problème : cette information, censée rester confidentielle, est publiée dans la presse… Lemercier voit rouge. Elle en est convaincue, la fuite a été organisée pour dynamiter la candidature de Danon. Elle comprend que les dés étaient pipés : Gérard Pélisson, l’un des deux fondateurs d’Accor, voulait placer son neveu à la tête du groupe. La mission était un leurre. In fine, le candidat Danon est non seulement écarté au profit de Gilles Pélisson, mais il est également… licencié par Capgemini, qui considère que les « conditions de son maintien à un poste d’autorité dans le groupe ne sont plus réunies. » C’en est trop pour la chasseuse de têtes. Elle rend son tablier publiquement, dénonçant une odieuse manipulation. Dans ce milieu feutré, adepte de la culture du secret, le coup de gueule s’apparente à un miniséisme. Brigitte Lemercier a enfreint le premier commandement du métier. Bientôt, ce sera le début d’une seconde vie professionnelle.
Rive gauche. Quelques mois plus tard, la quinquagénaire fait une croix sur le faste de la place Vendôme et ses vingt-sept années de carrière chez Russell Reynolds pour fonder son propre cabinet – NB Lemercier & Associés –, à Paris 6e. Elle devient, par la même occasion, la seule et unique chasseuse de têtes installée sur la rive gauche de la Seine, loin des centres de pouvoir habituels du gotha des affaires parisien (les 8e et 16e arrondissements). Ce choix géographique est à la fois une manière de se distinguer et une façon de s’assurer que les secrets des allées et venues dans son repaire seront préservés. À force d’interroger les âmes et de sonder les coeurs, Brigitte Lemercier sait tout des désirs, des frustrations, de l’ennui, des insuffisances coupables, des haines recuites, des faiblesses de ces hommes et femmes qui sont à la tête du capitalisme français. « Quand on se livre sans crainte, quand on demande des conseils à quelqu’un, on met un peu son avenir entre ses mains, assure Barbara Dalibard, aujourd’hui directrice générale de Sita, que Brigitte Lemercier avait convaincue de prendre le poste de directrice générale de SNCF Voyages. Mais on peut tout dire à Brigitte, c’est une tombe. »
■
« On peut tout dire à Brigitte, c’est une tombe. »
Barbara Dalibard