Les éditoriaux de Pierre-Antoine Delhommais, Luc de Barochez
La crise du Covid a mis en lumière les limites des économistes, aux prédictions souvent fantaisistes. Leur « science » n’en reste pas moins essentielle.
«La seule fonction de la prévision économique est de rendre l’astrologie respectable. » La formule assassine de l’économiste américain John Kenneth Galbraith trouve en ce début d’année 2021 une résonance toute particulière. Avec une croissance plus dépendante de la vitesse de circulation du virus que de celle de la monnaie, avec un chômage plus tributaire de l’efficacité des vaccins que de celle des plans de relance, faire des prévisions économiques dans le contexte sanitaire actuel représente, si l’on est bienveillant, un immense défi – et, si on l’est moins, relève de l’imposture intellectuelle.
De fait, c’est principalement avec la bonne vieille mais très approximative méthode du doigt mouillé que les économistes établissent en ce moment leurs projections annuelles, faute de pouvoir s’appuyer sur des modèles mathématiques complexes devenus totalement inopérants, car construits à partir des observations du passé. Lequel, si lointain soit-il, ne contient aucune expérience comparable à celle que l’économie mondiale traverse depuis dix mois. Celle d’une récession sans précédent provoquée par un confinement des populations, lui aussi inédit ; celle d’une rupture complète avec les grands principes supposés intangibles des politiques monétaire et budgétaire ; celle d’une mise entre parenthèses de l’économie de marché avec l’intervention financière massive des États pour faire face à la crise ; celle d’un chamboulement complet des mécanismes traditionnels de consommation, d’épargne, d’investissement, etc.
C’est un peu comme si les ingénieurs météorologues ne pouvaient plus se baser, pour prédire le temps des jours à venir, sur les lois de la mécanique des fluides. En résumé, les économistes se retrouvent aujourd’hui dans un brouillard conjoncturel à couper au couteau, dont ils ne sortent à tâtons que pour proposer des prévisions radicalement divergentes. Comme en matière de chômage. Après 800 000 suppressions d’emploi l’année dernière, le gouvernement anticipe ainsi 435 000 créations nettes de postes en 2021, quand la Banque de France en espère pour sa part seulement 30 000 et que l’OFCE, de son côté, s’attend à la destruction de 3 000 emplois supplémentaires. Les uns prévoient l’arrivée d’un puissant anticyclone sur le marché du travail ; les autres, la persistance d’une situation dépressionnaire.
La pandémie met en relief cette grande spécificité, difficulté aussi, de la science économique qui est celle de dépendre directement de l’action humaine, notamment de la psychologie des ménages, des chefs d’entreprise, des investisseurs, par nature extraordinairement difficile à prévoir et encore plus à quantifier. Impossible de prédire ce que les Français, quand ils seront enfin débarrassés du virus, feront de la centaine de milliards d’euros de surplus d’épargne qu’ils ont accumulés pendant les périodes de confinement. Seront-ils pris d’une frénésie de consommation et les dépenseront-ils sans modération pour fêter le retour des jours heureux ? Préféreront-ils au contraire, durablement traumatisés, conserver cette épargne de précaution dans la crainte de l’arrivée d’un Covid-22 ou d’un Covid-23, mais aussi dans la perspective encore plus probable de hausses d’impôts destinées à éponger la dette ? À ces questions ■
Le gouvernement anticipe 435 000 créations de postes en 2021 ; la Banque de France en espère 30 000.
essentielles pour anticiper la croissance future aucun ■ économiste n’est en mesure d’apporter une réponse sérieuse.
À cet égard, la crise sanitaire a montré les limites de la thèse selon laquelle la science économique serait devenue une science expérimentale à part entière. Qui, à l’instar de la médecine, serait en mesure, grâce à des protocoles de recherche rigoureux, d’établir des liens de cause à effet entre les phénomènes économiques et de déterminer avec précision l’impact de telle ou telle mesure, de tel ou tel traitement. Une science qui serait capable du même coup de faire des progrès rapides dans la guérison des nouvelles maladies économiques qui se présentent. Malheureusement, rien ne permet d’espérer que les économistes découvrent prochainement un vaccin à ARN messager contre les faillites et le chômage.
Toutes les faiblesses structurelles de la science économique mises en évidence par la pandémie ne signifient pas pour autant qu’il ne faut pas écouter ce que disent les économistes. Ne serait-ce que pour le rôle extrêmement salutaire qu’ils peuvent avoir en tentant de ramener à la raison des gouvernements en pleine panique, prêts à faire tout et n’importe quoi, en leur rappelant notamment que les histoires de surendettement des États, elles aussi, finissent mal, en général
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