Alexandra au Tibet
Rebelle. En mal de reconnaissance, Alexandra David-Néel, spécialiste du bouddhisme, marcha 2 000 kilomètres sous la neige à travers les hauts plateaux de l’Himalaya pour être la première Européenne à entrer, en 1924, dans la capitale interdite du Tibet.
«Monsieur, une dame en habit tibétain et un lama veulent vous parler d’urgence. Elle s’exprime en anglais. » Cet après-midi du 6 mai 1924, David Macdonald, le représentant britannique à Gyantsé, dans le sud-ouest du Tibet, est en train de faire la sieste. Comme il le raconte dans ses Mémoires, Twenty Years in Tibet (1932, non traduits), il croit d’abord que la « dame » n’est autre que l’une de ses filles qui s’est déguisée pour lui faire une farce : une mendiante tibétaine qui parle l’anglais, c’est aussi courant qu’une licorne en chaise à porteurs. Il fait donc entrer la dame dans sa chambre, fait mine de dormir puis lui dit qu’il sait qui elle est et lui demande de sortir sans faire la sotte plus longtemps. « Je m’appelle Mme Néel », lui répond une voix inconnue. Confus, le représentant de Sa Majesté la fait passer au salon, où on lui sert du thé. « Chère madame, comment êtes-vous arrivée là, et avec des vêtements tibétains ? » Droite sur sa chaise, tenant avec grâce sa tasse de thé malgré ses doigts crevassés, Alexandra David-Néel « me fit un bref compte rendu de son voyage de la Chine au Tibet, un exploit merveilleux pour une femme de son âge et de sa constitution », écrit Macdonald. Frêle comme un moineau, la femme aux traits fatigués était la première Européenne à avoir mis les pieds à Lhassa, la capitale de ce royaume très fermé qui, depuis 1904, était sous le contrôle officieux des Britanniques. Elle venait ainsi de parcourir clandestinement 2 000 kilomètres à pied, en plein hiver et sous la neige, à travers des régions encore inexplorées, sans compter les 300 kilomètres à cheval pour rejoindre Gyantsé.
Comment cette créature maigrelette de 1,56 m avait-elle pu réaliser un tel exploit ? Et d’abord, qui était-elle ? Macdonald avait probablement entendu parler de cette Française bouddhiste qui, depuis son arrivée en Inde en 1812, multipliait les voyages à travers l’Asie. La géographe Joëlle DésiréMarchand a dessiné les cartes de son parcours dans LesIti né rairesd’ Alexandra David-Néel (Arthaud, 1998), soit des milliers de kilomètres dont le Tibet n’est que l’aboutissement. Macdonald en ignorait sûrement le détail, de même qu’il ne savait peut-être pas qu’elle avait déjà rencontré deux fois, en Inde, Thubten Gyatso, le 13e dalaï-lama, avec qui elle s’était entretenue de philosophie bouddhique.
Jusqu’à son expédition à Lhassa, Alexandra est surtout perçue par les Européens comme une experte du bouddhisme. En 1911, elle a déjà publié trois livres sur la pensée bouddhiste, dont un ambitieux Le Bouddhisme du Bouddha. Son parcours intellectuel est comme sa personnalité, atypique. Celle qui adhère jeune fille à la pensée libertaire choisit d’étudier seule en profitant en auditrice libre des cours de la Sorbonne, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Collège de France, où elle apprend les bases du sanskrit grâce au grand orientaliste Sylvain Lévi. Ce choix la coupe du monde universitaire et rendra d’autant plus difficile son rêve de devenir une orientaliste reconnue. Si elle adhère en 1889 à la Société
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Sous sa grosse robe de serge tibétaine, un petit sac d’or, quelques feuilles de papier, un crayon et… un thermomètre.
