De La Mecque au Yunnan, les couleurs de Gervais
On lui doit la première photographie en couleurs parue dans la presse française : Terrasses à Damas au crépuscule, dans L’Illustration, en 1910 (ci-dessus). À cette date, cela fait longtemps que Jules Gervais-Courtellemont arpente la planète avec un appareil. À la différence d’Albert Kahn, Gervais officie seul. Son goût pour l’Orient lui vient d’une vie passée en majeure partie en Algérie, à Relizane, où sa mère s’installe en 1871. Il y devient photographe, puis éditeur. En 1894, il est le premier Français à photographier La Mecque (ci-contre). Exploit d’autant plus périlleux que deux Français seulement avaient pu accéder à la ville sainte, Léon Roches, l’ancien secrétaire d’Abd el-Kader, et l’archéologue Charles Huber, assassiné en 1884. Pour y accéder, il s’est muni d’un passeport français, d’une mission du gouverneur d’Algérie, s’est converti à l’islam, se faisant passer pour un Algérien en pèlerinage. À Djedda, il manque d’être refoulé et, sur le chemin, ses compagnons de voyage arabes s’indignent qu’il commence à boire avant la fin du repas : un bon Arabe n’agit pas ainsi. Il regagne leur confiance en arrivant à La Mecque, où il boit de l’eau saumâtre du Zemzem, le puits d’Agar. Puis, en 1903, il se rend au Yunnan avec son épouse, où il endosse la tenue locale, ce qui provoque la colère du consul français.
Mais de ses voyages Gervais ne rapportait jusque-là que des photos en noir et blanc. En 1907, quand les frères Lumière inventent le procédé de l’autochrome, il est le premier à s’emparer de cette innovation. Il repart dans son tour du monde. Selon Emmanuelle Devos, directrice de la cinémathèque Robert-Lynen qui conserve une partie de ces autochromes, le propos de Gervais, comme celui de Kahn, est de promouvoir la diversité des cultures et l’ouverture sur le monde. Plus que les opérateurs de Kahn, il se fond dans la foule.
À partir de 1908, cet ami de Loti et de Rodin organise des centaines de conférences, intitulées Visions d’Orient, parfois au rythme de trois par jour. Il débute au 4, rue Charras à Paris, se produit au théâtre du Châtelet ou au Trocadéro, avant d’ouvrir son propre lieu, rue Montmartre, Photocouleurs. Le choc est chaque fois le même pour des Français qui découvrent la Terre en couleurs. Son public était aussi plus populaire que celui de Kahn, même s’il s’adressait parfois à des sociétés de géographie. Kahn fut fortement influencé par le pionnier Gervais, qui collabora longtemps avec L’Illustration, avant de travailler pour le magazine National Geographic. Il se fera enterrer à Coutevroult en Seine-et-Marne, la tête tournée vers La Mecque F.-G. L.
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À lire : Les Couleurs du voyage, de Jules Gervais-Courtellemont (éditions Paris Musées).