L’éditorial d’Étienne Gernelle
La haine insiste et s’étend. Soixante-sept croix gammées ont été découvertes lundi 28 décembre sur les tombes d’un cimetière juif à Fontainebleau. Ce n’est pas, loin de là, la première profanation antisémite. Cela devient presque une routine, comme si on s’y était habitué. Est-ce possible ? S’accoutumera-t-on aussi un jour aux flots de propos orduriers comme ceux qui ont pris pour cible April Benayoum, Miss Provence 2020, après qu’elle a évoqué lors de l’élection de Miss France, le 19 décembre, son ascendance israélienne ? L’ampleur du phénomène est terrifiante. La France en est donc là. À un vieil antisémitisme tenace s’ajoute un autre, plus récent, qui s’affiche au grand jour massivement sur les réseaux sociaux. Mais aussi aux marges du débat politique.
Ainsi, Houria Bouteldja, qui fut porte-parole des Indigènes de la République, a tiré de cet événement un enseignement ahurissant. Dans un billet de son blog, hébergé par le « Club » de Mediapart, elle s’est livrée à une grande dissertation douteuse sur le cas de Miss Provence et sur ce qu’elle nomme l’« anti juifisme », et au passage en est venue à lâcher ceci : « On ne peut pas être
israélien innocemment. » Ou comment justifier, tout en prétendant le contraire, le tsunami de haine contre April Benayoum.
Ce honteux billet a finalement été retiré par Mediapart. Mais nul doute que le public réceptif qu’elle espérait trouver dans ce « Club » (dont les contributions sont souvent mises en valeur sur la première page du site) existe. Elle a d’ailleurs pu, ces dernières années, compter sur des soutiens bien au-delà de cet univers. En 2017, une tribune prenant sa défense fut publiée par Le Monde, après un article du quotidien dans lequel des voix – notamment de gauche – mettaient en cause le racialisme et l’antisémitisme dans le mouvement « décolonial ». Les auteurs de cette glorieuse tribune, parmi lesquels l’écrivaine et multipétitionnaire Annie Ernaux, ou encore le professeur de sciences politiques – engagé à gauche – Philippe Marlière, niaient tout antisémitisme chez elle, et jugeaient même sa pensée « en avance sur son temps ».
Pourtant, ces consciences autoproclamées pouvaient difficilement ignorer les multiples déclarations de l’intéressée visant – selon les cas – Israël, le sionisme ou les juifs. Celle-ci, par exemple, lors d’une conférence à Oslo en 2015 : « Les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe. Parce qu’ils bénéficient aujourd’hui d’une “racialisation positive” d’une part, et que l’amalgame entre juifs et sionisme est constamment alimenté d’autre part, ils détournent la colère des damnés de la terre sur eux et en même temps protègent l’infrastructure raciale
de l’État-nation. » Ce discours est assez constant chez Bouteldja. En 2019, elle assurait que les « sale sioniste », et « rentre chez toi » lancés à Alain Finkielkraut en marge d’une manifestation de Gilets Jaunes ne s’adressaient pas à sa personne mais à ses idées…
Le sujet, bien entendu, est beaucoup plus vaste et ne concerne pas que des groupuscules comme celui de Mme Bouteldja. Si l’antisémitisme est si répandu, c’est que l’on a raté quelque chose. À commencer, sans doute, par l’éducation. JeanPierre Obin, dans un rapport de 2004, puis dans un livre, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, paru en septembre chez Hermann, mentionnait – entre autres – la difficulté d’enseigner la Shoah. Tout le monde ne l’a pas pris au sérieux, et nombreux sont ceux qui continuent de considérer qu’il exagère. Par lâcheté, bêtise, ignorance, clientélisme ou indifférence. «Les laideurs n’aiment
point les miroirs », écrivait Victor Hugo.
On avait cru que l’année 2020 se terminerait, sur ce sujet, par la fin du procès des attentats de janvier 2015. La plaidoirie de Richard Malka avait porté sur la liberté d’expression, celle de Patrick Klugman sur l’antisémitisme. Ce dernier avait notamment souligné qu’« on cible ou on tue des juifs dans notre pays avec une facilité déconcertante, dans et hors les faits de terrorisme », évoquant notamment Ilan Halimi, Mireille Knoll ou Sarah Halimi. Un procès pour l’Histoire, sans doute. Mais il faut bien constater que celle-ci ne s’arrête pas. Et que, sur ce terrain-là en particulier, elle ne va pas dans le bon sens
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Houria Bouteldja s’est livrée à une dissertation douteuse sur le cas de Miss Provence et en est venue à lâcher : « On ne peut pas être israélien innocemment. »