théosophique, qui prône un ■ syncrétisme où se mêlent toutes les traditions religieuses, elle en rejette vite l’ésotérisme fumeux. Convertie à un bouddhisme rationnel, seule philosophie, selon elle, capable de répondre à l’énigme de la souffrance, elle est convaincue que c’est sur le terrain, au contact des religieux érudits et des manuscrits anciens mais aussi en observant la religion populaire, qu’elle doit se former. « Si j’avais été un mouton docile, suivant les pas des bergers attitrés, grattant modestement quelques racines déjà épluchées par eux, je n’aurais pas eu de difficultés, écrit-elle, lucide, dans une lettre à son époux, Philippe Néel de Saint-Sauveur. Mais je me suis avisée de faire de la philosophie, d’éplucher de la pensée et, ceci est plus grave, de ne pas lire les textes avec le même esprit que les pontifes universitaires. (…) Je n’ai pas cherché dans les philosophies hindoues une récréation grammaticale mais de la vie, je l’ai trouvée et je croirais être une piètre personnalité si je ne la faisais pas passer dans les livres que je vais écrire. »
Alexandra David-Néel la rebelle choisit d’être marginale dans le monde orientaliste comme dans sa vie privée. Pour subvenir à ses besoins, cette fille de rentiers a opté pour la carrière de cantatrice. De 1892 à 1900, elle chantera les grands airs du répertoire – Carmen, Manon, Marguerite… – en
Europe mais aussi en Indochine et en Afrique du Nord. Séduite par la Tunisie, elle s’y installe et prend la direction artistique du casino de Tunis tout en poursuivant ses travaux orientalistes. Son mariage en 1904 avec un ingénieur en chef des Chemins de fer de Tunisie est insolite, lui aussi. Au bout d’une semaine, la mariée part seule en voyage. La relation conjugale sera essentiellement épistolaire. À son corps défendant et malgré ses menaces de divorce, qu’elle repousse avec obstination, l’époux devra se contenter d’être son confident, son secrétaire et son conseiller financier : elle lui demandera de conserver précieusement ses lettres, qui sont autant de notes de voyage. Que dirait Sigmund Freud ? Qu’Alexandra concentre sa libido sur les voyages. Se sentant mal aimée par des parents sans affection, la jeune Alexandra a multiplié les fugues et s’est forgé une carapace d’orgueil et d’égoïsme. Rares seront ceux qui sauront fendre l’armure.
Quand Alexandra arrive à Lhassa, en janvier 1924, cela fait treize ans et six mois qu’elle a quitté Philippe, alias « Mouchy », officiellement pour un voyage d’études censé durer dixhuit mois. La lettre qu’elle lui envoie le 28 février 1924 est la première depuis le 23 octobre 1923 – quand elle lui a annoncé son départ en excursion, en lui interdisant de la faire rechercher au cas où son silence durerait trop longtemps. Il ne fallait pas qu’on puisse la découvrir. De toute façon, Philippe lui écrit rarement, se contentant de lui envoyer de l’argent.
Le Tibet? Il a pris possession d’Alexandra en 1912 quand, du haut d’un col au nord du Sikkim, elle a vu au loin « cette dernière chaîne de l’Himalaya, le dernier col très large qui s’inclinait vers une pente descendant à la steppe immense, déserte, où s’érige, sentinelle puérile mais émouvante, le fortin de la première ville tibétaine… Moi, je serais restée là des jours », écrit-elle alors à son mari. La solitude, l’âpreté des paysages stériles et pierreux de haute montagne l’enchantent.
Après un long séjour au Sikkim, où elle a vécu trois mois dans une caverne pour suivre les enseignements d’un yogi tantrique, elle décide, en juillet 1916, d’entrer au Tibet sans autorisation. Elle emmène dans l’aventure un adolescent de 16 ans, Aphur Yongden, jeune aspirant lama intelligent et dévoué qui a décidé, malgré les taloches qu’elle lui distribue, qu’elle serait son maître spirituel. Rapidement, la dure Alexandra s’est convaincue qu’elle ne pourrait plus vivre sans lui et déci
« Que je suis donc Asie-Jaune, tout au fond de mes cellules ! » Alexandra David-Néel
dera, dès 1920, de l’adopter. Le 2 juillet, elle quitte donc à cheval le monastère de Chorten Nyima emportant des vivres pour un mois et du matériel de camping. Objectif : Shigatsé, la capitale de la province du Tsang. C’est là que se trouve Tashilumpo, le grand monastère où réside le panchenlama, le plus haut dignitaire de la hiérarchie gelougpa, celle des « bonnets jaunes », avec le dalaï-lama. Le 19 juillet, sa réputation d’érudite bouddhiste acquise au Sikkim l’ayant devancée, elle est reçue par Lobsang Gelek Namgyal, le 9e panchen-lama. Séduit par ses connaissances, son hôte lui propose de s’installer dans son monastère pour étudier à loisir, ce qu’elle refuse faute de pouvoir faire venir ses bagages du Sikkim.
