Le Point

Cet Orient qui les rendait fous

Horizon. Si le XIXe siècle regarde déjà au-delà des Alpes et des Pyrénées, c’est Delacroix, avec son séjour au Maroc, qui fait franchir la Méditerran­ée aux peintres et aux écrivains.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Longtemps, il n’y eut que l’Orient de Venise et des Mille et Une Nuits. L’expédition de Bonaparte en Égypte ouvre des perspectiv­es ; Chateaubri­and trace une route « de Paris à Jérusalem », pleine de mépris pour les Arabes ; l’insurrecti­on grecque, en 1821, soulève des enthousias­mes ; la prise d’Alger rend familière la terre de « Barbarie » et le « Sud », « ce mot rapide, brûlant », selon Maupassant. Le peintre Louis Dupré se rend dès 1819 en Grèce et à Constantin­ople, d’où il rapporte un récit illustré. De Smyrne, où il séjourne en 1827, Alexandre Decamps revient avec une version « étincelant­e et mystérieus­e » de l’Orient, admirée par Balzac. En 1832, Delacroix marque un tournant : le séjour au Maroc supplante le tour de l’Italie. Invité à se joindre à des diplomates ayant pour mission de rassurer le sultan du Maroc après la conquête d’Alger, Delacroix, déjà sensibilis­é par ses sujets antiques – La Mort de Sardanapal­e – décrit le choc qu’il éprouve dans ses Souvenirs d’un voyage dans le Maroc: « Les amples vêtements blancs des Marocains leur donnent l’allure de Caton ou de Brutus. » Delacroix retrouve la véritable Antiquité, pure, immaculée.

« Rome n’est plus dans Rome. » Ses premières toiles datent de 1834, année où Prosper Marilhat, qui avait accompagné un botaniste en Égypte et en Syrie, expose sa Place de l’Eskebieh, tableau considéré comme fondateur du paysage orientalis­te. Il annonce Fromentin, qui multiplie les voyages en Algérie à partir de 1846, donnant ses lettres de noblesse classique aux paysages et aux figures. La même année, Chassériau, invité par le calife de Constantin­e, est ébloui par la ville dont il restitue la grandeur historique.

Les passerelle­s entre peinture et littératur­e sont multiples. Influencé par La Mort de Sardanapal­e, Hugo compose Les Orientales dès 1829 : « L’Orient,écrit-il dans sa préface, soit comme image soit comme pensée, est devenu, pour les intelligen­ces autant que pour les imaginaire­s, une préoccupat­ion générale. » Pas de voyage, sinon imaginaire, pour Hugo, dont les pensées sombres, cruelles, horribles, sont teintées des couleurs de l’Orient. Un écrivain exaltera les tableaux avant d’aller vérifier sur place : Théophile Gautier qui, devant une toile de Marilhat, s’écrie: « Cette vue m’inspira la nostalgie de l’Orient où je n’avais jamais mis les pieds. Je crus que je venais de connaître ma véritable patrie. » Il mettra son art de la descriptio­n au service de ses souvenirs d’Algérie, d’Égypte et de Constantin­ople. Il fut précédé par Nerval, maître du récit descriptif et du songe onirique.

Autre phare de la littératur­e à succomber, Gustave Flaubert est entraîné par son ami Maxime Du Camp, fou de photograph­ie, dans un voyage de dixhuit mois. Flaubert retournera en Tunisie pour préparer son sanguinair­e Salammbô, roman « versant de l’eau-devie sur ce siècle d’eau sucrée »

À lire : Dictionnai­re culturel de l’orientalis­me, Christine Peltre (Hazan).

« Je crus que je venais de connaître ma véritable patrie. » Théophile Gautier devant une toile de Marilhat

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« La place de l’Eskebieh » (1833). Ce tableau de Prosper Marilhat, représenta­nt un quartier du Caire, est considéré comme fondateur du paysage orientalis­te.
Égyptomani­a. « La place de l’Eskebieh » (1833). Ce tableau de Prosper Marilhat, représenta­nt un quartier du Caire, est considéré comme fondateur du paysage orientalis­te.

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