Brexit : victoire à la Pyrrhus de l’Europe
Dans ses discussions avec la Grande-Bretagne, l’Union européenne a prouvé sa résilience. Reste à en tirer les bonnes leçons.
La souveraineté fantasmée du Royaume-Uni n’a pas fait le poids face à la puissance bien réelle de l’Union européenne. L’accord sur les relations post-Brexit a été conclu avec Londres aux conditions posées par Bruxelles. Quatre ans et demi après le référendum britannique qui avait ébranlé l’Europe, celle-ci a montré qu’elle avait surmonté le choc. Elle a défendu avec efficacité ses intérêts fondamentaux. Elle a protégé l’intégrité de son marché intérieur. Elle a sauvé l’accord de paix du Vendredi saint entre catholiques et protestants en Irlande. Elle a imposé aux Britanniques le respect de ses normes environnementales et sociales, prévenant ainsi l’émergence à ses portes d’un « Singapour-sur-la-Tamise » dévastateur pour l’économie européenne.
L’affaire n’était pas gagnée d’avance. Lorsque l’aventure du Brexit a commencé, en 2016, Londres pensait imposer ses vues en jouant les pays européens les uns contre les autres. L’UE a gagné le bras de fer parce qu’elle s’est montrée unie comme jamais. Pour la première fois, la Grande-Bretagne a été incapable de la diviser. Ironie de l’histoire, c’est l’Angleterre qui a accentué les fractures avec le reste du royaume et ouvert de nouvelles perspectives aux indépendantistes écossais comme aux nationalistes irlandais. Tel est pris qui croyait prendre !
L’accord de la Noël 2020 couronne une année où l’Union européenne a montré sa capacité de résilience. Face à la pandémie qui a plongé son économie dans la récession, elle a brisé un tabou en adoptant un plan de relance qui entérine le principe d’un endettement commun, gage de solidarité entre États membres. Face aux autocrates hongrois, polonais ou bulgare qui minent de l’intérieur son modèle de démocratie libérale, l’Europe a su se ressaisir en imposant pour la première fois le respect de l’État de droit comme condition à l’obtention de la manne communautaire.
Pour autant, la victoire de Bruxelles face à Londres n’est pas motif à réjouissance. L’accord conclu est le premier traité commercial conçu pour créer des obstacles aux échanges, plutôt que d’en démanteler. Le Brexit reste une tragédie pour tous ceux qui savent combien les nations sont devenues interdépendantes, combien la prospérité de l’une dépend de celle des autres et combien était grand, en réalité, l’apport libéral et pragmatique des Britanniques à la bonne marche de l’UE. Désormais laissée aux mains d’un couple franco-allemand bien souvent dysfonctionnel, l’Europe perd un garde-fou bien utile pour contenir la frénésie réglementaire et taxatrice de Paris et de Berlin.
La facilité avec laquelle le Premier ministre Boris Johnson a sacrifié les intérêts économiques et nationaux de son pays au nom d’une « indépendance » chimérique est un avertissement. En lançant en 2018 son pittoresque « fuck business », Johnson signifiait aux milieux d’affaires qu’il entendait quitter le marché intérieur et l’union douanière avec le continent, quel qu’en soit le prix. Celui-ci est douloureux : sur le long terme, le Brexit va amputer d’environ 5 % la richesse nationale, selon les estimations du gouvernement britannique lui-même. Un marché intérieur de 67 millions d’habitants est tout simplement trop petit pour une économie moderne. Surtout lorsque celle-ci doit affronter la concurrence d’un bloc continental de 450 millions d’habitants.
Le Royaume-Uni désormais « souverain » peut distribuer à ses citoyens un passeport bleu qui n’a plus rien à voir avec le document lie-de-vin imposé par Bruxelles. La belle victoire ! Il doit aussi embaucher à grands frais 50 000 douaniers pour contrôler un commerce avec le continent qui s’effectuait jusqu’alors sans obstacle. La véritable souveraineté, au XXIe siècle, passe par la défense des intérêts des nations, pas par l’érection de murs aux frontières. Car les murs empêchent les nations démocratiques de s’unir pour faire pièce aux despotes.
La France et l’Allemagne devraient s’en souvenir, plutôt que de se livrer à une querelle stérile sur l’impératif d’une Europe « souveraine ». Ce qui compte dans le monde brutal dans lequel nous vivons, c’est la puissance. La leçon du Brexit est que cette puissance découle de l’unité. Face à la Turquie d’Erdogan, la Russie de Poutine ou la Chine de Xi, autrement plus menaçantes que le Royaume-Uni pour le bien-être des Européens, la France et les autres pays du continent ne préserveront l’essentiel qu’à condition de rester fidèles au vieil adage : « L’union fait la force. » Voilà pourquoi notre avenir est en Europe, pas ailleurs
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L’Europe a perdu un garde-fou bien utile pour contenir la frénésie réglementaire et taxatrice de Paris et de Berlin.