Tashilumpo est une véritable cité, avec ses rues, ses ateliers, ses logements, ses écoles, ses collèges, ses lieux de vie et de prière. « Il y régnait dans les temples, les halls et les palais des dignitaires, une somptuosité barbare dont aucune description ne peut donner une idée. L’or, l’argent, les turquoises, le jade étaient prodigués partout, sur les autels, les tombeaux, l’ornementation des portes et pour les objets rituels ou même simplement ceux servant au service domestique des lamas riches », racontera-t-elle. Cette première incursion au Tibet restera l’un des plus beaux souvenirs de sa vie. «Il y a longtemps que je n’avais pas été à pareille fête. Je m’en vais par les larges avenues de la sainte cité, coiffée du bonnet de soie jaune des abbesses, les mains enfouies dans de longues manches de soie jaune qui me battent les genoux. Que je suis donc Asie-Jaune, tout au fond de mes cellules ! »
Elle n’est pourtant pas dupe du régime lamaïste, féodal et inégalitaire. « Beau pays (…) fertile, bien irrigué, bien cultivé, qui pourrait être presque riche sous un gouvernement moins fantastiquement moyenâgeux que celui des lamas », écritelle dans une lettre à Mouchy datée de juillet 1916. Revenue en août au Sikkim, elle est expulsée pour être entrée au Tibet sans autorisation. Elle visite alors le Japon et la Corée, séjourne à Pékin jusqu’en 1918 puis repart vers l’ouest, en Amdo (Qinghai), où elle réside près de deux ans dans le grand monastèredeKumbum.Là,elleentreprend de traduire des extraits de la Prajnaparamita, l’un des textes fondamentaux du bouddhisme tibétain. Mais Lhassa reste son obsession. Elle veut être la première Occidentale à y mettre les pieds. Comme elle l’écrira plus tard, ce n’est pas par intérêt pour la ville mais par défi. Si on ne la respecte pas comme orientaliste, ce sera comme exploratrice. Et si elle rate son coup ? Au moins aura-t-elle eu le plaisir de voir des paysages qu’elle imagine sublimes.
Le 5 février 1921, donc, nouveau départ. Son plan : aborder le Tibet par l’est en suivant la route des caravanes qui mène du Sichuan chinois à Lhassa en passant par Lanzhou, soit plus de 2 000 kilomètres. Si l’on arrive
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à éviter les brigands, les paysans ■ insurgés et surtout les indiscrets – sa caravane comprend six personnes et cinq mules, ce qui peut exciter la curiosité –, c’est presque une promenade, d’autant que la peau hâlée d’Alexandra peut la faire passer pour une Asiatique. Mais elle est bloquée à Kanzé et doit renoncer. Son convoi arrive à Jyekundo (aujourd’hui Gyêgu), en Amdo, le 15 septembre 1921. Un trou perdu. Le 3 octobre, nouvelle tentative. Elle veut passer par le Turkestan chinois en traversant les cols de Poumo et Dze, soit près de 1 000 kilomètres à parcourir dans des immensités inhabitées en hiver, sauf par les loups. La neige empêche le passage des mules. Échec. Alexandra imagine alors un troisième plan : une sortie par le sud, qu’elle met à exécution en février 1922. Cette fois-ci, ce sera à pied. Sac au dos, elle part avec un domestique tandis que Yongden – devenu lama en 1920 – suit avec un autre serviteur et les bagages. Mais ils sont arrêtés à l’orée du Tibet. On a trouvé dans les sacs un herbier et des appareils photographiques… Trois mois de marche pour rien.
Nattes de yack
Indomptable, Alexandra s’accroche à son rêve. La chance lui sourit enfin en juillet 1922. En route vers Lhassa, où on l’attend, le Britannique George Pereira (1865-1923) s’arrête à Jyekundo et, obligeamment, lui prête ses cartes et ses notes. Mieux, il lui indique sur une carte le mince trait marquant le cours du Po Tsangpo: «Personne n’est jamais allé par là, dit-il. Il doit y avoir des cols praticables vers les sources de la rivière. Ce serait une route intéressante pour Lhassa. » Qu’importe qu’elle traverse le territoire des Popas, qui ont la réputation d’être cannibales. Puisque aucun Occidental n’y est passé, ce sera la route d’Alexandra.
Avant, il faut se faire oublier. Elle passera donc l’été aux sources du fleuve Jaune puis dans la région des grands lacs, l’hiver dans le désert de Gobi. Elle redescendra ensuite par le Gansou et le Sichuan avant de gagner le nord du Yunnan, où elle cherchera un passage pour entrer au Tibet. Elle racontera cet incroyable périple qui durera plus d’un an dans Au pays des brigands gentilshommes (1933).
Le 20 octobre 1923, elle est à Tsedjrong, à 40 kilomètres de la frontière tibétaine. C’est sa dernière tentative d’entrer au Tibet. Ce sera la bonne. Elle part avec Yongden seulement. Elle jouera le rôle d’une mendiante qui fait un pèlerinage avec son fils, un lama. Elle a teint ses cheveux à l’encre de Chine, les a allongés avec des nattes de yack pour faire local, ses mains, son visage sont noircis à la suie et au cacao. Bientôt, elle se couvre la tête d’un bonnet en mouton retourné trouvé sur le chemin, parfaitement en harmonie avec ses vêtements de pauvresse. « J’allais maintenant expérimenter par moi-même nombre de choses que j’avais jusque-là observées seulement à distance. Je m’assoirais à même le plancher raboteux de la cuisine sur lequel la soupe graisseuse, le thé beurré et les crachats d’une nombreuse famille étaient libéralement répandus chaque jour », écrit, dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa, celle qui pendant des années a voyagé avec un tub – une baignoire en métal – accrochée à sa mule. Les bagages sont réduits au minimum : une tente minuscule en coton léger, des piquets, des cordes, un morceau de cuir non tanné pour ressemeler les bottes, un sabre court pour tout usage, une marmite, deux bols, deux cuillères, un étui contenant un long couteau et deux baguettes, deux revolvers et deux bouillottes. La dame dissimule sous
sa grosse robe de serge tibétaine un petit sac d’or, quelques feuilles de papier, un crayon et… un thermomètre. Dans ses ourlets, les croquis réalisés à partir des cartes de Pereira. Beurre, tsampa (farine d’orge), thé, un peu de viande séchée seront les seules provisions.
Par crainte d’être reconnus, Alexandra et son fils marchent d’abord de nuit, au risque de se perdre et de glisser sur des sentiers qui longent les précipices. Yongden se foule la cheville à l’entrée du pays des Popas, alors qu’ils sont bloqués par la neige. Ils vont jeûner pendant plus de six jours tout en marchant quotidiennement plus de dix heures. Ils dorment dans des trous, cachés par leur toile de tente, dans des cavernes. Un soir glacial où le briquet est mouillé, Alexandra met en pratique la technique du toumo, acquise au Sikkim, qui consiste à mobiliser son énergie intérieure pour produire de la chaleur. Dégageant des flammes, elle met le feu à la bouse de yack qui sert de combustible.
« Les dieux ont triomphé ! » Plus ils s’éloignent de la frontière, plus il est facile cependant de mendier et de trouver un abri chez l’habitant, et plus Yongden est mis à contribution pour donner des oracles. Les Popas tant redoutés ne sont pas cannibales, seulement méfiants et souvent cupides. Le voyage est rude, mais Alexandra exulte. « Jamais, dans ce pays où nul étranger n’avait encore pénétré, l’idée ne viendrait à quelqu’un qu’une “philing” [étrangère, NDLR] s’était aventurée à travers ces montagnes solitaires. Ce sentiment de sécurité m’était un véritable confort, il allait me permettre de savourer, enfin, […] les charmes de mon aventure et la délicieuse liberté de la vie de chemineau », écrit-elle encore dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa.
Passant les montagnes par des cols à plus de 5 000 mètres d’altitude, traversant dans la neige les bassins de la Salouen puis du Yarlung Tsangpo (Brahmapoutre), de vallée en vallée, les deux mendiants atteignent Lhassa en février 2024, juste à temps pour les fêtes du Nouvel An. « Du haut du grand escalier extérieur du Potala [le palais du dalaï-lama, NDLR], je regardais longuement le paysage magnifique offert par Lhassa, étendue à mes pieds avec ses temples et ses monastères, pareille, vue de si haut, à une mosaïque blanche, rouge et or, dont les sables et le mince ruban azuré du Kyi-Tchou formaient la bordure lointaine », écrit Alexandra. Ils jubilent.
« Lha Gyalo ! Les dieux ont triomphé ! » Mais ils n’ont plus que la peau sur les os, et, une fois la tension nerveuse retombée, leurs organismes s’écroulent. Qu’importe, Alexandra concocte déjà une véritable campagne de promotion de son exploit, à charge pour Mouchy de l’organiser. Et, surtout, qu’il lui envoie de l’argent ! Au bout de deux mois, elle repart pour rejoindre Calcutta, puis Bénarès et finalement l’Europe.
Gyantsé n’est que la première étape vers la notoriété. Après le succès mondial du Voyage d’une Parisienne à Lhassa, articles et livres se succèdent : Mystiques et magiciens du Tibet (1929), Initiations lamaïques. Des théories, des pratiques, des hommes (1930), La Vie surhumaine de Guésar de Ling (1931), etc. En 1928, Alexandra écrit à une amie : « Il y a deux façons de conduire sa vie. La première, c’est la lutte, c’est affirmer sa volonté d’être ce que l’on veut être et de faire ce que l’on veut faire, envers et contre tout. Dans cette voie, il faut être exempt de toute sentimentalité mièvre et savoir traiter durement, à l’occasion, soi-même et les autres. La seconde manière est à l’usage de ceux qui ont compris que “le jeu n’en vaut pas la chandelle”, qui cessent de désirer quoi que ce soit, le monde ne leur inspirant plus qu’un haussement d’épaule. Quand on en est là, on se retire au désert et l’on y vit en ermite. Les Orientaux comprennent cette attitude, mais l’Occident est malade, en proie à une activité fébrile qui ne mène qu’à de la souffrance. »
En 1937, la dame lama et Yongden repartent en Asie. Voyage catastrophe où, prise dans la tourmente de la guerre sino-japonaise, Alexandra perd ses notes et ses manuscrits. Elle terminera sa vie dans les Alpes-de-HauteProvence, à Digne-les-Bains, dans une maison qu’elle a transformée en sanctuaire lamaïste. Là, infatigable, elle écrit. Après ses récits de voyage et des romans signés avec Yongden, elle fait connaître les enseignements oraux reçus durant son séjour au Sikkim dans Les Enseignements secrets dans les sectes bouddhistes tibétaines. La vue pénétrante, publiés en 1951. Elle y présente la doctrine mystique et secrète (« sangwa »), « intimement liée à l’idée de lhag thong, la vue pénétrante », écritelle. L’ouvrage traite du Secret, du Savoir, de la Voie, de la Libération, des théories et des préceptes qu’elle est la seule Européenne à pouvoir faire connaître. Nouveau défi lancé aux universitaires en chambre qui la méprisent. Elle a 83 ans. Yongden, qui l’a accompagnée en France, meurt quatre ans plus tard. Il sera remplacé à partir de 1959 auprès de la redoutable vieille dame, de plus en plus autoritaire et acariâtre, par la jeune MarieMadeleine Peyronnet. La Tortue, comme l’appelle la « lamani », publiera sa correspondance avec Mouchy et se chargera après sa mort, à 101 ans, de disperser ses cendres et celles de son fils dans les eaux du Gange
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Par crainte d’être reconnus, Alexandra et Yongden marchent d’abord de nuit, au risque de se perdre et de glisser sur des sentiers qui longent les précipices.